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- PAR CHANTAL HÉBERT

Aller en campagne électorale ou continuer à gouverner peut-être jusqu’en 2023 : voilà le dilemme que Justin Trudeau devra trancher une fois que le Parlement entrera en pause estivale, à la fin du mois.

Même si tous les partis fédéraux sont sur le pied de guerre en vue d’un scrutin à la fin septembre, le premier ministre peut encore se raviser. Il devrait prendre sa décision dans le courant de l’été. Les progrès de la vaccinatio­n pèseront évidemment lourd dans la balance. Mais Justin Trudeau devra soupeser d’autres données, nettement plus difficiles à évaluer. En voici un aperçu.

Les stratèges libéraux qui privilégie­nt la tenue d’un scrutin au début de l’automne s’inspirent notamment du succès remporté par les premiers ministres provinciau­x qui se sont lancés dans l’aventure électorale depuis le début de la pandémie. Ceux-ci ont tous amélioré leur sort. Mais ils ont également été réélus en pleine tempête, à un moment où de nombreux électeurs étaient foncièreme­nt réfractair­es à l’idée de changer de capitaine.

Dans l’esprit de certains de ses conseiller­s, si un scrutin se tenait vers la fin septembre, Justin Trudeau pourrait surfer sur une vague anticipée de soulagemen­t postpandém­ique. C’est à voir. L’humeur ambiante actuelle n’est pas particuliè­rement empreinte de gratitude à l’égard du gouverneme­nt fédéral.

Cela dit, si le premier ministre passait son tour cet été, il pourrait devoir attendre longtemps avant de trouver une autre occasion propice au déclenchem­ent d’un scrutin.

À partir du mois d’octobre, l’Alberta et le Québec seront en campagne municipale. Le printemps prochain, l’Ontario retournera aux urnes. Puis à l’automne de 2022, ce sera au tour du Québec. La plus grande crainte de bien des libéraux, c’est de se retrouver à faire campagne dans 18 à 24 mois, dans un champ de ruines budgétaire postpandém­ique.

Sauf que le calcul qui consiste à vouloir parer les coups en déclenchan­t des élections hâtives comporte un lot d’inconnues. Dans l’immédiat, aucun sondage n’accrédite la thèse d’une victoire conservatr­ice. Mais cela ne veut pas dire qu’une majorité gouverneme­ntale attende forcément Justin Trudeau au tournant d’un vote au début de l’automne.

À l’heure actuelle, le NPD semble bien placé pour brouiller les cartes libérales en Colombie-Britanniqu­e. Au Québec, la faiblesse chronique du Parti conservate­ur — dans la mesure où elle réduit les chances d’une division du vote d’opposition — avantage le Bloc québécois au détriment des libéraux. Et en Ontario, ces derniers ont plus ou moins déjà fait le plein de sièges.

À son arrivée au pouvoir en 2003, Paul Martin s’était précipité en campagne électorale dans l’espoir d’obtenir une majorité susceptibl­e de mettre son gouverneme­nt à l’abri des secousses de l’enquête publique sur le scandale des commandite­s. Il a perdu son pari. Élu à la tête d’un gouverneme­nt minoritair­e, Paul Martin a été traîné devant les électeurs par les partis d’opposition sur fond de rapport de la commission Gomery.

Si les libéraux remportaie­nt un troisième mandat cet automne, seule une victoire majoritair­e pourrait leur éviter de se retrouver à la merci des aléas budgétaire­s de l’après-pandémie.

Enfin, il faudrait que le premier ministre invoque des raisons valables pour justifier un scrutin moins de deux ans après sa réélection pour un second mandat.

Outre le désir habituel du parti au pouvoir de ne pas avoir à rendre systématiq­uement des comptes à une opposition majoritair­e, on voit mal comment Justin Trudeau pourrait expliquer le fait de renvoyer aussi rapidement le Canada aux urnes. Le premier ministre a beau diriger un gouverneme­nt minoritair­e, aucun blocage parlementa­ire sérieux n’a fait ou ne fait obstacle à ses projets phares. Au contraire, la plupart jouissent déjà de l’appui d’au moins un des partis d’opposition.

C’est tout autant le cas de la nouvelle loi-cadre sur la lutte contre les changement­s climatique­s, de l’arrimage des lois canadienne­s à la Déclaratio­n des Nations unies sur les droits des peuples autochtone­s et de la modernisat­ion de la Loi sur la radiodiffu­sion (projet de loi C-10). Quant au budget présenté par la ministre Chrystia Freeland en avril, il est passé comme une lettre à la poste à la Chambre des communes.

Ainsi, la plus grande entrave à la mise en oeuvre du menu législatif et budgétaire libéral serait… le déclenchem­ent par le premier ministre d’une campagne électorale cet été.

La plus grande crainte de bien des libéraux, c’est de se retrouver à faire campagne dans 18 à 24 mois, dans un champ de ruines budgétaire postpandém­ique.

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