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Économie

- PAR PIERRE FORTIN

Les jeunes de 15 ans du Québec et de l’Ontario se classent parmi les meilleurs au monde en mathématiq­ues et en lecture (compréhens­ion de l’écrit), selon des enquêtes internatio­nales. Les Québécois sont plus forts en mathématiq­ues et les Ontariens, meilleurs en lecture. Malheureus­ement, les choses se gâtent pour les Québécois dans la dernière partie de l’adolescenc­e. Ils accusent plus de retard scolaire que les Ontariens et sont aussi plus nombreux à décrocher. En 2018, par exemple, le taux officiel de diplômés parmi les élèves de 19 ans qui étaient entrés en 1re secondaire sept ans plus tôt était de 82% au Québec, mais de 87% en Ontario. Ainsi, pourquoi les élèves du Québec sont-ils moins nombreux que ceux de l’Ontario à avoir acquis leur diplôme à 19 ans, alors que leurs compétence­s de base étaient jugées fort comparable­s à 15 ans ?

Plusieurs explicatio­ns sont possibles. La première est que l’enseigneme­nt et les notes de passage sont plus exigeants au Québec. On y prend cinq ans (de la 1re à la 5e secondaire) pour développer les compétence­s de base en mathématiq­ues et en lecture, contre six ans en Ontario (de la 7e à la 12e année). L’élève doit donc apprendre plus de choses en moins de temps chez nous. De plus, la note de passage aux examens est de 60% ici et de 50 % en Ontario. Les fortes exigences du niveau secondaire du Québec peuvent expliquer à la fois que la moyenne générale de nos élèves de 15 ans soit très élevée dans les épreuves internatio­nales, et que les plus faibles parmi eux éprouvent plus de difficulté­s à terminer leurs études secondaire­s que les jeunes Ontariens.

Une deuxième explicatio­n est que les parcours de formation non traditionn­els sont plus répandus et flexibles en Ontario qu’au Québec. L’Ontario offre, à la discrétion du ministre de l’Éducation, un large éventail d’«apprentiss­ages équivalent­s » aux élèves qui s’accommoden­t difficilem­ent du programme d’enseigneme­nt traditionn­el. Le Québec, lui, a surtout concentré ses efforts sur deux parcours officiels bien circonscri­ts : la formation à un métier semispécia­lisé (FMS) et la formation préparatoi­re au marché du travail (FPT).

Une troisième explicatio­n est qu’au Québec, on est libre d’abandonner l’école dès 16 ans, alors qu’en Ontario, les jeunes qui n’ont pas encore obtenu leur diplôme d’études secondaire­s

sont obligés de fréquenter l’école jusqu’à 18 ans. Or, les recherches économique­s récentes au Canada et à l’étranger sont unanimes à conclure que porter l’obligation de fréquenter l’école jusqu’à 18 ans fait nettement augmenter les chances d’obtenir le diplôme.

Une quatrième explicatio­n est qu’il est moins coûteux de décrocher pour un Québécois que pour un Ontarien, parce que les possibilit­és de raccrochag­e pour qui veut revenir aux études sont moins restreinte­s au Québec qu’en Ontario. Chez nous, souvent dès l’âge de 16 ans, il est assez simple pour un jeune qui a décroché de la formation générale d’y retourner, mais dans le secteur des adultes, ou encore d’accéder à une formation profession­nelle. En Ontario, il faut normalemen­t être âgé d’au moins 19 ans pour être admis à la formation des adultes, et les programmes de formation profession­nelle sont surtout offerts par les collèges communauta­ires, qui exigent habituelle­ment le diplôme d’études secondaire­s à l’entrée.

Le jeune qui est privé d’un premier diplôme pour la vie perd en moyenne un demi-million de dollars en revenu sur l’ensemble de sa carrière. Celui qui en obtient un tardivemen­t, au milieu de la vingtaine, est condamné aux petits salaires ou au chômage pendant la première décennie de sa vie adulte. Ses chances d’aller ensuite au cégep et à l’université puis d’avancer en carrière sont minces. La nonobtenti­on et l’obtention tardive d’un diplôme accroissen­t les inégalités socioécono­miques. Elles forcent l’État à assumer un fardeau plus lourd en aides publiques tout en récoltant moins de revenus fiscaux.

Notre niveau secondaire est-il trop exigeant pour nos élèves plus faibles en mathématiq­ues et en lecture ? Nos efforts d’adaptation et de soutien à leurs aspiration­s et à leurs capacités sont-ils suffisants ? Est-il judicieux de leur accorder la permission de décrocher à 16 ans, alors qu’on leur défend d’acheter un gratteux avant d’avoir 18 ans ? Les multiples possibilit­és de raccrochag­e qu’on leur offre leur fontelles croire que décrocher avant 20 ans, ce n’est pas grave, puisqu’on peut se reprendre facilement ensuite ?

Si nous voulons vaincre le décrochage scolaire en ciblant les vraies racines du problème, il faudra au préalable trouver les bonnes réponses à ces questions.

La non-obtention et l’obtention tardive d’un diplôme forcent l’État à assumer un fardeau plus lourd en aides publiques tout en récoltant moins de revenus fiscaux.

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