L’actualité

VIVE LE QUÉBEC SAUVAGE !

- par Valérie Borde | photo de Martin Girard / Shoot Studio

Au Québec comme ailleurs dans le monde, la biodiversi­té est en déclin. Mais les efforts pour sauver les espaces naturels se multiplien­t, et il existe encore de nombreux endroits où l’on peut observer la richesse de la faune et de la flore québécoise­s. Une fabuleuse façon de s’évader et de mieux comprendre l’importance de protéger ce trésor menacé de toutes parts.

Au Québec comme ailleurs dans le monde, la biodiversi­té est en déclin. Mais les efforts pour sauver les espaces naturels se multiplien­t, et il existe encore de nombreux endroits où l’on peut observer la richesse de la faune et de la flore québécoise­s. Une fabuleuse façon de s’évader et de mieux comprendre l’importance de protéger ce trésor menacé de toutes parts.

, lL,été dernier, Tommy Montpetit a à

peine reconnu le boisé Du Tremblay, au sud de Montréal, qu’il arpente pourtant depuis son enfance. Sur les sentiers où il patrouille chaque été pour renseigner les visiteurs, l’employé de Ciel et Terre, un organisme sans but lucratif voué à la protection et à l’améliorati­on de l’environnem­ent en Montérégie, a croisé quotidienn­ement audelà de 100 personnes… soit cinq fois plus que d’habitude ! La plupart venaient savourer les grands espaces, une bouffée d’air frais en pleine pandémie. «Bien sûr, cet achalandag­e dérange le milieu, mais le bilan reste très positif : les gens étaient tellement ébahis de découvrir ce coin de nature, ils avaient mille questions!» racontetil. Ils étaient aussi nombreux, ajoute Tommy Montpetit, à vouloir aider Ciel et Terre à s’occuper du boisé situé à cheval sur les municipali­tés de Longueuil et de Bouchervil­le.

Les nouveaux venus ont été frappés par les immenses fourmilièr­es qu’abrite le boisé (aucun danger si on les laisse en paix !), mais bien peu ont pu admirer la rainette fauxgrillo­n de l’Ouest, une espèce menacée d’être rayée de la carte du Québec. Pourtant, si cet espace naturel est encore là, enclavé entre une zone industriel­le, des quartiers résidentie­ls et des champs, c’est grâce à cette minuscule grenouille d’à peine 2,5 cm de long, pour laquelle Tommy Montpetit se bat depuis plus de 30 ans. Le site qui l’abrite à la croisée des autoroutes 20 et 30, grand comme trois fois le centre commercial DIX30, n’est pas passé comme tant d’autres aux mains de promoteurs. Il est plutôt demeuré la propriété des villes de Longueuil et de Bouchervil­le, qui y ont fait des aménagemen­ts majeurs dans les dernières années pour protéger son riche écosystème… dont la rainette !

La prise de conscience s’accélère à un rythme sans précédent depuis cinq ans : le monde commence à comprendre que la nature est vraiment importante et qu’elle doit être protégée… pour notre propre bien. D’ailleurs, il faudra beaucoup de volonté aux Québécois pour préserver l’ensemble des espèces présentes dans le nord de la province, mais aussi dans le sud, où le territoire est déjà largement occupé par des autoroutes, des villes, des champs !

Autre bonne nouvelle, les bottines commencent à suivre les babines. « C’est complèteme­nt fou, ce qui se passe en ce moment au Québec ! » résume Andrew Gonzalez, professeur à l’Université McGill et directeur fondateur du Centre de la science de la biodiversi­té du Québec, un réseau qui regroupe 120 chercheurs et leurs équipes. Arrivé à Montréal en 2013, ce Britanniqu­e d’origine n’en revient pas du changement d’attitude des citoyens et des différents paliers de gouverneme­nt face aux menaces à la biodiversi­té.

« La biodiversi­té, qui correspond à l’ensemble des espèces vivantes qu’on trouve dans un écosystème, c’est ce qui fait que ce territoire est en équilibre et qu’il peut nous rendre différents services », rappelle Andrew Gonzalez. C’est notre plus grande richesse, a statué l’an dernier le Forum économique mondial de Davos, qui estime que les menaces à la biodiversi­té sont un des pires dangers à planer sur l’économie mondiale des 10 prochaines années. Juste dans le grand Montréal, la valeur des services rendus par les écosystème­s dépasse les 2,2 milliards de dollars par an, a calculé Jérôme Dupras, chercheur en économie écologique à l’Université du Québec en Outaouais.

Les espaces naturels procurent en effet des aliments, des plantes médicinale­s, du bois pour la constructi­on ou le chauffage. Ils régulent le climat, par exemple avec l’absorption du gaz carbonique par les forêts. Ils réduisent les inondation­s avec les zones humides qui font office d’éponges filtrantes. Ils assurent, avec leurs insectes, la majeure partie de la pollinisat­ion des plantes comestible­s et maintienne­nt à distance des agents pathogènes. L’émergence de nom

1. Parc national des Grands-Jardins Saint-Urbain

Le parc national des Grands-Jardins témoigne des violentes perturbati­ons dont est capable la nature. Feux et épidémies d’insectes y sont plus fréquents qu’ailleurs à cause d’un microclima­t provoqué par la barrière naturelle du massif des Laurentide­s. La sévérité des conditions météorolog­iques dans certains coins en altitude permet d’observer à seulement une heure de route de Québec une végétation normalemen­t présente 600 km plus au nord. Aussi y survit la harde de caribous de Charlevoix, menacée de disparitio­n : seulement une vingtaine d’individus ont été recensés l’an dernier.

2. Parc marin du Saguenay–Saint-Laurent Saguenay et Tadoussac

Emblème du confluent des deux plus imposants cours d’eau du Québec, le béluga peut y être observé — avec le petit rorqual et le plus grand animal sur Terre, la baleine bleue — sans crainte de nuire à sa santé et à sa survie. Les 1 245 km2 de ce parc constituen­t un rare partenaria­t entre le provincial et le fédéral en matière de protection d’habitats, ici des écosystème­s uniques dans l’est du continent, soit ceux du fjord et de l’estuaire maritime.

3. Parc régional de la Montagne-du-Diable Ferme-Neuve

Ce parc situé près de Mont-Laurier recouvre le territoire d’une réserve de biodiversi­té projetée, un statut temporaire accordé par le gouverneme­nt du Québec avant d’en faire une aire protégée définitive. On y trouve l’une des rares érablières anciennes de la région. L’animal emblématiq­ue du parc, la loutre de rivière, est facilement observable au crépuscule.

4. Marais du Nord Stoneham

Cette réserve naturelle protège des marais essentiels pour la qualité de l’eau du lac Saint-Charles, dans lequel la ville de Québec tire une bonne partie de son eau potable. Très appréciés des ornitholog­ues et des photograph­es, les marais et leur forêt humide sont sillonnés de huit kilomètres de sentiers. Le balbuzard pêcheur est souvent observé en train de pêcher les poissons du lac, s’immergeant presque entièremen­t pour en ressortir avec sa proie entre ses serres.

5. Réserve naturelle de Pointe-Yamachiche Yamachiche

Les deux tiers des espèces d’oiseaux du Québec fréquenten­t cette réserve naturelle qui forme une pointe dans le Saint-Laurent. On y trouve une variété d’écosystème­s tels qu’une prairie humide, une forêt mature, des milieux ouverts et un delta que l’on peut parcourir sur des trottoirs de bois.

6. Réserve naturelle des Montagnes-Vertes Sutton, canton de Potton et Bolton-Est

Née de l’implicatio­n de l’organisme Conservati­on de la nature Canada, la réserve naturelle des Montagnes-Vertes est le plus vaste territoire protégé en terres privées au Québec. À une heure de Montréal, elle abrite 80 km2 de forêts de feuillus et mixtes typiques des sommets des Appalaches, de même que plusieurs espèces menacées. C’est l’un des rares endroits où entendre (et voir, avec beaucoup de chance !) la grive de Bicknell. Plus de 100 km de sentiers.

breux virus, dont peutêtre le SRASCoV2, est directemen­t liée à l’empiètemen­t des humains sur les écosystème­s.

La nature fait aussi partie de la culture des Québécois : la pêche, la chasse, la drave et les érablières sont bien inscrites dans l’imaginaire collectif. De plus, elle est essentiell­e à notre équilibre mental : y passer du temps a de réelles vertus thérapeuti­ques ! Au Québec comme à bien d’autres endroits dans le monde, la fréquentat­ion des parcs a d’ailleurs bondi pendant la pandémie. Ainsi, malgré l’absence de touristes étrangers, la Sépaq a enregistré un achalandag­e record dans les parcs nationaux à l’été 2020, en hausse de 14 % par rapport à 2019 !

« Au Québec, on a quand même du mal à percevoir les atteintes à la biodiversi­té, en raison de la géographie de notre territoire», dit Dominique Gravel, professeur à l’Université de Sherbrooke et spécialist­e de la géographie de la biodiversi­té. Les espèces de plantes et d’animaux se sont établies dans la province il y a seulement 12 000 ans, après la fonte de l’immense glacier qui la recouvrait. Comme elles sont majoritair­ement venues du sud, le Québec compte peu d’espèces endémiques, qui ne vivent qu’ici. Géologie et climat font qu’on trouve aussi un nombre d’espèces différente­s bien inférieur à celui de la plupart des autres régions du monde. Par exemple, seulement 649 espèces de vertébrés (mammifères, poissons, oiseaux, reptiles, amphibiens…) peuplent le Québec, sur les quelque 50 000 recensées sur la planète ! « L’immensité du territoire nordique, relativeme­nt peu perturbé, donne également l’impression qu’il n’y a pas péril en la demeure, même si on sait que certaines espèces emblématiq­ues, comme l’ours blanc ou le caribou forestier, sont en mauvaise posture », ajoute Dominique Gravel.

Les conséquenc­es des bouleverse­ments de la biodiversi­té par les changement­s climatique­s sont très difficiles à anticiper, et nul ne sait si la nature du Québec nous rendra plus ou moins de services. Quelle quantité de gaz à effet de serre les forêts absorberon­telles ? Serontelle­s décimées par des insectes envahisseu­rs ou des feux ? Auronsnous assez de milieux humides pour contenir les inondation­s ? Quels effets tout cela auratil sur la société et l’économie du Québec ? « Pour minimiser le risque de perturbati­on radicale, il faut adopter le principe de précaution et faciliter au plus vite l’adaptation des espèces, en préservant le territoire naturel et en aménageant des corridors pour la biodiversi­té», explique Andrew Gonzalez, du Centre de la science de la biodiversi­té du Québec. << U

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rainette fauxgrillo­n, c’est un peu le canari dans la mine pour un écosystème », illustre Tommy Montpetit. Quand le Longueuill­ois a intégré l’équipe travaillan­t au rétablisse­ment de l’espèce, mise sur pied en 1998 par le gouverneme­nt du Québec, la rainette avait déjà perdu 90 % du territoire qu’elle occupait toujours dans les années 1950. Qu’importe si la rainette continue de bien vivre dans certaines régions des ÉtatsUnis, sa disparitio­n au Québec pourrait nuire à l’équilibre des milieux humides qui constituen­t encore son habitat. Son déclin sonne l’alerte quant aux ravages subis par ces écosystème­s.

«Avant la colonisati­on, la Montérégie était couverte de forêts et de milieux humides. La région a été déboisée, aplanie, drainée, dérochée au point de devenir méconnaiss­able, et on a ainsi perdu la majeure partie des services rendus par ses écosystème­s », raconte Dominique Gravel. Par exemple, le territoire a perdu beaucoup de sa capacité à absorber les inondation­s, parce

qu’on l’a asséché et dégarni de ses arbres. Les mêmes phénomènes sont maintenant à l’oeuvre en Amazonie et dans les autres grandes forêts tropicales, qui abritent une vaste concentrat­ion de la biodiversi­té mondiale.

Dans son premier rapport, rendu en 2019, la Plateforme intergouve­rnementale scientifiq­ue et politique sur la biodiversi­té et les services écosystémi­ques (IPBES) — un regroupeme­nt internatio­nal de spécialist­es dont le rôle s’apparente à celui du Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) — estimait qu’un million d’espèces étaient désormais menacées dans le monde, principale­ment à cause de la disparitio­n accélérée de leurs habitats. Une véritable hécatombe, près de 30 ans après la signature de la Convention sur la diversité biologique, à Rio, en 1992, qui reconnaiss­ait déjà l’importance de cette menace.

En 2010, en adoptant le protocole de Nagoya, chacun des 168 pays membres de la Convention sur la diversité biologique, dont le Canada, s’était engagé à protéger 17 % de son territoire terrestre et 10 % de son milieu marin avant 2020. Le Québec a atteint cet objectif par la peau des dents en décembre dernier, en arrivant respective­ment à 17,03 % et 10,4 % de territoire­s protégés (contre seulement 10,6 % et 1,4 % au début 2020).

La prochaine réunion, qui se tiendra à la fin mai en Chine, devrait déboucher sur un nouvel objectif de 30 % de terres protégées en 2030, et peutêtre 50 % d’ici 2050. La section québécoise de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), un organisme sans but lucratif qui surveille et encourage la protection du territoire, propose au gouverneme­nt d’y aller par paliers et de protéger 22 % du territoire d’ici 2022.

Sur les 34 aires protégées qui se sont ajoutées en 2020, pas moins de 23 se trouvent sur le territoire d’Eeyou Istchee BaieJames. Dans le nord de la province, la rapidité des changement­s climatique­s rend très pressante la protection de vastes étendues, car les espèces vivantes peinent à s’adapter à des variations aussi brusques de leurs conditions de vie.

Pour ce qui est des terres publiques situées ailleurs, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a souvent son mot à dire bien avant le ministère de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s. Si bien que divers projets d’aires protégées ont été écartés pour prioriser les activités forestière­s ou minières.

Dans les zones plus habitées du sud du Québec, les changement­s climatique­s font plutôt qu’il y a urgence de désenclave­r la nature, en aménageant des corridors pour que les espèces puissent migrer d’une aire protégée à une autre au lieu d’être arrêtées net si le climat leur rend un territoire inhospital­ier.

Or, pour atteindre son objectif en décembre 2020, Québec n’a protégé quasiment aucun nouvel espace dans le sud de la province, où les petites zones naturelles qui sont déjà préservées sont éparpillée­s sur un territoire occupé par les villes, les routes, les champs et les forêts exploitées.

Pourtant, le gouverneme­nt disposait d’une liste d’aires protégées potentiell­es bien documentée et soutenue par de nombreux groupes de citoyens. Parmi les lieux suggérés figuraient les alentours de la spectacula­ire rivière Péribonka, au LacSaintJe­an, encaissée par endroits entre des falaises de 600 m de haut. Le secteur abrite plusieurs écosystème­s rares. On y trouve notamment le plus gros bouleau jaune de l’est de l’Amérique du Nord, âgé de plus de 350 ans, ainsi qu’une harde de caribous forestiers. Même chose dans les Laurentide­s, où depuis 2013 un groupe de citoyens demande de protéger le mont Kaaikop, ce qui, dans une région grugée par le développem­ent résidentie­l, permettrai­t de connecter différente­s zones naturelles telles que le mont Tremblant, le territoire mohawk de Tioweroton et l’aire protégée projetée de la forêt Ouareau.

Le Centre de la science de la biodiversi­té du Québec, avec le Regroupeme­nt national des conseils régionaux de l’environnem­ent du Québec et d’autres partenaire­s, ne baisse pas les bras. Il propose au gouverneme­nt un « Plan Sud » qui passe par l’accroissem­ent de la superficie des

aires protégées, notamment dans la vallée du Saint-Laurent, et par l’établissem­ent de tout un réseau de corridors écologique­s. La section québécoise de la SNAP aimerait aussi que le gouverneme­nt se fixe un objectif de protection particulie­r pour le sud du Québec.

Plusieurs obstacles risquent cependant de rendre cette protection difficile. Dans le sud du Québec, dominé par des terres privées, il faut soit convaincre des propriétai­res de réserver leur terrain en entier ou en partie pour la biodiversi­té ou bien de le céder à des organismes qui pourront le protéger, soit les exproprier. Alors que l’Ontario et d’autres provinces ou certains États ont depuis longtemps des ceintures vertes autour des grandes villes — il faut voir, avant d’arriver à Toronto, ces kilomètres de verdure de part et d’autre de l’autoroute ! —, le Québec accuse un sérieux retard à cause de lois dépassées, que des gouverneme­nts peu inquiets de la situation n’ont pas cru bon de rajeunir dans les 20 dernières années.

« La Loi sur l’expropriat­ion est un obstacle majeur à la protection du territoire», estime Isabelle Bérubé, de la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec.

Cette loi vieille de 48 ans exige que les municipali­tés qui veulent récupérer un boisé ou un milieu humide pour le protéger paient aux propriétai­res la valeur marchande du terrain ainsi qu’un dédommagem­ent pour le profit que ceux-ci auraient pu faire en y construisa­nt des maisons, des condos, des bureaux, etc. Les promoteurs prévoient donc d’énormes plans de lotissemen­t, et les municipali­tés n’ont pas les moyens de les exproprier. C’est pourquoi l’Union des municipali­tés du Québec et plusieurs autres instances demandent au provincial une révision de cette loi.

Il faut aussi trouver une façon de compenser les taxes foncières perdues par les villes lorsqu’un terrain n’est pas exploité. « Quand les villes calculent leur manque à gagner, elles ne tiennent

pas compte des bénéfices économique­s des écosystème­s dans leur planificat­ion budgétaire », se désole Isabelle Bérubé, qui se montre cependant très optimiste à l’issue d’une série de discussion­s avec des députés de tous les partis. « On sent que le fruit est mûr et qu’il y a une réelle volonté politique de faire plus pour la biodiversi­té», dit-elle.

La Loi sur l’aménagemen­t et l’urbanisme, qui date de 40 ans, pourrait être revue prochainem­ent, puisqu’une nouvelle stratégie d’aménagemen­t du territoire est censée voir le jour en 2022. Les modificati­ons attendues devraient faciliter les choses pour les nombreux corridors écologique­s en cours de réalisatio­n dans tout le sud du Québec, comme ceux qui composent la Trame verte et bleue du grand Montréal, grâce à laquelle la Communauté métropolit­aine de Montréal, aidée du gouverneme­nt du Québec et des municipali­tés, espère boucler une ceinture verte autour de la métropole. Déjà, entre Mirabel et Joliette, le corridor du Grand Coteau, qui s’étire d’est en ouest sur 680 km2 entre des zones boisées et des cours d’eau, assure la connexion entre différents foyers de biodiversi­té. Il est accessible aux citadins, qui peuvent rapporter leurs observatio­ns en ligne.

Le corridor Oka-Tremblant (dans les Laurentide­s), le corridor appalachie­n (en Estrie) et le corridor des Trois-Frontières (des limites du Maine et du Nouveau-Brunswick jusqu’à la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent) ont tous été mis sur pied par des organismes environnem­entaux, en collaborat­ion avec des chercheurs, des municipali­tés et une pléthore de groupes de citoyens très impliqués dans la protection de leur coin de pays.

Du mont Kaaikop aux Chic-Chocs, les pressions de ces groupes se multiplien­t sur le gouverneme­nt et les élus locaux pour accélérer la sauvegarde du territoire. Des entreprise­s privées sont également sensibles à cet enjeu. À Longueuil, par exemple, une société à numéro installée à côté du boisé Du Tremblay a fait don à la Ville d’un terrain d’une valeur de 1,1 million de dollars afin que le parc soit agrandi. Longueuil a aussi annoncé en décembre qu’un nouveau corridor écologique aménagé sur les terrains municipaux permettrai­t aux animaux de passer sous le boulevard Béliveau voisin pour rejoindre un autre parc. La partie du boisé Du Tremblay située à Bouchervil­le va aussi s’étendre avec le rachat, par cette ville, de deux terrains adjacents totalisant 27 hectares. Le territoire de la rainette faux-grillon prend de l’expansion !

Tommy Montpetit, de Ciel et Terre, y voit une très bonne nouvelle, à des années-lumière des courriers laconiques qu’il recevait de la Ville de Longueuil quand il a commencé à s’engager pour sauver la rainette, dans les années 1990. « Nous avons une excellente écoute à Longueuil, mais c’est encore très difficile dans d’autres villes, où nos gains sont remis en question à chaque élection municipale », raconte-t-il.

En décembre, la Cour suprême du Canada a débouté un promoteur immobilier de La Prairie, en banlieue sud de Montréal, qui alléguait que le décret d’urgence adopté par Ottawa en 2016 pour protéger le territoire de la rainette fauxgrillo­n constituai­t une expropriat­ion déguisée. Cette décision confirme que le fédéral est en droit de faire appliquer la Loi sur les espèces en péril même en territoire privé et quoi qu’en dise la province — le gouverneme­nt du Québec avait autorisé ce projet de constructi­on domiciliai­re, contre l’avis de ses propres scientifiq­ues. Une jurisprude­nce qui pourrait s’avérer bien utile à d’autres endroits !

Mais tout n’est pas gagné : à Contrecoeu­r, sur la rive sud du Saint-Laurent, le futur agrandisse­ment du port, une initiative fédérale, risque d’empiéter sur l’habitat de la rainette et sur celui du chevalier cuivré, un poisson menacé. Jusqu’à maintenant, Ottawa n’a pas montré de volonté d’appliquer aussi strictemen­t la Loi sur les espèces en péril dans le cadre de ce projet, même si les mesures de mitigation prévues ont été jugées complèteme­nt insuffisan­tes par les scientifiq­ues spécialist­es de la conservati­on de ces espèces.

Pour mieux protéger la biodiversi­té, on doit aussi mieux la connaître. « Et il y a beaucoup de travail à faire de ce côté-là», affirme Andrew Gonzalez. En 2020, le chercheur a pris la tête d’un grand réseau internatio­nal, GEO BON, dont le siège est à Montréal et qui rassemble 1 000 scientifiq­ues de 90 pays pour mieux documenter l’état de la biodiversi­té dans le monde. Alors que les climatolog­ues peuvent s’appuyer sur un vaste réseau de stations météo pour surveiller les changement­s climatique­s, il n’existe pas encore d’outil équivalent pour suivre la biodiversi­té, une lacune qu’entend combler GEO BON. « Même au Canada, on a des données principale­ment pour les espèces menacées, et pour les territoire­s bien connus du Sud, mais on a des connaissan­ces très fragmentai­res sur l’évolution de la biodiversi­té dans la majeure partie de notre territoire ! » note le chercheur.

GEO BON construit donc une gigantesqu­e base de données qui va compiler, grâce à des outils d’intelligen­ce artificiel­le, des millions d’observatio­ns géolocalis­ées de la faune et de la flore réalisées partout sur la planète par des chercheurs, des gouverneme­nts, des promoteurs privés et de simples citoyens. « On compte sur la population pour signaler les espèces que chacun peut observer dans sa cour ou ailleurs, ce qui permettra d’enrichir largement notre portrait de la biodiversi­té », explique Dominique Gravel, qui a lancé l’an dernier, avec Andrew Gonzalez, un projet d’atlas dynamique de la biodiversi­té du Québec.

Les chercheurs y intégreron­t les données collectées par les applicatio­ns grâce auxquelles tout un chacun peut documenter ses observatio­ns d’espèces simplement en prenant celles-ci en photo avec son téléphone. iNaturalis­t, la plus importante applicatio­n du genre, créée par la National Geographic Society et l’Académie des sciences de Californie, compte déjà près de 1,5 million d’utilisateu­rs. Elle permet d’identifier et d’enregistre­r les plantes ou les animaux qu’on observe, pour ensuite transmettr­e ces informatio­ns aux chercheurs, qui se chargeront de les analyser. « Même si c’est un papillon ordinaire que vous voyez souvent dans votre cour ou un banal pigeon, peu importe, c’est extrêmemen­t utile ! » insiste Andrew Gonzalez.

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