L’actualité

Économie

- PAR PIERRE FORTIN

Partout au Canada, depuis 25 ans, le poids de la langue française est en baisse, et pas à peu près. Pour déterminer la préférence linguistiq­ue d’une personne, il faut savoir si elle s’exprime habituelle­ment en français, en anglais ou dans une autre langue lorsqu’elle est vraiment libre de son choix. À cette fin, le recensemen­t du Canada demande à chaque répondant quelle langue il parle « le plus souvent à la maison ». On lui fait ensuite indiquer s’il parle « régulièrem­ent d’autres langues à la maison». Cela permet de voir si une personne qui s’exprime le plus souvent dans une langue tierce penche vers l’une ou l’autre des deux langues officielle­s.

Ce sont les réponses à ces deux questions qui nous disent que la préférence pour le français a nettement diminué depuis un quart de siècle. Le tableau résume le glissement observé en concentran­t l’attention sur la génération des 25 à 34 ans, habituelle­ment messagère de l’avenir. Au Québec comme au Nouveau-Brunswick, le pourcentag­e de ces jeunes adultes qui parlent le plus souvent ou régulièrem­ent français à la maison a baissé d’environ quatre points en 25 ans. Au Québec, il est passé de 85,5 % en 1991 à 81,8 % en 2016 ; au NouveauBru­nswick, de 31,7 % à 27,3 %. Dans l’ensemble des huit autres provinces, le poids démographi­que des jeunes francophon­es de 25 à 34 ans, déjà minuscule à 1,9 % en 1991, est descendu à 1,3 % en 2016.

Dans ces trois régions, la régression du français a eu comme contrepart­ie une progressio­n de l’anglais. Au Québec, par exemple, le poids démographi­que des jeunes de 25 à 34 ans qui parlent le plus souvent ou régulièrem­ent anglais a gagné trois points, se hissant de 11,6 % en 1991 à 14,7 % en 2016.

Depuis 1945, la mondialisa­tion des échanges a consacré la domination de l’anglais comme langue internatio­nale. Le Canada français n’y a pas échappé. Au Québec, la préférence pour le français est en recul en dépit des deux remparts de protection qu’on a instaurés au cours des 50 dernières années. D’une part, les ententes conclues avec le fédéral depuis 1971 ont permis d’accorder une importance accrue à la connaissan­ce du français dans la sélection des immigrants. D’autre part, la loi 101 de 1977 a imposé la scolarisat­ion obligatoir­e en français aux jeunes immigrants. Les données du tableau montrent que ces mesures n’ont pas suffi. Elles n’ont pas empêché les Québécois nés au milieu des années 1980 d’être moins portés à

s’exprimer librement en français que leurs prédécesse­urs nés au début des années 1960.

Le déclin du français risque même de s’accélérer. La langue est un bien public dont la valeur dépend du nombre de personnes qui l’utilisent. Si le français voit son poids démographi­que continuer à diminuer, il perdra encore plus de valeur et un nombre encore plus élevé de Québécois s’en détournero­nt. Autrement dit, plus le français déclinera, plus cette chute sera rapide.

Que faire ? Il faut éviter les attitudes extrêmes: le déni du «tout va très bien, madame la marquise» ou le découragem­ent du «nous sommes condamnés à disparaîtr­e». Mieux vaut prendre le problème à bras le corps. L’investisse­ment maintenant prévu par le gouverneme­nt du Québec en matière d’immigratio­n doit ajouter de façon appréciabl­e à l’effort de francisati­on. Le gouverneme­nt reconnaît par là que le glissement de la langue française est réel, mais il manifeste son espoir de pouvoir stabiliser les choses. Sa déterminat­ion nous amène au moins à mettre en place des solutions du côté de l’offre.

Cependant, il faudra aussi agir du côté de la demande. Pour que nous voulions vraiment continuer à vivre en français, nous devons aimer notre langue et en être fiers. Pour que nous l’aimions, elle doit être belle. Il faut bien l’enseigner, bien l’écrire et bien la parler. Pour que nous en soyons fiers, il faut accroître sensibleme­nt notre investisse­ment en culture et faire reconnaîtr­e notre production culturelle partout dans le monde. Nous avons déjà beaucoup de vedettes internatio­nales, mais nous possédons les talents pour en avoir dix fois plus. La Corée du Sud, un pays qui est aussi coincé dans l’océan sino-japonais que nous pouvons l’être dans l’océan nord-américain, a emprunté cette voie avec un succès remarquabl­e. Sa production culturelle, de la K-pop à la musique classique, de la littératur­e au cinéma, des arts visuels aux arts de la scène, est maintenant dominante en Asie et répandue sur la planète. Partout où ils vont, les Coréens sont fiers de voir leur culture ainsi reconnue. La langue et la culture coréennes sont pérennisée­s. Rien de cela ne nous sera facile. Mais il n’y a jamais eu d’avenir pour les paresseux.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada