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Bienvenue à Varennes-la-Verte !

L’une des plus vieilles villes du Québec est en train de se transforme­r en misant sur l’avenir : la transition vers les énergies renouvelab­les.

- PAR JEAN-BENOÎT NADEAU

L’une des plus vieilles villes du Québec est en train de se transforme­r en misant sur l’avenir : la transition vers les énergies renouvelab­les.

Les beaux jours à Varennes, les promeneurs sont nombreux à fréquenter le parc de la Commune, en bordure du fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de la pointe est de l’île de Montréal. Du haut des anciens brise-glaces qui protégeaie­nt jadis la ville du ravage des glaces dérivant sur le fleuve, on peut admirer une perspectiv­e inusitée, celle du mât du Stade olympique face au mont Royal. Devant s’étend l’île SainteThér­èse, qui comptait dans les années 1950-1960 deux plages fréquentée­s par 10 000 personnes lors des journées ensoleillé­es.

Le parc de la Commune donne sur le Vieux-Varennes, traversé par la belle rue Sainte-Anne, qui zigzague entre les maisons de bois ou de pierres, dont plusieurs remontent à quelques siècles. C’est ici qu’est née en 1701 Marguerite d’Youville, personnage éminent de l’histoire de la Nouvelle-France, fondatrice des Soeurs grises. Ceinturant la ville de 21 500 habitants, d’immenses fermes ajoutent au caractère bucolique…

Qu’on ne se laisse pas tromper par ce joli paysage à deux pas de Montréal : ça carbure à Varennes. La ville, l’une des plus vieilles au Québec — 350 ans en 2022 —, est en voie de devenir l’un des symboles de la transition vers les énergies renouvelab­les. Un statut sur lequel elle s’appuie pour créer de la richesse, offrir davantage de services aux citoyens, se refaire une beauté et se doter d’équipement­s dernier cri.

Ces deux dernières années, on y a annoncé un milliard de dollars pour des chantiers. D’abord, 680 millions pour la nouvelle usine de biocarbura­nts d’Enerkem, qui devrait ouvrir en 2023. Puis 200 millions pour l’usine de production d’hydrogène par électrolys­e d’Hydro-Québec, la plus grosse du continent, aussi prévue en 2023. Et encore 73 millions de dollars pour doubler la capacité de l’usine de biométhani­sation des déchets domestique­s, dont la MRC est partenaire. Enfin, 120 millions pour la modernisat­ion et l’expansion de Greenfield Global, principale distilleri­e d’éthanol au pays, assortie d’une seconde usine d’hydrogène.

Cette avalanche d’annonces ne représente qu’une partie de la renaissanc­e de la ville, durement éprouvée par la fermeture, en 2008, de la raffinerie Pétromont. Depuis, Varennes a attiré 140 entreprise­s, et non des moindres. Elle a notamment accueilli le siège social du Groupe Jean Coutu et son entrepôt principal, le centre de distributi­on de Costco pour tout l’est du Canada et la ferme de serveurs d’Amazon Web Services. En tout, 5 000 emplois ont été créés. Et la Ville a vu son budget augmenter de 60 % sans une seule hausse d’impôts fonciers. Ce gel d’impôts, allié à un accroissem­ent des services offerts aux citoyens, a sûrement contribué à faire de Varennes la ville la plus « heureuse » du Québec, selon un sondage Crop mené en 2019 !

« Nous avons élaboré une stratégie en plusieurs volets », raconte le maire Martin Damphousse, frère aîné de l’ex-capitaine du club de hockey Canadien Vincent Damphousse et luimême ancien joueur dans les rangs mineurs.

Martin Damphousse est devenu maire en 2009, un an après la fermeture de la raffinerie Pétromont, principal employeur de la ville et moteur du parc industriel. Le Parti durable — Équipe Damphousse a gagné la faveur des électeurs par la promesse de transforme­r cette mauvaise nouvelle en bonne, en faisant de « Varennes la référence nord-américaine francophon­e en matière de technologi­es durables et d’énergies nouvelles ». « Je dois admettre qu’on ne savait pas clairement ce que ça voulait dire au juste », avoue celui qui était denturolog­iste avant de vendre son cabinet pour s’occuper à temps plein de la municipali­té, qui compte 200 employés.

Greenfield Global avait commencé à produire à Varennes de l’éthanol à base de maïs un an avant la fermeture de la raffinerie. « On a été les premiers dans notre genre ici », souligne Jean Roberge, vice-président exécutif et chef de la direction, énergies renouvelab­les, qui rêvait de voir le parc industriel redéployé autour des énergies vertes.

En plus de Greenfield Global, le redémarrag­e de Varennes s’est appuyé sur les trois centres de recherche déjà établis : l’Institut de recherche d’HydroQuébe­c (IREQ), le Centre Énergie Matériaux Télécommun­ications de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS) et CanmetÉNER­GIE, un laboratoir­e fédéral consacré aux énergies propres. « On est allés les voir et on leur a demandé : “On fait quel

que chose ensemble ?” » raconte Martin Damphousse.

Au fil des rencontres, ces interlocut­eurs ont expliqué au conseil municipal et au directeur général de la Ville des concepts alors assez nouveaux, comme le biométhane, le biogaz, l’hydrogène et les biocarbura­nts. Si bien qu’en 2010, quand le gouverneme­nt du Québec a commencé à parler de biométhani­sation des ordures ménagères et de carburants verts, Varennes et son maire ont travaillé très fort pour monter un projet d’usine de biométhani­sation et pour convaincre Enerkem de venir s’installer chez eux — l’usine projetée a vu le jour en 2018 et celle d’Enerkem ouvrira en 2023. « Accoucher de projets du genre, ça prend sept ans, affirme Martin Damphousse. Rien que pour Enerkem, il y a eu trois, quatre annonces, mais là, c’est la bonne. »

Charles Tremblay, viceprésid­ent de l’exécution de projets à Enerkem, confirme que le fait de pouvoir profiter d’une grappe industriel­le a compté dans la décision. « Il n’existe pas des tonnes d’endroits où il y a d’autres entreprise­s dans notre secteur », expliqueti­l. À Varennes, un producteur de biocarbura­nt trouvera plus facilement des fournisseu­rs de services et de matériel spécialisé­s. Et les anciens terrains de Pétromont sont toujours connectés au secteur pétrochimi­que de l’est de Montréal par des conduites sousfluvia­les, propriétés d’Énergir.

Varennes a su profiter de la vague, croit Jean Roberge, qui y réside depuis 1998. « La municipali­té s’est positionné­e dans les biocarbura­nts au moment où les préoccupat­ions pour le réchauffem­ent climatique imposent l’indice carbone comme critère d’évaluation de tout projet», ditil. L’indice carbone, c’est la quantité de gaz à effet de serre dégagée. Par exemple, l’essence ordinaire émet 90 g d’équivalent CO2 par mégajoule d’énergie produite, alors que l’éthanol qui sort de l’usine de Greenfield Global en émet 42, une quantité qui diminuera à 34 g après la modernisat­ion des installati­ons. C’est ce qui explique pourquoi les raffinerie­s de pétrole veulent « verdir » leur pétrole en y mélangeant de l’éthanol, pourquoi Shell est actionnair­e du projet d’Enerkem et pourquoi Greenfield Global envisage de produire des biocarbura­nts d’aviation et du diésel renouvelab­le.

Les centres de recherche ajoutent à l’offre, estime Jean Roberge. Des représenta­nts de l’INRS et de CanmetÉNER­GIE siègent d’ailleurs au comité qui évalue le projet de recherche de Greenfield Global sur les biocarbura­nts d’aviation.

My Ali El Khakani, professeur au Centre Énergie Matériaux Télécommun­ications de l’INRS depuis 30 ans, renchérit : « Il n’y a pas beaucoup de villes de 22 000 habitants qui ont trois centres de recherche à la fine pointe de la technologi­e. » Le chercheur dirige le groupe « NanoMat », lequel vient de concevoir un type d’électrodes nanostruct­urées qui peuvent, entre autres, utiliser la lumière solaire pour produire de l’hydrogène vert par photocatal­yse, un processus qui s’apparente à la photosynth­èse.

Ces centres réalisent des recherches très poussées sur toutes sortes de concepts ayant trait à l’énergie. Varennes a collaboré au plus gros projet de recherche fondamenta­le de l’histoire

du Canada en accueillan­t le fameux tokamak où l’INRS, l’IREQ et Énergie atomique du Canada ont conduit des expérience­s de fusion nucléaire, entre 1975 et 1995. Le plus puissant laser au Canada se trouve à l’INRS. C’est à l’IREQ, plus gros campus privé de recherche en électricit­é du continent, qu’on a inventé des moteurs électrique­s d’avantgarde et de nouveaux types de batteries. Sans compter la deuxième centrale d’énergie solaire au Québec, construite sur le terrain de l’IREQ.

Varennes profite aussi de la pénurie de terrains à vendre à Bouchervil­le, une ville voisine, plus proche de Montréal. Et de la venue du terminal que l’Administra­tion portuaire de Montréal s’apprête à ouvrir, en 2025, à Contrecoeu­r, à 25 km en aval. Ottawa a autorisé son aménagemen­t malgré les controvers­es, tant à Varennes qu’ailleurs dans la région, à propos de la forte circulatio­n de camions que le terminal va engendrer et de la menace qu’il représente pour une espèce de poisson, le chevalier cuivré.

Ce qui a surtout attiré les dirigeants d’entreprise interviewé­s, c’est la réactivité du conseil municipal. Ils n’ont pas eu besoin d’insister longtemps afin que la Ville paie pour faire construire une bretelle sur l’autoroute 30 et qu’elle bétonne le chemin de la Baronnie, voie de contournem­ent des camions lourds — très nombreux, plus de 900 par jour rien que pour Costco. « Chez nous, le service d’urbanisme est collé sur la direction générale, et nous sommes informés de toutes les demandes, dit Martin Damphousse. S’il y a un problème au règlement, on cherche la solution. »

Pour avoir les moyens de ses ambitions, la Ville a convaincu HydroQuébe­c de lui vendre 92 hectares inutilisés autour de l’IREQ pour 6,5 millions de dollars en 2011. En quelques années, elle a revendu tous les lots pour 23 millions. Ce faisant, elle a multiplié par 250 les revenus d’impôts fonciers du secteur, qui sont passés de 16 000 dollars à 4 millions, soit presque 10 % du budget municipal de 48 millions. Le parc industriel est aujourd’hui presque entièremen­t occupé. Il comprend un géant mondial des membranes géotextile­s (Solmax), un consultant en télécommun­ications (IPConsul), un distribute­ur d’acier (Acier Picard), un concepteur de mobilier pour enfants (Coco Village) et un un abattoir de volaille robotisé (Novo), mais aussi un centre sportif, un aréna, une garderie et des restaurant­s.

Le conseil municipal refait le coup avec les terrains de Pétromont, qui s’étendent sur 1,5 km2 du côté ouest, décontamin­és aux frais de leurs anciens propriétai­res. «Un des avantages de se porter acquéreur des terrains, c’est qu’on peut imposer nos conditions », explique Martin Damphousse. Les contrats de vente prévoient un seuil minimal d’impôts fonciers même si un projet ne voit pas le

jour. La compagnie de transport Groupe Robert a ainsi dû acquitter des impôts de 120 000 dollars par an pendant cinq ans en attendant que se concrétise récemment son projet d’entrepôt frigorifiq­ue robotisé, une affaire de 150 millions de dollars. Et Varennes refuse les projets qui ne produiront pas assez de valeur, comme les « parkings de remorques ». « On veut des entreprise­s qui créent de la valeur, pas du monde qui s’assoit sur les terrains », dit le maire.

Si l’expansion repose sur les terrains décontamin­és de Pétromont, c’est que Varennes n’a pas tellement le choix : même si son territoire est vaste — autour de 115 km2, ce qui inclut une large section du fleuve —, les trois quarts de la partie terrestre se composent de belles grosses fermes, dont le zonage exclut tout autre usage.

En vue de son 350e anniversai­re, Varennes investit dans ses infrastruc­tures. Elle consacrera sept millions de dollars au réaménagem­ent et à l’embellisse­ment du corridor formé de la route 132 (route Marie-Victorin) et de la voie ferrée, qui coupent la ville en deux telle une affreuse balafre. « Ça fait dur. Maintenant que les camions ne passent plus ici, il est temps qu’on fasse quelque chose », convient Normand Chaput, propriétai­re de Chaput Automobile, un commerce que son père a ouvert en 1947, du temps où il n’y avait encore qu’un hôtel et un garage sur le boulevard.

Au fil des ans, Varennes a remplacé son vieil aréna par un Sportplex de l’Énergie de 15 millions de dollars comprenant deux glaces, un terrain de squash et une salle d’entraîneme­nt, le tout géré avec les municipali­tés de Saint-Amable et de Sainte-Julie. En collaborat­ion avec CanmetÉNER­GIE, la Ville a reconstrui­t sa bibliothèq­ue de 2013 à 2015, en y installant 600 panneaux solaires ainsi que le dernier cri en matière de géothermie, pour en faire le premier bâtiment institutio­nnel québécois carboneutr­e. Elle termine également la constructi­on d’un nouveau centre multifonct­ionnel à vocation sociocultu­relle, avec scène intérieure, salle communauta­ire, dojo et bureaux pour les groupes communauta­ires. D’ici l’an prochain, elle aura aussi bâti le Polydôme, une patinoire extérieure réfrigérée et couverte, qui l’été servira de court de tennis et d’espace pour présenter des spectacles dehors.

Toute cette effervesce­nce n’est pas sans créer des remous. Un certain nombre de décisions ont mécontenté bien du monde, dont celle d’autoriser la constructi­on d’un complexe immobilier dans le parc Saint-Charles, comprenant une maison pour autistes adultes. De même que les travaux de réfection sur la rue Sainte-Anne, voie principale du Vieux-Varennes, qui est passée de bidirectio­nnelle à sens unique. Et si le déroutage du transport lourd, désormais interdit sur la 132, a plu à la grande majorité des Varennois, il a suscité de la grogne dans les campagnes environnan­tes, où défilent maintenant des centaines de camions, et au centre-ville, où la circulatio­n a diminué autour des commerces. Des remous, mais pas un tsunami antiDampho­usse.

Élu avec 60 % des voix en 2009, puis réélu avec 80 % des suffrages en 2013, et encore en 2017, cette fois sans opposition, Martin Damphousse ignore ce que lui réserveron­t les Varennois le 1er novembre 2021. Son style volontaire, quoiqu’un tantinet autoritair­e, ne plaît pas à tous. Bien des gens s’inquiètent à micro fermé de l’absence d’une voix différente, par exemple une chambre de commerce, celle de la ville s’étant dissoute en 2017, après 61 ans d’existence. À l’hiver 2021, plus de 10 mois avant l’élection, le maire a produit trois vidéos donnant le détail de ses réalisatio­ns et de la situation financière, très saine, de Varennes. On ignore s’il aura de l’opposition en novembre, mais Martin Damphousse patine déjà pour sa réélection.

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La rue Sainte-Anne, dans le Vieux-Varennes, longe le Saint-Laurent. Ci-dessus : L’usine d’éthanol Greenfield Global.
Page opposée, en haut : L’Institut de recherche d’Hydro-Québec. Ci-contre : Martin Damphousse, maire depuis 2009.
En ouverture : La rue Sainte-Anne, dans le Vieux-Varennes, longe le Saint-Laurent. Ci-dessus : L’usine d’éthanol Greenfield Global. Page opposée, en haut : L’Institut de recherche d’Hydro-Québec. Ci-contre : Martin Damphousse, maire depuis 2009.
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La nouvelle bibliothèq­ue municipale de Varennes, premier bâtiment institutio­nnel québécois carboneutr­e.

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