L’actualité

Mathieu vous répond

- PAR MATHIEU CHARLEBOIS

Quand ma tante Marguerite prenait un morceau de sucre à la crème, elle l’accompagna­it systématiq­uement de la phrase « 10 secondes dans la bouche, 10 ans dans les fesses ». Elle soulignait par ce fin trait d’esprit que les plaisirs passagers ont des conséquenc­es à long terme.

Il en va de même de la photo de nos enfants qui se préparent pour leur premier jour d’école : la petite dose d’endorphine­s qui vient avec chaque nouveau J’aime pourrait bien se payer de façon inattendue dans l’avenir.

Alors que la reconnaiss­ance faciale est une technologi­e en plein essor, Facebook et les autres réseaux sociaux sont plus qu’heureux que nous documentio­ns l’évolution d’un visage de l’enfance jusqu’à l’adolescenc­e, voire jusqu’à l’âge adulte. Ils se retrouvent avec une belle collection de photos à partir desquelles créer des algorithme­s capables de reconnaîtr­e n’importe qui, même sur l’image noir et blanc pixelisée et floue d’une caméra de surveillan­ce.

En publiant cette photo où l’adorable petite William-Emma s’est mis du gâteau partout, vous la faites entrer dans un système dont on commence seulement à voir les contours.

Des contours aux vagues allures de dystopie science-fictionnes­que où chaque citoyen est fiché et peut être trouvé en un clin d’oeil par un logiciel qui scanne les caméras de la ville. Soudaineme­nt, tout ça est moins adorable.

Les parents prennent chaque jour des décisions pour leurs enfants, comme le nombre de biscuits qu’il est acceptable de manger et si ceux-ci peuvent être trempés dans le lait (pour ma mère, c’était « deux » et « non »). On prend ces décisions pour leur bien immédiat et leur bien-être futur. Publier des photos de nos enfants ne fait du bien qu’à nous, et met en danger leur bien-être futur.

Dans 40 ans, alors qu’il se cachera dans les décombres d’une station de métro pour échapper aux robots qui domineront la planète, votre enfant vous remerciera d’avoir gardé son visage hors des bases de données. Personne ne peut vous empêcher de prendre cette place. Pas même la police, puisque son statut n’est pas reconnu par le Code de la sécurité routière, contrairem­ent à celui des espaces réservés aux personnes handicapée­s.

Voilà pour l’aspect légal. Maintenant, doit-on vraiment parler de l’aspect « vous risquez de passer pour un égoïste », de l’aspect « vous obligez des enfants à traverser un stationnem­ent où ils peuvent se faire écraser » et de l’aspect « si vous vous sentez à l’aise de laisser une femme enceinte marcher pour rien, vous manquez peut-être de coeur », ou vous commencez déjà à comprendre ?

Ces gens ont probableme­nt passé tout le trajet à gérer deux enfants se chicanant sur la banquette arrière. Laissez-leur la place de stationnem­ent près de la porte. C’est à peu près le seul bonheur qui leur reste.

MON ENFANT EST SI BEAU QUE JE VEUX LE MONTRER PARTOUT SUR INTERNET. RASSUREZ-MOI : IL N’Y A PAS DE MAL À PUBLIER DES PHOTOS DE LUI SUR FACETWITST­AGRAM, NON ? EST-CE CORRECT D’UTILISER UNE PLACE DE STATIONNEM­ENT RÉSERVÉE AUX FAMILLES MÊME SI JE N’AI PAS D’ENFANTS ?

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Je m’appelle Mathieu Charlebois et chaque mois, je réponds à vos grands questionne­ments existentie­ls.

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