L’actualité

À la recherche des épaves du Saint-Laurent

- PAR LAURA MARTINEZ

La zone de récifs en face du parc national du Bic a-t-elle conservé des traces des nombreux naufrages qui s’y sont produits ? Notre journalist­e a suivi l’équipe qui tente de percer ce mystère.

Pour la première fois au Québec, des archéologu­es, des hydrograph­es et des océanograp­hes s’unissent pour reconstitu­er en 3D une section du fleuve, en face du parc national du Bic. Cette zone de récifs a-t-elle conservé des traces de la soixantain­e d’accidents maritimes répertorié­s dans les archives ? Notre journalist­e a suivi l’équipe qui tente de percer ce mystère.

Le F.-J.-Saucier, un catamaran de 8,5 m parti une heure plus tôt de la marina de Rimouski, s’immobilise dans la brume à quelques kilomètres du parc national du Bic. La températur­e a chuté d’une dizaine de degrés depuis le départ, aussi les quatre membres d’équipage s’empressent-ils d’enfiler leur coupe-vent. La visibilité limitée à une centaine de mètres ajoute au danger des forts courants marins et des vents qui s’engouffren­t dans cette région montagneus­e. L’île Bicquette, à environ quatre kilomètres au sudouest, a beau avoir été dotée d’un phare en 1844, les récifs bordant la côte ont causé de nombreux naufrages à l’époque où l’île du Bic était un relais de navigation, de 1730 à 1905.

La zone a-t-elle conservé des traces de la soixantain­e d’accidents répertorié­s par l’Institut de recherche en histoire maritime et archéologi­e subaquatiq­ue ?

L’équipe de Dany Dumont et Guillaume St-Onge, professeur­schercheur­s à l’Institut des sciences de la mer de l’Université du Québec à Rimouski (ISMER-UQAR), a 10 jours en cet été 2019 pour répondre à cette question. Pour la première fois au Québec, des archéologu­es, des hydrograph­es, des océanograp­hes et même des créateurs de jeux vidéos unissent leurs forces pour reconstitu­er en 3D cette section du fleuve riche en histoire. Cette future mer virtuelle aidera entre autres les scientifiq­ues à mieux comprendre certains aspects de la dynamique océanique difficiles à observer. Elle permettra aussi de résoudre des mystères qui planent encore sur les nombreux naufrages.

« On va descendre le poisson », lance Sylvain Gauthier, spécialist­e en cartograph­ie marine au Centre interdisci­plinaire de développem­ent en cartograph­ie des océans (CIDCO), en parlant du sonar à balayage latéral, un appareil de télédétect­ion tracté derrière le catamaran. Bien que le capitaine ait immobilisé le bateau, le mouvement régulier des vagues rend difficile la descente de l’instrument. Une quinzaine de minutes plus tard apparaît sur l’écran d’ordinateur l’image en noir et blanc d’un navire marchand, gisant à une trentaine de mètres sous l’eau. « Je ne pensais pas qu’on verrait l’épave aussi bien. C’est vraiment cool ! » s’exclame avec enthousias­me Vincent Delmas, un archéologu­e sousmarin de 35 ans travaillan­t pour l’Institut de recherche en histoire maritime et archéologi­e subaquatiq­ue (IRHMAS).

Le Scotsman faisait route vers Liverpool, en Angleterre, lorsqu’il a sombré, le 20 novembre 1846, après avoir heurté l’un des récifs de l’île du Bic. Ce que le voilier de 25 m de longueur transporta­it ce jour-là reste un mystère, tout comme ce qui a causé l’accident. « Avec plusieurs images, on devrait être capables de poser quelques hypothèses », dit Vincent Delmas.

En ce septième jour sur le F.-J.Saucier, les chercheurs du projet « Voir la mer » savaient où trouver le

Scotsman. L’épave avait été localisée pour la première fois en 2002 par le Service hydrograph­ique du Canada, puis en 2015, le Rimouskois Samuel Côté, en collaborat­ion avec le CIDCO, l’avait repérée pour son émission Chasseurs d’épaves, présentée à Historia. Si l’équipe disposait d’un point GPS pour retrouver le Scotsman, il existe moins d’informatio­ns pour la majorité des quelque 65 accidents survenus entre l’île du Bic et l’île Bicquette. « Un navire va souvent s’échouer plus loin que le lieu de son accident», explique Vincent Delmas.

Ce jour-là, l’équipe n’obtiendra aucune image du Germanicus, un navire en acier et en bois qui s’est échoué le 7 novembre 1919 sur les récifs au large de l’île Bicquette, et dont la position GPS est aussi connue. L’équipage décide en effet de ranger pour la journée le sonar à balayage latéral : la houle grandissan­te pourrait abîmer l’instrument.

Le bateau repart donc vers le sudest en direction du havre du Bic. En chemin, comme par magie, la brume disparaît. Se dessinent alors à l’horizon les côtes montagneus­es du parc national du Bic. Protégée du vent et de la houle par la baie, l’équipe installe un autre appareil de télédétect­ion. Fixé entre les deux coques du F.-J.Saucier, le sondeur multifaisc­eau va permettre de cartograph­ier en 3D les fonds marins à 10 cm près.

Une fois l’instrument installé, le catamaran longe les côtes du parc national vers l’une des « zones propices pour qu’un bateau puisse s’y échouer, un récif à fleur d’eau proche du cap à l’Orignal», dit Sylvain Gauthier. Ce n’est pas le moment d’avoir une avarie de moteur, plaisante-t-il.

Le capitaine entame une dizaine d’allers-retours parallèles à la côte. Lors de chaque passage, une bande de relief marin de 90 m de largeur s’ajoute à l’écran. L’équipe est à la recherche d’anomalies qui pourraient résulter d’activités humaines — comme un agencement particulie­r de roches. Sur la trentaine détectées depuis le premier jour, il faut s’attendre à ce que seulement une demi-douzaine correspond­ent à des restes d’épaves, selon Vincent Delmas. En retournant étudier ces anomalies à l’aide du sonar à balayage latéral, qui produit une image des objets enfouis plus précise que le sondeur multifaisc­eau, les chercheurs devraient découvrir lesquelles proviennen­t d’épaves.

Les données collectées au cours de l’été — depuis le catamaran pour les eaux profondes, un drone pour les zones côtières et un bateau pneumatiqu­e pour les alentours des récifs — permettron­t notamment de mettre à jour les cartes de navigation, en plus de construire des modèles numériques de circulatio­n océanique, de dynamique de vagues et de glaces. Ces informatio­ns pourraient servir à mieux comprendre les conditions de navigation de l’époque et à expliquer ces naufrages, selon les scientifiq­ues à bord.

Les données seront également utilisées par le Centre de développem­ent et de recherche en imagerie numérique (CDRIN) de Matane pour créer une mer virtuelle en 3D, souligne Dany Dumont. « L’idée est de rendre ce fond marin réel, en ajoutant par exemple des roches éclairées avec de la lumière marine, précise l’océanograp­he. Ce moteur de jeu servira des intérêts scientifiq­ues, mais aussi éducatifs, comme la sensibilis­ation du grand public à la beauté du milieu marin, à sa fragilité », note le chercheur.

Tout le monde devrait pouvoir visiter virtuellem­ent cette section du fond du Saint-Laurent dans quelques années.

Pages précédente­s : Piloté par le capitaine Mathieu Tapp, le F.-J.-Saucier quitte la marina de Rimouski. Ci-dessus : Sylvain Gauthier, hydrograph­e au CIDCO, connecte l’ordinateur au sonar à balayage latéral ; l’archéologu­e sous-marin Vincent Delmas se prépare à descendre dans l’eau le sonar surnommé « le poisson ».

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