4 RAISONS D’ESPÉRER
L’année 2020 a été si cauchemardesque sur les plans sanitaire et économique qu’il est naturel de s’inquiéter de ce que nous réserve 2021. Un rebond ? Ou au contraire une rechute spectaculaire, vu l’ampleur de la deuxième vague de la pandémie de COVID‑19 ? Des signaux clairs permettent d’être raisonnablement optimiste quant au rétablissement progressif de l’économie québécoise durant les prochains trimestres. La santé financière des PME d’ici et, de manière plus générale, de la grande majorité des Québécois pourrait ainsi connaître une nette amélioration. Voici les quatre principaux signaux observés par les experts. Les vaccins sont en train de changer la donne
« Les vaccins ne sont plus un rêve, mais une réalité, et le programme de vaccination doit permettre d’immuniser tous les Canadiens, ou presque, d’ici la fin de l’été prochain », dit Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins. « Nous devrions donc connaître encore des soubresauts économiques durant les six premiers mois de l’année : personne ne sait avec certitude quand prendront fin les mesures sanitaires actuelles ni s’il va falloir les durcir davantage, ici ou là, en fonction de l’évolution de la pandémie. C’est à partir de l’automne qu’on devrait assister à une vraie reprise, les gens pouvant alors retrouver une certaine normalité dans leur quotidien : choisir entre le travail au bureau et le télétravail, magasiner l’esprit tranquille, etc. »
Un scénario possible à une condition: la grande majorité des Québécois doivent être vaccinés d’ici là. Ce qui s’annonce bien puisque, selon un sondage de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) mené en janvier, 74 % des Québécois auraient l’intention de se faire vacciner dès que leur tour sera venu.
Les tensions commerciales vont s’apaiser à l’échelle internationale
De toute évidence, l’administration Biden va atténuer l’intensité des tensions commerciales internationales avivées par l’administration précédente, dit Avery Shenfeld, directeur général et économiste en chef, Marchés des capitaux, de CIBC. « Elle va certes maintenir une politique protectionniste, Joe Biden ayant annoncé qu’il entendait miser sur le “Buy American” pour relancer l’économie des ÉtatsUnis, mais elle va faire en même temps les yeux doux à son voisin canadien. Par exemple, il n’y aura plus de mesures inattendues et injustifiées contre l’acier et l’aluminium canadiens. Les ÉtatsUnis vont peutêtre même demander l’aide du Canada pour se réconcilier avec la Chine à propos de différents dossiers chauds, en particulier celui de l’actuelle guerre commerciale sinoaméricaine. »
Résultat ? « Les échanges devraient bientôt être plus stables et plus prévisibles entre les ÉtatsUnis et le Canada, d’autant plus que de nouvelles règles sont entrées en vigueur l’an dernier par l’Accord Canada–ÉtatsUnis– Mexique (ACEUM) », estime Pierre Cléroux, viceprésident de la recherche et économiste en chef de la Banque de développement du Canada (BDC). « À cela s’ajoute le fait que ce rapprochement pourrait bien se traduire par une plus grande cohésion au sein du G7, le regroupement des pays les plus avancés économiquement, qui s’est retrouvé affaibli par la présidence Trump. »
Par ailleurs, deux accords de libreéchange majeurs ont été conclus en décembre — le Brexit, entre le RoyaumeUni et l’Europe, et le Partenariat régional économique global (RCEP), entre la Chine et une quinzaine de pays asiatiques, dont la Corée du Sud et le Japon —, si bien que tout est en place pour assister à
un regain des échanges commerciaux à l’échelle de la planète. « Ce qui est toujours bon pour les entreprises exportatrices, lesquelles sont particulièrement nombreuses au Québec », souligne Hélène Bégin, de Desjardins.
L’économie mondiale devrait ainsi voir son PIB faire un bond exceptionnel de 5,2 % en 2021, après avoir enregistré l’an dernier un recul historique de 4,4 % — le plus prononcé depuis la grande dépression des années 1930 —, d’après les experts du Fonds monétaire international (FMI).
Les mesures de soutien portent leurs fruits
Justin Trudeau et François Legault ne cessent de le marteler : personne ne sera laissé financièrement sur le bas-côté dans la lutte contre la pandémie. Et ce, quel qu’en soit le coût. La Prestation canadienne d’urgence (PCU) s’est soldée par une facture de 82 milliards de dollars pour le gouvernement fédéral, à laquelle s’ajoute celle de 7,2 milliards pour la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE).
Autrement dit, le Canada a dépensé, pour soutenir ses citoyens les plus fragiles sur le plan financier, presque l’équivalent du budget du gouvernement du Québec en 2019-2020.
« Les aides aux particuliers ont fait mieux que sauver les meubles, elles ont préparé le terrain pour une reprise solide », considère Douglas Porter, premier directeur général et économiste en chef de BMO Groupe financier. « La plupart des Québécois ont profité des périodes de confinement pour mettre de l’argent de côté, et ces sommes seront dépensées dès que la situation sanitaire se sera durablement améliorée, notamment pour — enfin — se divertir, ou encore pour voyager. »
Du côté des entreprises, on pourrait craindre que les aides gouvernementales, massives et continuelles, ne finissent par créer des «zombies», à savoir des entreprises défaillantes qui sont maintenues en vie artificiellement par le soutien aveugle de l’État, des entreprises qui se mettent en travers du chemin des entreprises saines, mais fragilisées par la crise. Ce risque est à écarter, selon Douglas Porter, qui explique que pour que des zombies puissent devenir nombreux, et donc dangereux, « cela demande du temps, et les périodes d’arrêt total d’activité qu’ont connues certains secteurs n’ont pas été assez longues pour ça ».
Simon Gaudreault, directeur principal de la recherche nationale à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), va un cran plus loin. « La relance pourrait se produire plus vite que ce qu’on croit, dit-il. Prenons le cas des PME exportatrices, qui n’ont pas les mêmes moyens qu’Amazon, Walmart et autre géants de ce monde pour tirer profit des nouveaux accords commerciaux internationaux. Il suffirait qu’elles bénéficient dès à présent d’un coup de main gouvernemental — des conseils, des avis d’experts, etc. — pour pouvoir reconnaître les occasions d’affaires que représentent ces accords pour elles et, surtout, pour pouvoir sauter efficacement dessus. »
Bref, il conviendrait de passer sans tarder de l’aide d’urgence à l’aide d’intelligence, car cela permettrait aux entrepreneurs de gagner en vigueur et, mieux, de se lancer dans des opérations aussi ambitieuses qu’audacieuses nées de la crise. À l’image — pourquoi pas ? — de la chaîne de magasins spécialisés en photographie Gosselin, qui a ouvert sa première boutique montréalaise en novembre dernier, dans les anciens locaux de MusiquePlus, au centre-ville : un pari de deux millions de dollars, mais bien calculé, vu le nombre de personnes qui se sont prises de passion pour la photo et la vidéo durant le premier confinement.
Le Québec s’est montré capable de rebondir
« Lors du premier confinement, plusieurs secteurs d’activité ont été carrément fermés du jour au lendemain, et à leur réouverture, les indicateurs économiques ont crû tout aussi brutalement », dit Jean-François Rouillard, professeur d’économie à l’Université de Sherbrooke. « On est maintenant dans le deuxième confinement, et on peut s’attendre à une évolution économique en forme de W, mais avec un second V plus petit que le premier V du W : les restrictions économiques sont moins importantes que la première fois, la reprise sera donc aussi moins prononcée. »
Le Québec a ainsi montré qu’il était capable de vite se remettre d’un coup dur, et tout indique que cela se reproduira. Mais il conviendra d’être patient, comme l’explique Jean-François Rouillard: «Il ne faut surtout pas croire que nous retrouverons aisément les mêmes indicateurs économiques qu’avant la pandémie, car il faut se souvenir que ceux-ci étaient exceptionnels : en février 2020, le taux de chômage était ridiculement bas, et la confiance des ménages envers l’avenir était très élevée. Ça viendra, mais ça prendra du temps. On ne reparlera de pénurie de main-d’oeuvre qu’en 2022, pas avant ! »
Même si la crise va indéniablement laisser des traces, il y a donc bel et bien des lueurs d’espoir. L’une d’elles, peut-être bien la principale, tient dans ces mots de M. Gaudreault, de la FCEI : « L’année 2020 a prouvé une chose : lorsqu’on travaille tous ensemble, on peut faire face à de très grosses bourrasques ! »