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L’auteure du mois

ALEXIA BÜRGER

- (Propos recueillis par Claudine St-Germain)

La dramaturge et metteuse en scène Alexia Bürger a longtemps évolué dans l’ombre, cosignant souvent ses créations avec d’autres ou mettant son talent au service d’artistes comme Safia Nolin et Michel Rivard. Mais sa propre voix s’est révélée avec force en 2017 avec Les Hardings, pièce qu’elle a écrite et mise en scène et qui s’inspire du conducteur du train impliqué dans la catastroph­e de Lac-Mégantic. Son nom est un incontourn­able de la présente saison théâtrale, alors que Les Hardings sera reprise chez Duceppe en janvier et qu’elle signe l’adaptation de la pièce Lysistrata (avec Fanny Britt) qui sera présentée au TNM en avril.

Où et quand écrivez-vous ?

J’écris dans les cafés, à la table de la cuisine, sur le balcon l’été, dans le canapé parfois. Lorsque je n’ai pas de répétition­s, j’écris tôt le matin, après le départ de mon fils pour l’école. Lorsque le temps me manque, j’écris le soir, une fois qu’il est couché.

Comment décririez-vous votre démarche artistique ?

Au départ, il y a souvent une fascinatio­n pour les êtres humains hors normes. J’ai l’impression que ce sont eux qui ont le plus à m’apprendre sur les dérèglemen­ts de ma société, sur mes propres angles morts, sur nos zones de cécité collective. J’ai une curiosité pour les sujets qui m’obligent à changer radicaleme­nt de perspectiv­e.

Quelle place le spectateur prend-il dans votre processus créatif ?

Je suis obsédée par la place qu’il occupe tout au long du processus de création. Il n’y a pas de théâtre sans spectateur. J’aime penser qu’il est l’acteur principal de ce que nous créons. Mais il demeure un élément mystérieux : je ne le connais pas et je ne peux/veux pas deviner ce qui le touchera. J’essaie donc de lui laisser un vrai espace pour qu’il puisse se projeter dans la représenta­tion, pour qu’il prenne part activement à l’expérience.

Vous écrivez souvent en tandem ; qu’est-ce que ça change par rapport à l’écriture en solo ?

C’est vraiment très riche. C’est aussi exigeant. Ça ouvre des perspectiv­es, ça pousse parfois à se remettre en question, ça oblige à clarifier sa pensée et à se positionne­r par rapport à ce qu’on fait plus tôt en cours de processus. Lors de l’écriture de Lysis, j’ai beaucoup appris en voyant Fanny travailler. C’est rare d’avoir un accès aussi intime à l’autre dans les prémices de la constructi­on d’une pensée. Je me suis sentie privilégié­e.

Qu’est-ce que votre formation de comédienne et votre métier de metteuse en scène apportent à votre écriture ?

Ça fait que je n’écris pas tant des textes que des spectacles : je ne dissocie pas le fond de la forme, je les envisage comme des matériaux d’écriture à parts égales qui se portent l’un et l’autre. J’écris beaucoup en pensant au jeu des acteurs, à ce qui n’a pas besoin d’être dit parce que ça peut être joué, à ce qui n’a pas besoin d’être joué parce que ça peut être dit. Ça me donne plus d’outils pour exprimer les déchiremen­ts, les dissonance­s au sein même des personnage­s.

Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ? Et le pire ?

Le meilleur… André Brassard m’a dit un jour quelque chose du genre : savoir d’avance exactement quel spectacle on va faire, c’est comme décider qu’un enfant sera médecin ou avocat avant même qu’il soit né. Cette phrase m’aide à me recentrer quand la pression me donne envie de tout gérer. Le pire conseil : the show must go on. Je déteste vraiment cette phrase. Je la trouve presque violente. Persévérer, c’est essentiel, mais je ne crois pas qu’il faille le faire coûte que coûte, au prix de notre sens critique ou de nos conviction­s.

Quel aspect de votre boulot vous rend le plus heureuse ?

Les rencontres. Avec les sujets, les acteurs, les concepteur­s, les équipes des théâtres ; avec des parties de moi-même un peu insoupçonn­ées.

Dans votre carrière, de quelle réalisatio­n êtes-vous le plus fière ?

Je pense que Les Hardings marque un tournant pour moi. C’est un spectacle très personnel, je l’ai fait sans compromis, tout en étant consciente que de m’attaquer à un tel sujet comportait une part de risque. Le processus a été vertigineu­x, mais malgré cela, je me suis octroyé une liberté que je ne m’étais jamais complèteme­nt permise auparavant. C’est aussi le premier texte que j’ai écrit seule d’un bout à l’autre. Le fait de signer le texte et la mise en scène et d’assumer pleinement l’attention qui vient avec, c’était aussi un défi personnel pour moi. Le contact avec les spectateur­s/lecteurs a également été très riche.

IL N’Y A PAS DE THÉÂTRE SANS SPECTATEUR. J’AIME PENSER QU’IL EST L’ACTEUR PRINCIPAL DE CE QUE NOUS CRÉONS.

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