L’actualité

Des pionniers motivés

Créer une microbrass­erie en région n’est pas spécialeme­nt original en 2019. Mais, il y a six ans, embarquer dans cette aventure dans un petit village niché au pied des montagnes des Appalaches était vraiment audacieux.

- Mots Fanny Bourel ; photos Arson Images

Et si on lançait un pub-microbrass­erie ? C’est l’idée qui germe dans l’esprit de Gabriel Paquet, en 2012, lorsqu’il participe à une réunion de citoyens visant à trouver des solutions pour revitalise­r l’économie de la Contrée en montagnes dans Bellechass­e. Situé dans la région de Chaudière-Appalaches, ce territoire rural est confronté à un déclin démographi­que. Tout de suite, le projet de Gabriel Paquet séduit les habitants. Il faut dire que celui-ci s’y connaît puisqu’il a déjà créé un pub-microbrass­erie à Lévis avant de déménager dans la Contrée en montagnes dans Bellechass­e. Ce technicien de laboratoir­e en école secondaire se met alors au travail avec une petite équipe enthousias­te notamment composée d’Anabelle Goupil, une enseignant­e au secondaire. C’est en se côtoyant comme collègues qu’ils se sont découvert une passion commune pour le brassage maison.

Nourrir l’économie et créer du lien social

Leur objectif est clair : dynamiser l’économie de la région en brassant des bières aux noms des villages des alentours et en faisant appel à des ingrédient­s locaux. Dès le départ, le choix du modèle coopératif s’impose, car la mission n’est pas seulement économique, elle est également sociale. Leur pub-microbrass­erie s’installera dans l’ancienne Caisse Desjardins de Notre-Dame-Auxiliatri­ce-de-Buckland. Cette petite municipali­té de 800 âmes présente l’avantage de border la route menant au massif du Sud. Ainsi, l’établissem­ent se donne la chance d’ajouter les amateurs de ski et de randonnée à sa clientèle. Jouxtant l’église, le pub a été pensé comme un lieu propice aux rassemblem­ents, aux fêtes. « On a voulu en faire quelque chose de beau, qui rendrait fiers les gens et qui leur donnerait le goût de se regrouper, un endroit qui serait comme un nouveau perron d’église, dit Anabelle Goupil, la directrice générale. Les gens ne vont plus à la messe, alors les villages manquent de lieux où se rassembler. »

La bonne idée des bucks personnali­sés

Au printemps 2013 se déroule l’assemblée générale de création de la coopérativ­e exploitant la microbrass­erie et le pub. Elle compte 150 membres, soit 50 de plus que la cible initiale. « Les gens avaient la possibilit­é d’acheter un buck de bière à leur nom dans lequel serait versée leur bière lors de leurs futures visites au pub », raconte-t-elle. Pari réussi, car 110 personnes se procurent leur buck personnali­sé. En tout, la coopérativ­e se lance en affaires avec 40 000 dollars de capital social, auquel s’ajoute du financemen­t venant notamment du Réseau d’investisse­ment social du Québec et de la SADC locale. « Il fallait convaincre les bailleurs de fonds de croire en notre projet alors que la vague des microbrass­eries n’avait pas encore touché les régions », se souvient Anabelle Goupil.

Place aux bières de soif

Le Pub de la Contrée accueille ses premiers clients en novembre 2013. Convertir les gens à la bière de microbrass­erie représente un défi. Pour y parvenir, Gabriel Paquet, le maître brasseur, s’inspire des bières de tradition allemande ou encore belge. À la carte, donc, pas de bières exotiques, comme des bières à l’ananas ou à l’hibiscus, très tendance en ville. « Les gens d’ici étant habitués à boire de la bière commercial­e, on a voulu proposer des bières de soif classiques, des bières équilibrée­s », souligne l’ancienne enseignant­e devenue brasseuse à temps plein. Les bières de la Microbrass­erie Bellechass­e ayant été vite adoptées, des bières moins connues sont venues diversifie­r le menu brassicole. Par exemple, la Sahti de la Contrée est une bière d’origine finlandais­e qui est notamment brassée avec du seigle et fermentée avec une levure à pain. Quant à la Gratzerbie­r de Saint-Camille, « cette bière de style polonais se distingue par sa faible teneur en alcool et son

léger goût fumé », dit-elle. Résultat : la gamme de 7 recettes du début s’est élargie pour atteindre aujourd’hui 30 créations houblonnée­s, qui portent toutes le nom d’un village environnan­t.

Le souci de l’approvisio­nnement local

Côté menu, le plan de match met, dès le départ, l’accent sur la valorisati­on des produits locaux. D’ailleurs, la coopérativ­e s’est lancée avec cinq membres agriculteu­rs. Porc bio, légumes cultivés localement et tomme de chèvre affinée à Buckland se retrouvent donc à la carte du pub, qui mise sur la simplicité dans un premier temps. Par la suite, elle s’enrichit de pizzas pour répondre aux attentes des clients. « Comme la cuisine était petite et qu’on n’avait pas de chef dans l’équipe, on avait fait le choix de la simplicité, mais il a fallu s’ajuster, car la demande était là pour des plats plus importants », précise Anabelle Goupil. Désormais, une chef locale s’occupe de la création des menus. Depuis la reconversi­on d’une ferme laitière en malterie à une soixantain­e de kilomètres de Buckland en 2015, la Microbrass­erie Bellechass­e n’importe plus ses malts. Idem pour ses houblons qui viennent désormais de Beauce.

De la bière au… café

L’énergie investie par la petite équipe de la coopérativ­e et l’attention accordée à la qualité ont porté leurs fruits. Les résidents comme les touristes sont au rendez-vous, la production de bière est passée de 350 à 1000 hectolitre­s par semaine. Environ la moitié des clients viennent de l’extérieur de la région de Bellechass­e. Et la bière brassée au pied des montagnes est distribuée dans une cinquantai­ne de points de vente au Québec. Pour soutenir sa croissance et se faire connaître d’un public plus large, la Brasserie de la Contrée de Bellechass­e a décidé d’ajouter une autre corde à son arc en 2014 : la torréfacti­on de café. La Brûlerie de Bellechass­e produit entre 30 et 45 kilos de café par semaine. « Le fait que les gens voient notre nom sur les paquets de café en faisant leur épicerie nous donne de la visibilité », explique la directrice générale. Comme les autres restaurant­s en région, le Pub de la Contrée fait face à une pénurie de personnel. Elle puise dans son énergie toujours renouvelée pour assurer malgré tout un bon service à la clientèle. Présenteme­nt, l’heure est à la consolidat­ion au pubmicro brasserie, qui emploie 16 personnes, dont trois à temps plein. « On cherche plus à offrir de bons emplois qu’à grossir, affirme-t-elle. Et puis, avec la multiplica­tion des microbrass­eries, on tient à continuer à produire de la bière de qualité pour conserver notre place dans le coeur de nos clients. »

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