L’actualité

Le mot de la rédactrice en chef

- CLAUDINE ST-GERMAIN

J’écris ces lignes dans un bureau qui semble abandonné. Il se trouve au dernier étage d’un immeuble désert, dans un centre-ville qui l’est tout autant. Alors que je me payais le luxe d’arrêter dans mon café préféré avant de venir me cloîtrer seule ici, le barista m’a annoncé que l’endroit fermerait dans une semaine.

Pour moi qui voulais donner un ton positif à mon premier billet en tant que rédactrice en chef, ça commençait mal.

L’hiver est dur, c’est indéniable. Vous n’avez pas besoin que j’énumère les raisons qui font que nous sommes collective­ment en train de puiser dans nos dernières réserves d’énergie, de patience et d’indulgence. On a beau voir la lumière clignoter faiblement au bout du tunnel, il faut quand même se rendre jusqu’à elle.

Travailleu­rs de la santé, enseignant­s, restaurate­urs, petits entreprene­urs, chômeurs, étudiants, parents, personnes seules : les cris de détresse s’élèvent de partout. Même ceux qui vont « bien » selon les standards de l’époque ont le moral à plat. La première vague de la pandémie a été marquée par l’angoisse, la peur face à l’inconnu ; la deuxième est remplie d’un ennui poisseux impossible à chasser. Après un an à faire des marches et à regarder des séries télé, l’écoeuranti­te s’installe... La preuve : le Québec entier s’est mis à façonner des bonshommes de neige après une bordée somme toute ordinaire, et la planète fabrique frénétique­ment des mèmes quand un sénateur se pointe à l’investitur­e américaine avec des mitaines de laine. On se divertit avec les miettes qui restent.

Le manque de contacts humains se fait de plus en plus lancinant. S’il y a une chose que la pandémie a démontrée, c’est que les interactio­ns virtuelles n’arrivent jamais à la cheville de celles en personne. Les conversati­ons au téléphone ou sur écran, c’est mieux que rien, bien sûr. Mais ça reste un succédané. Nous nous languisson­s de ne pas voir nos proches « en vrai ». Dix apéros Zoom ne valent pas un repas partagé autour d’une table. C’est comme regarder un documentai­re sur l’Italie plutôt que d’y aller : pas la même chose.

C’est parce qu’il est dans notre nature de chercher la compagnie des autres qu’il est si difficile de suivre les règles sanitaires à la perfection. Encore davantage quand on va mal ou que ceux qu’on aime souffrent; notre tête a beau être rationnell­ement d’accord avec le bien-fondé du confinemen­t, c’est notre coeur qui saigne lorsque nous voyons notre enfant ou nos parents dépérir.

Dans la mission fondatrice de ce magazine, il y a cet élément fondamenta­l : se concentrer sur les solutions plutôt que sur les problèmes. Ces temps-ci, c’est plus facile à dire qu’à faire. Je m’essaie tout de même : je propose que, collective­ment, nous nous donnions un break.

Pas en ce qui concerne le respect des règles sanitaires, évidemment. Nous ne sortirons jamais de ce cauchemar si les Québécois n’adhèrent pas tous aux consignes le plus strictemen­t possible.

Mais pour le reste, investisso­ns à fond dans l’empathie, l’indulgence, le réconfort. Mettons la mesquineri­e sur pause ; accordons le bénéfice du doute avant de lancer des roches. Baissons nos attentes envers nous-mêmes. Ce n’est pas ce printemps que nous atteindron­s des records de performanc­e. Plongeons sans vergogne dans ce qui nous fait du bien : bouffe, films des années 1980, hockey bottine, bandes dessinées déjà lues 20 fois. La nostalgie peut servir de doudou mentale, abusons-en sans remords.

À la fin de la journée, je retournera­i vers mes enfants qui auront encore passé trop d’heures à jouer sur une tablette. Ils vont demander si on peut faire quelque chose de « spécial » ce soir. Je ne sais plus quoi inventer pour répondre à cette requête. Mais il faut quand même continuer d’essayer. Un jour, l’activité spéciale sera d’aller chez des gens, et ce sera formidable.

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