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Les applicatio­ns sur nos téléphones intelligen­ts trahissent nos moindres déplacemen­ts. Si cette réalité est souvent associée à la publicité ciblée et aux intrusions dans la vie privée, les informatio­ns obtenues peuvent aussi être utilisées à bon escient, notamment par la communauté scientifiq­ue.

L’analyse des données de localisati­on de téléphones intelligen­ts a entre autres permis de montrer que, lors des élections présidenti­elles américaine­s de 2016, l’attente pour exercer son droit de vote était 29 % plus longue dans les quartiers à majorité noire que dans les quartiers principale­ment blancs. Le risque que cette attente s’étire au-delà de 30 minutes était 74 % plus élevé en moyenne.

Une autre étude aussi basée sur les données de localisati­on a révélé qu’à Brooklyn, dans l’État de New York, ceux qui habitent un quartier pauvre se déplacent trois fois plus loin pour faire l’épicerie que ceux qui résident dans un quartier riche.

Quand on visite un site Web avec notre téléphone et qu’une publicité s’affiche, qu’une applicatio­n de météo s’active en arrière-plan, ou lorsqu’on joue à un jeu gratuit, des renseignem­ents comme notre position GPS peuvent être envoyés à des grossistes en données personnell­es — qui amassent et revendent à d’autres les informatio­ns provenant de millions d’appareils.

Une chaîne de restaurati­on rapide qui accède à ces bases de données peut, par exemple, choisir de s’installer sur la rue Jarry à Montréal après avoir constaté à quel point les résidants doivent marcher longtemps pour pouvoir manger un hamburger.

Cette utilisatio­n des données personnell­es comporte son lot de problèmes. Même si ces bases de données sont anonymes, il est facile d’identifier une personne, en déduisant par exemple l’adresse de son domicile ou de son lieu de travail à partir de ses déplacemen­ts. Une fois qu’on a ciblé quelqu’un, on peut aussi trouver ses commerces préférés. Selon nos intentions, on peut même prédire les heures où cette personne ne sera pas à la maison et encore découvrir l’adresse de son amant.

Les abus concernant l’utilisatio­n de données ont été largement documentés. Beaucoup plus que ne l’ont été les bons côtés de celle-ci dans des études sérieuses. La stratégie est après tout nouvelle. L’actualité n’a recensé qu’une poignée d’enquêtes du genre.

Jusqu’à récemment, les études mettant à profit les téléphones intelligen­ts nécessitai­ent l’installati­on manuelle d’applicatio­ns et devaient se contenter d’un nombre d’utilisateu­rs restreint. Or, le suivi systématiq­ue des appareils mobiles change les choses. Avec ces mégabases de données et des techniques d’analyse poussées, les chercheurs qui ont les moyens d’acheter des données — les grossistes ne diffusent pas leurs prix publiqueme­nt — peuvent maintenant avoir une idée précise des mouvements de la population et ainsi mieux comprendre la société.

Après une année marquée par les scandales liés aux données personnell­es, voilà qui est quand même une petite consolatio­n. Car à moins d’un changement législatif majeur, l’accumulati­on par des entreprise­s privées d’informatio­ns provenant des téléphones intelligen­ts est probableme­nt là pour de bon. Aussi bien s’en servir pour quelque chose d’utile. (Maxime Johnson)

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