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- PAR PIERRE FORTIN

La rivière Chaudière est un de nos plus beaux chemins d’eau. C’est le coeur et l’âme de la Beauce. Malheureus­ement, les crues printanièr­es qui dépassent le seuil d’inondation y sont récurrente­s. Le coût humain du débordemen­t d’avril 2019 et du relogement qui a suivi a été terrible, et le coût financier, astronomiq­ue. Le gouverneme­nt du Québec a dû verser plus de 100 millions de dollars en aide aux sinistrés de la région. Pire encore, dans le rapport que les hydrologue­s Pascale Biron, Étienne Boucher et Wael Taha ont remis au ministère de l’Environnem­ent du Québec en avril dernier, ceuxci ont souligné le danger que la situation s’aggrave dans l’avenir. Selon ce comité d’experts, «il est probable que les événements hydrologiq­ues extrêmes sur la rivière Chaudière augmentero­nt au cours des prochaines années ». D’où vient le problème et comment l’attaquer ?

Le problème est structurel. Il concerne surtout le tronçon entre Beaucevill­e et Scott. Entre ces deux villes, la pente hydrauliqu­e est proche de l’horizontal­e. En coulant de Beaucevill­e à Scott, l’eau ne baisse en moyenne que de 1,5 m tous les 10 km, alors que son niveau chute de 8 m tous les 10 km de SaintGeorg­es à Beaucevill­e, et de 16 m tous les 10 km de Scott à SaintLambe­rtdeLauzon.

Il y a deux conséquenc­es. La première est que, coincée dans le tournant, Beaucevill­e est la cible idéale pour les embâcles. Chaque dégel fait descendre un gros train de glace morcelée dans la pente abrupte de la rivière à partir de SaintGeorg­es. Mais le risque est élevé que ce convoi soit bloqué là où la pente s’aplatit, à l’approche de Beaucevill­e. Un embâcle peut alors se former sur quelques kilomètres et retenir une énorme quantité d’eau. Quand la pression devient trop forte, l’embâcle éclate et relâche l’eau. C’est comme si un barrage d’HydroQuébe­c cédait. La débâcle peut faire monter le niveau de l’eau de deux mètres en une heure à Beaucevill­e. Pardessus le marché, l’embâcle peut se reformer en aval, obstruer le passage d’évacuation et ralentir l’écoulement des eaux d’inondation.

La deuxième conséquenc­e est que le décrocheme­nt d’embâcles à Beaucevill­e augmente le risque d’inondation­s dites en eau libre, causées seulement par une hausse importante du débit, sur le reste du tronçon plat de la rivière jusqu’à Scott. Le

niveau d’eau monte vite, et il baisse ensuite lentement parce que la pente hydrauliqu­e est faible et que la plaine inondable est plus vaste qu’à Beaucevill­e. En 2019, ce sont SainteMari­e et Scott, au bout du tronçon, qui ont subi les pires inondation­s en eau libre.

Les trois hydrologue­s ont proposé plusieurs solutions. Pour empêcher les embâcles près de Beaucevill­e, ils recommande­nt d’installer des structures légères de rétention de la glace dans la rivière et ses tributaire­s en amont ; de gérer adroitemen­t l’estacade au sud des RapidesduD­iable afin de limiter l’accumulati­on de frasil ; et d’affaiblir le couvert de glace au pont de Beaucevill­e et en aval par divers moyens mécaniques. Pour éviter les inondation­s en eau libre audelà de Beaucevill­e, ils recommande­nt la modération quant aux solutions d’« ingénierie dure » comme l’endiguemen­t et l’excavation, car ces solutions sont souvent coûteuses financière­ment et dommageabl­es pour l’environnem­ent. De Beaucevill­e à Scott, le relogement des résidants est donc aussi une option à considérer, mais les décisions à ce sujet doivent être prises en collaborat­ion avec la population, et les compensati­ons à verser doivent être négociées avec l’État.

À vue de nez, les travaux suggérés par le comité d’experts et les compensati­ons accordées aux citoyens pourraient coûter jusqu’à 500 millions de dollars à l’État. Un tel investisse­ment en vaudraitil la peine? Oui, assurément. Avec les faibles taux d’intérêt actuels, le moment est parfait pour régler le problème des inondation­s de la Chaudière une fois pour toutes. Juste pour donner une idée, un emprunt de 500 millions de dollars assumé moitiémoit­ié par Ottawa et Québec coûterait au total 8 millions par année en intérêts à payer, partagés entre les deux gouverneme­nts (plus le coût d’entretien annuel des structures qui seraient mises en place). Ce serait moins cher, tout compte fait, que les coûts économique­s et humains des inondation­s périodique­s que ces travaux et compensati­ons permettrai­ent d’éviter. Il ne fait aucun doute que l’investisse­ment serait financière­ment et socialemen­t rentable.

Libérer la Beauce des risques d’inondation­s de la rivière Chaudière exprimerai­t en même temps notre vive reconnaiss­ance à cette région pour son apport incomparab­le à l’économie du Québec.

Avec les faibles taux d’intérêt actuels, le moment est parfait pour régler le problème des inondation­s de la Chaudière une fois pour toutes.

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