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Je sais dans quoi je m’embarque

Paul St-Pierre Plamondon ne se fait pas diffusions : reoonstrui­re une formation politique qui a essuye les pines resultats eleotoraux de son histoire fors des deux derniers sorutins est un defi titanesque. Mais le nouveau ohef du Parti quebecois semble ju

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« Je sais dans quoi je m’embarque »

Paul St-Pierre Plamondon ne se fait pas d’illusions : reconstrui­re un parti politique qui a essuyé les pires résultats électoraux de son histoire lors des deux derniers scrutins est un défi titanesque. Mais le nouveau chef du Parti québécois semble justement carburer aux missions impossible­s.

Diriger le Parti québécois ramène Paul St-Pierre Plamondon à ses souvenirs d’enfance. Avant ses tournois de tennis, quand il avait 12 ans, il écoutait souvent un vieux disque vinyle que son père faisait jouer pour le motiver : Mets World Series

1969, un enregistre­ment de la victoire-surprise des Mets de New York contre les puissants Orioles de Baltimore en Série mondiale de baseball. « C’était le message que tout est possible », raconte le nouveau chef du PQ, élu le 9 octobre dernier.

Cette formation a été surnommée « l’équipe miracle». Depuis leur arrivée dans les ligues majeures sept ans auparavant, les Mets de New York étaient la risée des amateurs. Jamais une équipe n’avait accumulé autant de défaites en si peu de temps. Le gérant de 1962 à 1967, Casey Stengel, découragé, avait même lancé à un journalist­e: «Je découvre de nouvelles façons de perdre dont j’ignorais l’existence. » Et pourtant, en 1969, l’équipe s’est rendue jusqu’aux grands honneurs.

Vingt ans plus tard, à la fin des années 1980, dans la Honda Civic bleu métallique familiale qui les transporte de tournoi en tournoi, Jacques Plamondon (qui était alors directeur général de la fédération de tennis de table du Québec) répète à son fils que « ceux qui rêvent et persévèren­t, même lorsque tout va mal, font parfois des miracles ». Des paroles qui guident encore aujourd’hui Paul St-Pierre Plamondon. « Mon père m’a appris qu’il ne faut pas faire les choses en fonction de ce que les gens disent, mais en fonction de nos valeurs et du projet qu’on veut servir », se remémore-t-il.

À 43 ans, l’avocat et père de deux jeunes enfants affronte le plus important défi de sa vie : reconstrui­re un parti politique qui a essuyé les pires résultats électoraux de son histoire lors des deux derniers scrutins. La moyenne des récents sondages, établie par le site Qc125 de notre collaborat­eur Philippe J. Fournier, crédite le Parti québécois de 14 % des intentions de vote, 30 points derrière la Coalition Avenir Québec de François Legault. Chez les 18-34 ans, la formation souve

rainiste arrive au dernier rang à l’Assemblée nationale.

Au départ de la prochaine campagne, en 2022, une génération entière de Québécois n’aura jamais assisté à une victoire électorale majoritair­e du PQ — la dernière remonte à 1998. Depuis, six leaders se sont succédé à la tête du parti.

Paul StPierre Plamondon ne se défile pas : la mission, à première vue, semble impossible. « J’ai décidé de reprendre le flambeau de l’indépendan­ce et du péquisme, même si tout le monde dit que c’est le parti d’une génération et que certains prédisent sa mort. J’ai le privilège de pouvoir essayer mon plan de match pour rénover le Parti québécois. »

Pour l’instant, ce plan demeure flou. Les grandes lignes se résument à une cause, la souveraine­té du Québec, et à un trait de caractère du chef, la déterminat­ion. Le reste de la stratégie viendra plus tard.

Lorsque je lui demande comment il compte battre la CAQ en 2022, Paul StPierre Plamondon répond qu’il présentera un projet d’avenir aux Québécois et qu’il misera sur une « authentici­té assumée » pour y arriver. « La CAQ est un parti fédéralist­e qui laisse croire aux gens qu’il ne l’est pas, soutientil. C’est une formation qui accumule les échecs auprès du Canada. Elle ressemble à une agence de relations publiques qui se déguise en gouverneme­nt. L’authentici­té du PQ va nous aider. Si un électeur ou un militant est encore au PQ, c’est qu’il est là pour la cause, pas pour un gain à court terme. »

À plusieurs reprises durant notre entrevue en visioconfé­rence, lui dans un bureau au dernier étage du parlement, à Québec, moi dans ma cuisine, à Montréal, Paul StPierre Plamondon répétera qu’il a « le couteau entre les dents », une volonté sans faille de faire sa place.

« Il faut assumer pleinement ses idées et aller chercher les gens qui partagent notre pensée, tout en étant responsabl­e et humaniste. Ce sera mon style de leadership : répondre aux détracteur­s du tac au tac, et avoir le couteau entre les dents », lancetil en se déplaçant sans arrêt dans la pièce aux murs beiges ornés de toiles représenta­nt les paysages du Québec, son ordinateur à bout de bras.

Lors du conseil national virtuel avec les militants péquistes, le 23 novembre dernier, le 10e chef de l’histoire du PQ a inauguré un « nouveau cycle vers l’indépendan­ce », soutenant qu’il n’y a « rien de farfelu à assumer le point de vue légitime de 40 % de Québécois ». Après l’attentisme de Pauline Marois et la volonté de JeanFranço­is Lisée de repousser un référendum sur la souveraine­té, le PQ est redevenu un parti pressé de faire l’indépendan­ce. « Cette question est appelée à revenir. L’indépendan­ce est une question de vérité, de pérennité de la langue française et de culture », affirme StPierre Plamondon. Un éventuel gouverneme­nt dirigé par celuici dépenserai­t des fonds publics pour promouvoir son option et tiendrait un référendum dès son premier mandat.

Or, le plus récent sondage Léger sur le sujet, paru à la midécembre 2020, montre que seulement 27 % des Québécois sont favorables à la souveraine­té du Québec — 52 % sont contre et 21 % ne savent pas ou refusent de répondre.

Y atil une place dans le débat public pour la promotion de l’indépendan­ce, au moment où le Québec traverse la pire crise sanitaire de son histoire, doublée d’une récession économique ? Sans aucun doute, clame le nouveau chef. « La pandémie ne sera pas éternelle. On se prépare aux élections de 2022. Le coronaviru­s a permis de mettre au jour plusieurs dysfonctio­nnements du Canada. Par exemple, le refus d’augmenter les transferts en santé aux provinces ou le retrait précipité de l’armée des CHSLD, en juin dernier. Je trouve qu’il y a eu un mépris du Québec de la part du gouverneme­nt fédéral durant la pandémie. »

Lors de sa première course à la direction du PQ, en 2016, Paul StPierre Plamondon était pourtant l’un des candidats les moins pressés de faire l’indépendan­ce. Pendant que la députée Martine Ouellet proposait un référendum dans un premier mandat, il souhaitait le reporter à un deuxième, au mieux. En 2014, dans son livre Les orphelins politiques (Boréal), il reprochait d’ailleurs au Parti québécois son « obsession référendai­re ».

Son changement de cap en 2020 a surpris bien des militants péquistes — et les observateu­rs politiques ! Il se défend toutefois d’avoir modifié son discours pour plaire à la base du parti. « En 2016, l’urgence était de sortir les libéraux, justifieti­l. Sinon, j’aurais été favorable à la tenue d’un référendum dans un premier mandat. Maintenant que les libéraux ont levé les feutres, c’est différent. Ce qui serait illogique, ce serait de trouver une nouvelle excuse pour repousser encore le référendum. Il n’y a pas d’excuses. »

L’aventure jusqu’à la terre promise pourrait cependant être longue, convient Paul StPierre Plamondon, qui estime que le manque de stabilité à la tête du parti et les changement­s de priorités des chefs successifs ont contribué à miner la confiance des électeurs. Il a la ferme intention de faire mentir la réputation d’une formation qui mène la vie dure à ses dirigeants. S’il ne devient pas premier ministre en 2022,

il ne démissionn­era pas, jure-t-il. « Je sais dans quoi je m’embarque. Je me suis engagé à assurer une stabilité pendant les prochaines années et à rebâtir le parti. Tant qu’on progresse, qu’on attire des candidats de qualité et qu’on réussit, dans l’espace public, à réhabilite­r l’indépendan­ce, ça ira. On n’est pas dans une logique électorali­ste. L’important, c’est d’inspirer la population. Ça peut aller vite, mais ça peut aussi prendre des années, et j’ai signé en bas du contrat pour ça. »

Il pourra compter sur le soutien de son épouse, Alexandra Tremblay, 34 ans, qui a mis sa carrière de chargée de projet philanthro­pique en veilleuse pour accompagne­r son mari dans ses nouvelles fonctions. Le couple — qui a une fille de 2 ans et demi, Laurette, et un garçon de 11 mois, Maurice — vivra avec un seul salaire. Alexandra jouera un rôle bénévole au sein du PQ. « Dans les prochaines années, toute notre vie sera bâtie autour de la politique, explique le principal intéressé. En plus de cette énorme pression, si ma conjointe travaille ailleurs, on va finir avec un divorce et on ne veut pas ça ! On a décidé d’entrer là-dedans ensemble et on va en sortir ensemble. »

Ceux qui fréquenten­t Paul St-Pierre Plamondon depuis des années affirment qu’il déborde de confiance et qu’il a « du front tout le tour de la tête ». En 2016, alors qu’il se décrivait encore comme un orphelin politique déçu de l’offre des partis au Québec, il a soudain brigué la direction du PQ, sans même tenter de se faire d’abord élire député. « Ça s’est fait sur un coup de tête, lâche-t-il en souriant. J’ai pris ma décision en 24 heures ! Je n’ai pas réfléchi longtemps. J’avais quelque chose à faire valoir et si ce parti était pour rebondir, aussi bien amener mes idées. Je ne m’attendais pas à gagner, mais j’ai réussi à occuper l’espace. »

Kamikaze ? Plutôt l’attitude d’un entreprene­ur qui n’a pas peur de prendre des risques, réplique St-Pierre Plamondon. Il a d’ailleurs récemment changé sa bio sur Twitter pour y inscrire « entreprene­ur en pays ».

« Si on doit entreprend­re un projet comme l’indépendan­ce du Québec — et je suis conscient que juste le dire semble rêveur —, si on veut rendre justice à toutes les génération­s de Québécois qui désirent un pays depuis les Patriotes, il faut avoir ce tempéramen­t de fonceur, soutient-il. On ne peut pas être calculateu­r et tenter de se placer les pieds en fonction de ce qui a le plus de chances de fonctionne­r. Ça prend la mentalité de quelqu’un qui a tout à gagner. J’aime foncer. »

En 2005, lorsqu’il emprunte le chemin de la prestigieu­se Université d’Oxford, en Angleterre, pour y faire une maîtrise en administra­tion des affaires, il emporte dans ses bagages un vieil équipement de gardien de but de hockey, acheté pour 150 dollars quelques jours plus tôt sur Kijiji. Son ambition : devenir le cerbère de l’équipe de hockey d’Oxford. Or, non seulement il ne sait pas si le poste est disponible, mais il n’a jamais défendu le filet ! « Je suis une passoire selon tous les standards ! rigole-t-il. Je n’ai pas joué au hockey mineur. Mais je voulais être le gardien de but de l’équipe. »

À l’aéroport, ses parents et amis, désarçonné­s, le regardent partir avec ses jambières bleu et blanc usées. « Je n’avais pas l’air crédible ! Le look était terrible. » Il se taillera finalement une place de réserviste, avant de jouer le rôle de gardien titulaire pendant la saison. Lors du match ultime, en finale de la Coupe Patton contre l’université rivale de Cambridge, il protège la cage devant une foule de 2 000 spectateur­s entassés dans l’aréna. Son père, qui a fait le voyage à la demande de son fils, le voit porter le trophée à bout de bras au centre de la glace. Pas loin d’un miracle.

Paul St-Pierre Plamondon affirme tenir cette mentalité de fonceur de son grand-père paternel, Paul-Henri Plamondon, qui a lancé 13 entreprise­s dans sa vie et a été président de la Chambre de commerce de Québec, en plus de diriger la Plume rouge, un organisme de bienfaisan­ce devenu Centraide Québec. C’est lui, avec son frère et quelques hommes d’affaires, qui a fondé le Carnaval de Québec, en 1954. Propriétai­re du Manoir St-Castin, à Lac-Beauport, il cherchait à attirer davantage de touristes en hiver dans la région.

Le jeune Paul retiendra également « l’éthique de travail » et « la volonté de viser toujours plus haut » de la famille de sa mère, les St-Pierre. « Mon père était un adepte de la simplicité volontaire dans les années 80, bien avant que ce soit à la mode. Je me faisais souvent répéter que la seule richesse est entre les deux oreilles. C’était différent du côté de ma mère. Les familles Plamondon et St-Pierre ne se ressemblen­t pas du tout. Mes parents sont d’ailleurs divorcés ! » lance-t-il en riant.

Paul St-Pierre Plamondon grandit dans une famille qu’il décrit comme « conservatr­ice » et « croyante », même si la cellule de cinq — il a un frère et une soeur plus jeunes — ne fréquente pas l’église. « On croit à l’importance de la tradition,

Plamondon Paul St-Pierre sa première à l’annonce de campagne à la direction en juin 2016; du Parti québécois, autres en compagnie des chefferie du PQ candidats à la Guy Nantel et Frédéric Bastien, juste avant Sylvain Gaudreault la du résultat de le dévoilemen­t dernier. course, le 9 octobre

de la continuité. On pose des questions sur le sens de la vie », dit-il, ajoutant que, pour ses grands-parents, « les valeurs chrétienne­s, les bonnes oeuvres, c’était important ».

Les idées progressis­tes entrent dans sa vie à 17 ans, lorsqu’il passe une année scolaire au Danemark, dans le petit village de Varnaes. Il est hébergé dans la famille d’un pasteur luthérien, Povl Callesen, très conservate­ur sur les plans culturel et religieux — ils vont à l’église tous les dimanches —, mais socialemen­t de gauche : éducation publique gratuite, redistribu­tion des richesses, mesures environnem­entales innovatric­es, tolérance envers les différence­s, égalité entre les hommes et les femmes, etc. « Povl est l’une des personnes les plus à gauche que j’aie jamais rencontrée­s. Cette année-là a fait de moi un progressis­te pour le reste de mes jours. »

De retour au Québec, il fréquente le cégep privé André-Grasset, à Montréal, où il devient président de l’associatio­n étudiante à la suite d’une campagne électorale pendant laquelle il utilise la formule « Paul et ça devient possible », une référence au camp du Oui, dont le slogan référendai­re était « Oui et ça devient possible ». Il vote d’ailleurs pour la première fois lors du référendum de 1995. « Toute ma famille a voté Non. J’étais le seul à voter Oui. Au point que mon père a refusé de m’emmener au bureau de scrutin ; j’y suis allé à pied ! »

Il ne demeure toutefois pas souveraini­ste bien longtemps. Dans la vingtaine, après avoir obtenu un diplôme en droit de l’Université McGill, il pratique dans les grands cabinets d’avocats de Montréal, notamment chez Stikeman Elliott, et se dit « disponible politiquem­ent ». Ses amis de l’époque le décrivent davantage comme un fédéralist­e. « Je n’étais membre d’aucun parti politique. Ça ne m’intéressai­t pas trop, en réalité. J’ai commencé à suivre la politique pendant ma trentaine », explique-t-il.

C’est lors de ses nombreux passages à l’émission Bazzo.tv, à TéléQuébec, à partir de 2010, que St-Pierre Plamondon « fige [son] identité politique ». Il discute avec les politicien­s et ex-élus souveraini­stes qui se présentent à l’enregistre­ment. Il se souvient d’une conversati­on marquante d’une quinzaine de minutes avec Jacques Parizeau. « Il a répondu à toutes mes questions de jeunot sur la Révolution tranquille et son évolution vers le PQ », relate-t-il.

Durant plusieurs années, il est avocat et commentate­ur à la télé. Il multiplie les lettres ouvertes dans les journaux, principale­ment dans Le Devoir, qu’il écrit avant de se coucher pour dénoncer « les magouilles et la corruption de l’ère Charest ». « J’avais deux personnage­s. J’ai été une sorte de Batman pendant cinq ou six ans : avocat le jour, héros de la justice sociale le soir ! » s’amuse-t-il.

Après une défaite comme candidat péquiste dans Prévost en 2018 face à l’actuelle ministre responsabl­e des Aînés, Marguerite Blais, St-Pierre Plamondon se lance pour la deuxième fois à l’assaut de la direction du PQ en janvier 2020. Le favori de la course est alors le député Sylvain Gaudreault, suivi de près par l’humoriste Guy Nantel. Dans le premier sondage Léger, Paul St-Pierre Plamondon constate que ses chances de l’emporter ne sont que de 5 %. Aucun député du caucus ne se rangera derrière lui.

Une dizaine de mois plus tard, après trois débats des candidats où il a fait bonne figure et des centaines de rencontres avec les militants par Zoom et Teams, en raison de la pandémie, il coiffe ses adversaire­s au troisième tour, avec 56 % des voix. Ce soir-là, Paul St-Pierre Plamondon a pensé à son père et aux Mets de 1969. « Les projets dont on rêve sont souvent les plus difficiles à réaliser, mais aussi les seuls qui comptent vraiment. »

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