DROIT DE PAROLE
Comme éditrice, Valérie Lefebvre-Faucher avait la conviction que la littérature devait être un lieu de désobéissance. Elle choisissait ses auteurs pour leur contestation de la norme, leur capacité de créer des dissensus — à l’opposé des consensus. Bref, « le contraire de ce qu’un avocat considérerait comme raisonnable ».
Ses principes se sont heurtés au mur juridique lorsqu’est paru Noir Canada, un essai d’Alain Deneault sur le rôle des minières canadiennes dans les conflits en Afrique. Une poursuite en diffamation de 11 millions de dollars intentée par les multinationales Barrick Gold et Banro s’est réglée avec le retrait du livre.
Le cas a contribué à l’adoption d’une loi contre les poursuites-bâillons. Mais la liberté d’expression en est-elle sortie indemne ? Avec Procès verbal, Valérie Lefebvre-Faucher révèle les coulisses de l’affaire et livre un essai percutant sur l’effritement du droit à la dissidence.
Affronter les procureurs d’une multinationale avec les moyens limités d’une petite maison d’édition l’a laissée exsangue. Et inquiète. « Jusqu’où suis-je prête à aller pour être libre d’écrire ? Quelle est ma responsabilité d’éditrice de livres qui dérangent ? »
Pour les minières, le contenu de l’ouvrage importait peu — presque personne ne l’avait lu. « Ce qui a dérangé, c’est le ton. Le style. C’était un livre scandalisé. »
Quant aux juges, a-t-elle constaté, ils protègent l’ordre avant le bien commun.
« Ce livre et les procédures judiciaires qu’il m’amena m’apprirent que je suis punissable du fait de ne pas avoir pour critère la peur des puissants. »
Une façon de voir qui percole dans la société, selon elle. Chercher à museler les dissidents est une tactique qui se multiplie. Le recours grandissant aux poursuites en diffamation par des gens riches fait triompher une vision partiale de la vérité.
De même, la parole littéraire est devenue suspecte. Elle suscite « agacement, méfiance et douleur ». Dans sa pratique de « travailleuse du texte », Valérie Lefebvre-Faucher remarque que les craintes du crime de pensée ont conditionné les habitudes d’écriture jusqu’à l’autocensure.
L’auteure ne fait pas l’impasse sur une certaine gauche prompte à appeler au boycottage de spectacles ou à la fermeture de médias quand ils propagent des idées qui lui déplaisent. Le pouvoir n’est pas le même, plaide-t-elle. Mais au final, personne ne gagne à faire taire des voix.
Elle note l’ironie d’une propension à la censure dans une société accro à l’expression personnelle. Mais c’est plutôt un glissement vers une société où la non-pensée dérange moins que la pensée subversive, croit-elle. Le bruit des réseaux sociaux tranche avec la parole littéraire réfléchie et ciselée. « S’il y a un silence qui nous manque, c’est surtout le silence de l’écoute. »
Publier ne sera jamais un « safe space », précise-t-elle. Ni pour l’éditeur, ni pour l’auteur, ni pour le lecteur. Valérie LefebvreFaucher plaide néanmoins pour une littérature servant de repère aux idées dérangeantes et à contre-courant. « En général, la parole ne se donne pas, elle se prend. C’est une chose que je n’oublierai plus. » (Jean-Philippe Cipriani)
« Le besoin se fait plus fort cependant de défendre sa voix, de parler pour ne pas se laisser museler, de créer pour ouvrir des chemins, de transgresser les limites avant même qu’elles apparaissent. Je me demande à quel point les paroles qui comptent ne sont pas toujours à leur manière en dehors d’une loi. »