MARIE-RENÉE LAVOIE
Marie-Renée Lavoie a frappé un coup de circuit avec son premier livre, La petite et le vieux, qui a connu un grand succès populaire et critique. Depuis, elle bâtit une oeuvre composée de romans au ton parfois grave, parfois léger, mais qui portent tous sa marque : des personnages denses et ancrés dans la réalité, des phrases parfaitement ciselées et un humour fin qui transparaît même dans les passages difficiles. Ce mois-ci, celle qui partage son temps entre l’écriture et l’enseignement de la littérature publie Diane demande un recomptage (XYZ), la suite du très rigolo Autopsie d’une femme plate.
Où et quand écrivez-vous ?
Dans ma chambre, avec une doudou sur les genoux, mon chien sur les pieds, le chat pas loin. J’aimerais dire que j’écris dans des cafés, mais je n’arrive pas à me concentrer dans le bruit. Alors je m’enferme et j’essaie d’épargner mon dos en enfourchant mon poste de travail ergonomique. Tout en respectant un horaire d’employée de bureau, tant qu’à être plate…
Comment décririez-vous votre démarche artistique ?
Quand une idée se pointe, je me mets rapidement à griffonner dans mes cahiers pour voir si elle va s’éteindre d’elle-même ou survivre. J’ai besoin de vérifier la solidité de l’univers qui s’annonce avant de continuer. Si l’idée survit à ce premier éreintage, je me lance.
Quelle place le lecteur prend-il dans votre processus créatif ?
Ha ! Il m’empêche, entre autres choses, de trop laisser sacrer mes personnages. J’aurais souvent envie de coller plus à la réalité linguistique des milieux populaires, mais je sais maintenant que ça écorche les âmes et les oreilles, alors j’essaie de sabler les tournures pointues.
Écrire un onzième roman, est-ce plus facile qu’en écrire un premier ?
Oui, beaucoup. C’est comme courir un 10 km : on part avec une énergie du diable, puis on se met à souffrir de mille maux, on pense abandonner, mais le fil d’arrivée finit par se pointer, et c’est là qu’on comprend que ça va être possible, qu’on va s’en sortir en un seul morceau. C’est donc plus facile parce que je connais la nature des épreuves à traverser.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ? Et le pire ? Les avez-vous suivis ?
Le meilleur : la vieille dame avec qui j’ai écrit mon tout premier roman, à 14 ans, m’a dit : « Écris toujours, toujours, même si c’est juste des petites choses pour toi. » J’ai des tonnes de cahiers remplis de ces « petites choses » qui m’ont permis de garder la main pendant les périodes de jachère où je devais gagner ma vie.
Le pire : « Écris pas en québécois, ce sera pas traduisible. » Je me suis retenue de le faire au début, mais j’y suis vite revenue, c’était trop fort. J’ai maintenant des livres traduits partout dans le monde (dernier pays en liste : l’Indonésie !). Toutes les langues se déploient en différents niveaux, je ne sais pas pourquoi j’en ai douté.
Quelle partie du travail d’écriture vous rend le plus heureuse ?
Trouver une tournure parfaitement juste, en quelques mots, que je peux relire cent fois sans me tanner. C’est du bonheur pur jus.
Enseigner la littérature, est-ce que ça aide à écrire ?
Ça rend surtout modeste ! Travailler en profondeur les oeuvres des autres, c’est en découvrir tout le génie. Évidemment, c’est aussi très inspirant.
Comment s’est passée la création de votre dernier roman, Diane demande un recomptage ?
Diane… c’est du bonbon. Le duo qu’elle forme avec Claudine en est un d’amies, maintenant. Je ne me bats pas contre ce qui s’impose naturellement avec elles, ce sont des femmes fortes. Du moins sont-elles en train de le devenir. Je me suis beaucoup amusée, j’espère que ça se sentira.
Dans votre carrière, de quelle réalisation êtes-vous le plus fière ?
Je suis fière de m’être donné le droit de faire de tout, de la science-fiction pour ados aux romans « sérieux » en passant par la chick lit. Il y a toujours le risque de n’être pas prise au sérieux en se promenant d’un genre à l’autre, mais je sais aujourd’hui que je peux écrire ce que je veux, qu’on va me suivre. Je me suis offert tous les possibles, c’est merveilleux.
Parmi vos rencontres avec des lecteurs, y a-t-il un moment qui est particulièrement gravé dans votre mémoire ?
Un soir d’Halloween, il y a quelques années, une maman qui accompagnait sa fille m’a avoué qu’on lui avait offert l’un de mes livres pendant qu’elle combattait le cancer et qu’il lui avait fait un bien fou. Juste pour réentendre ça, j’écrirais des centaines de livres. (Propos recueillis par Claudine St-Germain)
IL Y A TOUJOURS LE RISQUE DE N’ÊTRE PAS PRISE AU SÉRIEUX EN SE PROMENANT D’UN GENRE À L’AUTRE, MAIS JE SAIS AUJOURD’HUI QUE JE PEUX ÉCRIRE CE QUE JE VEUX, QU’ON VA ME SUIVRE.