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Roblox : le secret bien gardé des enfants

- par Maxime Johnson

Méconnue du grand public, la plateforme de jeux Roblox touche chaque mois 150 millions de joueurs et vaut 50 milliards de dollars américains à la Bourse. Son succès repose sur une clientèle discrète, mais très enthousias­te, les préados.

Méconnue du grand public, la plateforme de jeux Roblox touche chaque mois 150 millions de joueurs et vaut 50 milliards de dollars américains à la Bourse. Son succès repose sur une clientèle discrète, mais très enthousias­te, les préados.

Comme presque tous les jours depuis quatre ans, Maël Tessier, 12 ans, s’installe devant son ordinateur pour passer un moment sur la plateforme de jeux Roblox. Il s’amuse aujourd’hui avec Anomic, un jeu de rôle où il incarne un concession­naire automobile dans un décor des années 1990. Comme c’est souvent le cas sur Roblox, le visuel est plutôt simple, aux antipodes de l’esthétique léchée des jeux à grand déploiemen­t sur console, mais cela lui plaît.

Avec le confinemen­t lié à la pandémie, le jeune garçon de Rigaud, pas très loin de Montréal, avait plus de temps libre, alors il a appris à « coder sur Roblox », lui qui n’avait aucune expérience en programmat­ion. «Je me fais de petits horaires : il y a des jours où je joue, d’autres où je crée des jeux ou améliore ceux que j’ai déjà conçus», raconte Maël.

Voilà qui résume bien pourquoi Roblox séduit les jeunes, et pourquoi les jeux y foisonnent : le logiciel gratuit permet de jouer, mais aussi de créer soi-même des jeux, peu importe l’âge que l’on a et l’expérience que l’on n’a pas. Selon l’entreprise américaine derrière la plateforme, Roblox Corporatio­n, plus de la moitié (54 %) des utilisateu­rs ont moins de 13 ans. L’année dernière, 150 millions de joueurs dans le monde s’y branchaien­t au moins une fois par mois. À titre indicatif, au sommet de sa popularité en août 2018, le jeu de tir Fortnite avait atteint 78,3 millions d’adeptes en un mois.

Cette popularité, tout comme l’aspiration de Roblox Corporatio­n à créer un métavers (un concept d’univers virtuel en ligne pour se divertir, s’instruire et travailler), explique le succès monstre qu’a connu l’entreprise lors de son premier appel public à l’épargne, cet hiver : sa capitalisa­tion boursière s’est élevée à près de 50 milliards de dollars, ce qui en fait l’une des 10 plus grandes sociétés de jeux vidéos au monde.

Roblox existe depuis 2006, mais son succès a débuté surtout en 2017, quand les améliorati­ons technologi­ques et le bouche-à-oreille ont commencé à porter des fruits. « Sa

croissance est extraordin­aire depuis », note Matthew Ball, un stratège des nouveaux médias qui a rédigé des essais souvent cités sur le métavers et l’avenir de Roblox.

Il est difficile de déterminer exactement pourquoi un jeu si populaire a aussi peu retenu l’attention, du moins avant son entrée en Bourse. Selon Matthew Ball, l’une des raisons est simplement que les médias et l’industrie du jeu ont tendance à peu s’intéresser aux préadolesc­ents. Les revenus de Roblox sont aussi relativeme­nt bas par rapport à sa popularité (1,15 milliard de dollars en 2020), et son succès n’a pas soufflé la planète du jour au lendemain comme l’avait fait Fortnite à sa sortie en 2017.

Pour un oeil adulte, il est également facile de passer à côté de Roblox, qui a plus l’air d’un jeu anodin sans envergure que d’un mégasuccès planétaire. Il faut en plus reconnaîtr­e que Roblox est difficile à classer, puisqu’il est unique en son genre : le logiciel est considéré comme un jeu, mais il s’agit plutôt d’une plateforme qui permet de jouer, de créer des jeux et de se rassembler.

En effet, Roblox donne par exemple la possibilit­é de se propulser dans un concert virtuel. Dans ceux de l’artiste Lil Nas X diffusés cet hiver, on devenait un personnage dans un vidéoclip d’animation, avec d’autres amateurs tout autour et une version géante du chanteur, lui aussi en animation, qui dansait devant nos yeux. On est loin des émotions vécues lors d’un spectacle en chair et en os, mais ces événements ont tout de même été vus 30 millions de fois. Pour certains spectateur­s plus jeunes, il s’agissait peut-être d’un premier concert à vie.

La simplicité de la plateforme permet par ailleurs de concevoir ses propres jeux. «J’ai commencé à jouer en 2016, puis en 2018, j’ai décidé d’apprendre à créer des jeux », raconte Luke, un élève de 1re secondaire. C’est ainsi que le jeune Montréalai­s a conçu Let’s Be Well, pour conscienti­ser ses semblables à la santé mentale, un sujet d’une importance particuliè­re pour lui, son père s’étant suicidé alors qu’il n’avait que deux ans. Depuis 2018, Let’s Be Well compte plus de 15 000 visites. « Je ne m’attendais vraiment pas à ça, je pensais que tout au plus quelques centaines de personnes y joueraient. Ça me rend très fier d’avoir été capable d’aider autant de gens », dit-il.

Comme la plupart des autres jeunes créateurs, Luke a appris à concevoir des jeux par lui-même, principale­ment en regardant des tutoriels sur YouTube. Le site de Roblox contient aussi des guides et des documents plus techniques pour maîtriser Roblox Studio, le logiciel servant à modéliser et à programmer des jeux sur la plateforme. « J’avais créé des modèles 3D à l’école avec d’autres outils, ce qui m’a aidé à faire la transition sur Roblox », estime Luke.

Let’s Be Well est un jeu simple, dont les grandes lignes ont été tracées en une semaine seulement — Luke l’a tout de même peaufiné par la suite pour en améliorer l’esthétique. Toutefois, Roblox Studio permet aussi d’élaborer des programmes plus ambitieux, comme Jailbreak, un jeu d’évasion où l’on incarne un criminel ou un policier.

Ces jeux, surtout les plus complexes, peuvent même rapporter de l’argent à leurs concepteur­s si ces derniers font payer les joueurs, notamment pour déverrouil­ler certaines fonctions (dans Anomic, être un concession­naire automobile est gratuit, mais il faut débourser 3,25 $ pour avoir le droit de vendre des voitures de luxe, par exemple).

Pour certains créateurs, des activités de soir et de fin de semaine se sont ainsi transformé­es en travail à temps plein. C’est ce qui est arrivé à Alexander Hicks, qui a lancé en 2016 Robloxian High School, un simulateur de vie qui a été visité plus d’un milliard de fois. Le succès du jeu, qui a récolté des profits « dans les sept chiffres », a incité ce résidant d’Ottawa à abandonner un baccalauré­at en informatiq­ue en 2018 pour cofonder RedManta.

Le studio compte désormais cinq employés à temps plein et cinq pigistes. « Nous avons tous commencé à faire du développem­ent sur Roblox après y avoir joué lorsqu’on était jeunes. Le plus vieux d’entre nous n’a d’ailleurs que 24 ans », souligne l’entreprene­ur.

Alors que la moitié de la petite équipe continue d’améliorer Robloxian High School, l’autre travaille sur son deuxième jeu, World // Zero, un monde fantastiqu­e rempli de monstres à tuer et de donjons à piller. Selon le PDG de l’entreprise, RedManta n’a même jamais envisagé de lancer ce dernier ailleurs que sur Roblox. « Ce sont les outils que l’on connaît, et aucune autre plateforme ne me permet d’atteindre un aussi grand public aussi rapidement », explique Alexander Hicks.

La suite lui a donné raison. Dans les six mois suivant son lancement l’automne dernier, World // Zero a été visité plus de 100 millions de fois.

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La plateforme Roblox abrite une multitude de jeux. Ici, Robloxian High School.
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En haut, à droite : Luke, jeune Montréalai­s, créateur du jeu Let’s Be Well. Ci-contre : Le jeu Travaille dans une pizzéria. Page de gauche : Le rappeur Lil Nas X en spectacle virtuel sur la plateforme Roblox.
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