Politique
Le discours du Trône prononcé à Ottawa le mois dernier est déjà assuré de passer à l’histoire pour sa longueur exceptionnelle : plus de 8 000 mots étalés sur une vingtaine de pages. Aux fins de comparaison, le discours d’ouverture du règne libéral actuel, en 2015, comptait deux fois moins de pages.
Comme les deux discours libéraux précédents, la plus récente feuille de route de Justin Trudeau a manifestement été écrite de la main gauche. À ce chapitre, le penchant naturel du gouvernement libéral concorde avec son statut minoritaire à la Chambre des communes, qui lui commande de rester à gauche pour avoir l’appui du NPD. La vraie question est de savoir si, cette fois-ci, l’encre du discours du Trône était indélébile.
Dans le passé, les idées les plus ambitieuses présentées dans ce genre de discours ont en effet souvent fini par rester lettre morte, quitte à être périodiquement recyclées, comme ce fut le cas dans le texte du mois dernier.
En voici néanmoins cinq qui, si le premier ministre était sérieux, pourraient contribuer à changer des choses.
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1. De tous les engagements à saveur sociale du discours du Trône, celui qui porte sur l’assurance-emploi est l’un des rares dont le gouvernement Trudeau a l’entière responsabilité de la mise en oeuvre.
Contrairement à des projets qui exigent la collaboration des provinces tels que l’instauration d’un régime pancanadien d’assurance-médicaments, la modernisation de l’assurance-emploi relève exclusivement du Parlement fédéral.
Si Ottawa étendait le programme aux pigistes et aux travailleurs autonomes comme il le propose dans le discours du Trône, ce serait la première fois depuis des lunes que, plutôt que de voir des ajustements ponctuels, on assisterait à une véritable mise à niveau destinée à élargir la portée de l’assurance-emploi.
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2. Presque tous les gouvernements qui se sont succédé à Ottawa depuis le milieu des années 1980 ont promis de mettre en chantier un programme national de garde d’enfants. Seul le gouvernement de Paul Martin est passé près d’agir, mais il a perdu le pouvoir avant d’avoir pu cimenter les fondations du projet.
Ce qui est différent cette fois-ci, c’est que la pandémie a eu un effet particulièrement négatif sur la participation des femmes au marché du travail
et, par ricochet, sur les espoirs d’une relance vigoureuse de l’économie.
La présence autour de la table du Cabinet d’une masse critique de femmes, à commencer par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, qui tient désormais les cordons de la bourse, pourrait-elle — comme au Québec à l’époque de la création des CPE — faire bouger les choses ?
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3. Le discours du Trône engage le gouvernement à mettre « immédiatement en place » un plan visant à dépasser les objectifs climatiques du Canada pour 2030.
Dans cette phrase, c’est le mot «immédiatement» que les milieux qui s’intéressent à la question environnementale ont surtout retenu. Il explique en partie le bon accueil que les environnementalistes ont réservé au plan fédéral.
À la clé de ces réactions favorables, il y avait également du soulagement à l’idée que la lutte contre les changements climatiques ne semblait pas être laissée pour compte dans les projets de relance fédéraux.
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4. Le gouvernement Trudeau a réitéré son intention de légiférer pour mettre en oeuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones d’ici la fin de l’année. Et le leadership autochtone entend bien l’obliger à respecter son calendrier serré.
Certaines provinces, dont le Québec, tout comme l’opposition officielle conservatrice, ne voient pas d’un bon oeil la réalisation de ce qui est devenu une promesse phare de Justin Trudeau. Parmi les projets à l’étude cet automne au Parlement, celui-ci pourrait faire des flammèches.
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5. Passé inaperçu dans le brouhaha du discours du Trône, l’engagement d’Ottawa de renforcer la Loi sur les langues officielles pour tenir compte « de la réalité particulière du français » pourrait mener à des accommodements qui iraient dans le sens d’assujettir à la loi 101 les entreprises sous compétence fédérale présentes au Québec.
Les trois principaux partis d’opposition sont partants pour une telle mesure. Mais c’est la première fois qu’un gouvernement fédéral, et libéral de surcroît, évoque l’idée de renoncer à l’application complète de la politique de bilinguisme officiel pour ménager un statut particulier au français au Québec.
À suivre…
La vraie question est de savoir si, cette fois-ci, l’encre du discours du Trône était indélébile.