Politique
Depuis l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, il y a trois ans et demi, huit des dix provinces ont changé de gouvernement. À tous coups, les électeurs ont montré la porte à des premiers ministres qui — s’ils avaient remporté la victoire — en auraient seulement été à leur deuxième mandat comme chefs de gouvernement.
Certains, comme Kathleen Wynne en Ontario et Wade MacLauchlan à l’Île-du-Prince-Édouard, avaient pris les rênes de leur parti alors que ce dernier avait déjà passé plusieurs années au pouvoir.
D’autres, comme l’ex-première ministre néo-démocrate albertaine Rachel Notley ou le Néo-Brunswickois Brian Gallant, avaient mené leur formation de l’opposition au pouvoir aux élections précédentes.
Il fut un temps où l’obtention d’un deuxième mandat au Canada était la règle plutôt que l’exception. Ces dernières années, la tendance à traiter les premiers ministres sortants comme des objets jetables après un seul usage a fait du chemin.
Depuis 2012, le Québec a été gouverné par trois partis diérents. Au Nouveau-Brunswick, aucun des partis qui se sont succédé au pouvoir depuis 2006 n’a obtenu de second mandat.
Tous les prédécesseurs de M. Trudeau qui sont arrivés au pouvoir pour la première fois à la tête d’un gouvernement fédéral majoritaire ont obtenu un second mandat. Mais comme le montre l’histoire électorale récente au niveau provincial, le passé n’est pas toujours garant de l’avenir.
Depuis trois ans et demi, les portes tournantes des provinces ont eu raison de la plupart des alliés du premier ministre fédéral.
Au Manitoba, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et le mois dernier en Alberta et à l’Île-du-PrinceÉdouard, des premiers ministres conservateurs déterminés à en découdre avec le gouvernement Trudeau sont désormais en selle.
Pour autant, l’arrivée en masse de premiers ministres conservateurs n’est peut-être pas la tendance la plus menaçante pour les perspectives de réélection des libéraux fédéraux en octobre.
Ce n’est pas d’hier que la présence à Ottawa d’un gouvernement rouge résulte en une vague bleue dans les provinces ou vice versa. Sous Trudeau père, le Québec votait rouge au fédéral tout en élisant des gouvernements péquistes.
Il y a quatre ans presque jour pour jour, bien des analystes avaient
vu dans la victoire historique du NPD en Alberta un présage de succès pour les néo-démocrates de Thomas Mulcair l’automne suivant. On connaît la suite.
Les liens tissés très serrés du chef conservateur, Andrew Scheer, avec des têtes d’affiche conservatrices controversées, comme les premiers ministres Doug Ford et Jason Kenney, pourraient davantage avoir pour conséquence que l’électorat qui ne veut pas d’un retour au pouvoir de la droite à Ottawa se coalise derrière Justin Trudeau plutôt que rendre irrésistible l’élection d’un gouvernement conservateur fédéral.
Ce qui est vraiment nouveau et dont l’eet sur le paysage fédéral est encore difficile à mesurer, c’est la montée remarquable — en tandem avec la vague bleue qui a déferlé sur les provinces — de partis comme les verts et Québec solidaire, pour qui la lutte contre les changements climatiques est une priorité absolue.
Au cours du dernier cycle électoral provincial, les verts ont remporté, en tout ou en partie, la balance du pouvoir au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique. Leur chef ontarien, Mike Schreiner, a fait son entrée à Queen’s Park le printemps dernier.
Lors des élections complémentaires qui se sont déroulées dans la circonscription fédérale d’Outremont en février, Daniel Green, le candidat vert, a terminé la course en troisième place, coiant le Bloc québécois et les conservateurs au fil d’arrivée. Et à l’Île-du-Prince-Édouard, le mois dernier, le Parti vert a réalisé une percée historique, supplantant les libéraux pour la deuxième place à l’Assemblée législative de Charlottetown.
À l’évidence, les verts ne grugent pas que les appuis aux néodémocrates. Le vote libéral est également dans la mire du parti. Il pourrait l’être encore davantage si le premier ministre Trudeau donne son aval, à la mi-juin, à la relance du projet controversé d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, malgré le désengagement prévu du nouveau gouvernement albertain du cadre fédéral de lutte contre les changements climatiques.
Enfin, trois provinces sont désormais dirigées par des gouvernements minoritaires, alors qu’en 2015 il n’y en avait aucune. S’il faut en croire les sondages sur les intentions de vote fédéral, le scrutin du 21 octobre pourrait bien s’inscrire dans la même tendance.
Il fut un temps où l’obtention d’un deuxième mandat au Canada était la règle plutôt que l’exception. Ces dernières années, la tendance à traiter les premiers ministres sortants comme des objets jetables après un seul usage a fait du chemin.