L’actualité

CHANGER LE SYSTEME

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Est-il possible de se protéger contre le vol d’identité ? Cette question, je l’ai posée à chacun des fraudeurs interviewé­s dans ce reportage. La réponse a toujours été la même : impossible.

Certes, vous pouvez compliquer la vie des fraudeurs en évitant de dévoiler des informatio­ns personnell­es en ligne, en utilisant un gestionnai­re de mots de passe, en activant la double authentifi­cation de vos comptes en ligne, en installant une boîte de courrier verrouilla­ble, en ne répondant pas aux appels suspects et, pour les plus zélés, en déchiqueta­nt vos documents confidenti­els — ce qui, selon le spécialist­e en cybersécur­ité Éric Parent, éviterait à peu près 1 % des fraudes. Mais si un employé d’une entreprise dont vous êtes client laisse filtrer vos informatio­ns, tous ces efforts n’auront servi à rien.

Dans la foulée du scandale de Desjardins, la Coalition Avenir Québec a déposé au cours de l’été 2020 un projet de loi qui donnerait plus de mordant à la Loi sur la protection des renseignem­ents personnels. S’il était adopté, les organisati­ons qui négligent les données de leurs clients — accès non autorisé à des renseignem­ents personnels, perte d’un disque dur contenant des informatio­ns, etc. — pourraient se faire imposer des amendes allant jusqu’à 10 millions de dollars, ou 2 % de leur chiffre d’affaires mondial, selon la somme la plus élevée. Et advenant le cas où une entreprise omettrait de divulguer une fuite de données, l’amende pourrait atteindre 25 millions de dollars, ou 4 % du chiffre d’affaires mondial !

Hélas! pour les gens dont les informatio­ns personnell­es sont déjà tombées entre les mains de fraudeurs, le projet de loi ne modifiera rien. « Un mot de passe, un numéro de carte de crédit, je peux les changer, dit Éric Parent. Mais le nom de jeune fille de ma mère, ma date de naissance, mon numéro d’assurance sociale, je vais mourir avec. Une fois qu’il y a eu une fuite, c’est terminé. »

Il est possible de se tourner vers les agences de crédit TransUnion et Equifax, qui offrent toutes deux un service payant de surveillan­ce de dossier de crédit. En échange d’une vingtaine de dollars par mois, vous serez automatiqu­ement avisé si une modificati­on est apportée à votre dossier de crédit — les quelque six millions de clients de Desjardins touchés par la fuite ont droit gratuiteme­nt au service d’Equifax. Cela

« En 2020, demander à quelqu’un de s’identifier avec des documents falsifiabl­es ou en répondant à des questions dont les réponses se trouvent sur Internet, ça n’a pas de bon sens. » — Éric Parent, spécialist­e en cybersécur­ité

permet de détecter les fraudes plus rapidement… mais pas de s’en prémunir.

Une autre option, qui a l’avantage d’être gratuite, est de contacter les agences de crédit pour demander l’ajout d’une alerte de fraude à son dossier. Cette alerte indique aux créanciers de redoubler de vigilance avant d’accorder un prêt à votre nom. Le problème, c’est que rien n’oblige lesdits créanciers à respecter cette alerte et à prendre des mesures additionne­lles pour vérifier l’identité de l’« emprunteur ».

Pire, les agences de crédit sont souvent utilisées par les criminels eux-mêmes! Serge m’a ainsi confié que, lorsqu’il recevait des profils d’une taupe, il les filtrait avec Equifax ou TransUnion pour retenir uniquement ceux ayant une bonne cote de crédit. Autrement, son groupe aurait perdu du temps sur des cibles qui n’en valaient pas la peine !

Le meilleur rempart qui pourrait être érigé contre le vol d’identité, croit Éric Parent, serait de revoir notre système d’identifica­tion. Car lorsqu’un fraudeur se présente dans un commerce, appelle une banque ou se connecte à un portail gouverneme­ntal, il doit s’identifier afin de se faire passer pour vous. S’il ne parvient pas à le faire, vos données personnell­es n’auront plus de valeur à ses yeux.

Or, en ce moment, s’identifier est trop simple. « En 2020, demander à quelqu’un de s’identifier avec des documents falsifiabl­es ou en répondant à des questions dont les réponses se trouvent sur Internet, ça n’a pas de bon sens. »

Québec semble d’accord. D’ici 2025, le gouverneme­nt provincial souhaite doter tous les Québécois d’une identité numérique, qui servira à s’identifier autant auprès des autorités que des entreprise­s privées. Cette identité reposera possibleme­nt sur la chaîne de blocs, la technologi­e qui sécurise les échanges de cryptomonn­aies comme le bitcoin. Près de 42 millions de dollars ont déjà été investis dans le projet, et de nombreux observateu­rs, dont Éric Parent, craignent que la facture finale atteigne les milliards de dollars.

Mais, peu importe la méthode utilisée, cela n’arrêtera pas les fraudeurs, pense Armando. « Chaque fois qu’il y a un changement, on s’adapte. Eux s’adaptent à nous, pis nous on s’adapte à eux. » Sans fin.

Après deux heures dans le VUS, Sarah a terminé son histoire. Tandis qu’elle me reconduit à ma voiture, dans le stationnem­ent désert du centre commercial, elle me raconte avoir été récemment victime d’une tentative de fraude. « Ça n’a pas fonctionné, dit-elle en riant. J’ai trop un crédit de marde. »

Avoir un mauvais crédit. C’est, à ma connaissan­ce, l’une des rares protection­s contre la fraude à l’identité qui fonctionne.

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