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Économie

- PAR PIERRE FORTIN

Depuis la fin de la guerre de Corée, en 1953, le salaire moyen a traversé trois phases distinctes au Québec. Elles sont bien découpées sur le graphique : l’ascension jusqu’en 1977, le recul de 1977 à 2001 et le retour depuis 2001. Comment expliquer ces mouvements ? Et est-ce que la remontée observée depuis 20 ans va se poursuivre ?

La montée des salaires dans l’aprèsguerr­e n’est pas un mystère. La croissance économique était fulgurante. La valeur produite par emploi — la productivi­té — progressai­t à un rythme époustoufl­ant. Elle permettait aux entreprise­s d’augmenter leurs employés de 3 % par année de plus que l’inflation. Le militantis­me syndical était à son comble. Les fortes hausses de rémunérati­on accordées dans l’industrie de la constructi­on et dans le secteur public provincial ont eu un solide effet d’entraîneme­nt (l’effet « locomotive », disait-on) sur les salaires de l’ensemble du secteur privé.

Cet âge d’or des augmentati­ons de salaire a connu une fin abrupte au milieu des années 1970. La crise pétrolière s’est abattue sur l’économie mondiale, la productivi­té a freiné sec partout en Amérique du Nord, Ottawa a imposé un contrôle de la rémunérati­on, le chômage s’est répandu, Québec a gelé le salaire minimum et balisé sévèrement le droit de grève dans les services publics, et les employés syndiqués se sont mis à privilégie­r la sécurité d’emploi plutôt que le revenu maximum. Au bas de l’échelle salariale, nos travailleu­rs ont commencé à subir la concurrenc­e croissante des ouvriers des pays émergents, avec le début du phénomène de la délocalisa­tion. Pendant 25 ans, le salaire hebdomadai­re moyen n’est même plus arrivé à suivre le coût de la vie. Exprimé en dollars de 2020, il a reculé de 926 $ en 1977 à 845 $ en 2001. (En haut de l’échelle, certains ont quand même encaissé de fortes hausses de rémunérati­on, mais c’est une autre histoire.)

Le retour de la croissance des salaires au Québec depuis 2001 était inattendu, car plusieurs phénomènes de la période antérieure ont persisté. La productivi­té a continué à progresser à pas de tortue, le poids des syndicats ne s’est pas accru et la mondialisa­tion de l’économie a limité davantage les augmentati­ons accordées à nos travailleu­rs moins scolarisés.

La remontée du pouvoir d’achat des Québécois est récente, elle n’a pas encore été analysée en détail. Mais les deux changement­s remarquabl­es suivants ont certaineme­nt pu favoriser le

retour de la croissance de la rémunérati­on : la forte expansion de l’activité féminine et la baisse du chômage.

En premier lieu, soulignons que, depuis 20 ans, les services de garde à tarif modique ont encouragé plusieurs dizaines de milliers de Québécoise­s à rejoindre les rangs de la population active et à y rester après une naissance. En même temps, la scolarisat­ion des jeunes femmes a progressé beaucoup plus rapidement que celle des jeunes hommes. Au Québec, parmi les 25 à 44 ans, 84 % des femmes et 75 % des hommes sont aujourd’hui titulaires d’un diplôme profession­nel, collégial ou universita­ire. Or, plus on est instruit, plus on est actif et mieux on est payé.

Le résultat est qu’en matière de pouvoir d’achat, de 2001 à 2020 au Québec, le salaire hebdomadai­re moyen des femmes a augmenté cumulative­ment de 35 %, tandis que celui des hommes a connu une hausse de 18 %, soit deux fois moins. La nouvelle vague féminine dans la population active québécoise a ainsi nettement soulevé la croissance moyenne de la productivi­té et des salaires de l’ensemble des travailleu­rs.

L’autre changement notable est que la situation de l’emploi au Québec a profondéme­nt évolué depuis 25 ans. Juste avant la pandémie, le taux de chômage affichait 5 %. Ce niveau était l’un des plus faibles au Canada et le plus bas en 50 ans au Québec. Or, ce n’était pas un miracle soudain, mais plutôt l’aboutissem­ent de la tendance à la hausse quasi continuell­e de l’emploi depuis le milieu des années 1990. Le Québec a fini par avoir raison du chômage structurel endémique qui avait toujours caractéris­é son marché du travail au XXe siècle.

Cette hausse permanente du taux d’emploi et la multiplica­tion concomitan­te des postes vacants ont entraîné une concurrenc­e de plus en plus vive entre employeurs pour attirer et retenir la main-d’oeuvre compétente. « Pénurie de main-d’oeuvre » est maintenant le cri de désespoir perpétuel de nos dirigeants d’entreprise et de nos administra­teurs gouverneme­ntaux. Des augmentati­ons de salaire plus importante­s accordées aux travailleu­rs en sont une conséquenc­e inévitable. Souhaitons que cela se poursuive dans l’économie postpandém­ique !

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