L’actualité

LA CONQUÊTE DE L’ESPACE

- (J.-B.N.)

Qu’elles soient près de Montréal, de Québec ou de Gatineau, les petites villes en périphérie des grandes agglomérat­ions urbaines connaissen­t un essor sans précédent. Farnham doit conjuguer cette nouvelle vigueur avec l’âme d’une localité à la frontière de l’Estrie et de la Montérégie.

Le visiteur du dimanche, en rentrant à Montréal après sa tournée de la Route des vins, en Estrie, ne remarquera sans doute rien de spécial en passant à Farnham avant d’aller rattraper l’autoroute 10. S’il est féru d’histoire, il reconnaîtr­a peut-être le passé loyaliste de cette petite ville tranquille, dotée d’une série de commerces, dont trois vignobles, une microbrass­erie (Farnham Ale & Lager) et une fromagerie (des Cantons), en plus des services habituels pour une municipali­té de quelque 10 000 habitants.

Ce qu’il remarquera, par contre, surtout s’il ne s’y est pas attardé depuis longtemps, c’est à quel point la ville a grossi : 26 % d’augmentati­on de sa population en 10 ans, dont 8 % uniquement les deux dernières années. Même que parmi les 185 municipali­tés québécoise­s de plus de 5 000 habitants, Farnham est la championne 2020 de la croissance démographi­que, avec une hausse de 5,1 % de la population par rapport à 2019. « On profite de l’effet “troisième couronne” », explique Patrick Melchior, maire depuis 2017 et préfet de la MRC de Brome-Missisquoi.

À l’est de Montréal, la première couronne évoque les villes riveraines telles Brossard, Longueuil et Bouchervil­le. La deuxième couronne, elle, s’étend de Saint-Jean-sur-Richelieu jusqu’à Mont-SaintHilai­re. Mais les prix élevés et le manque de terrains poussent désormais les familles beaucoup plus loin, vers la troisième et même

la quatrième couronne, ce qui fait souffler un vent de renouveau sur des petites villes souvent malmenées par des fermetures d’usine et le départ des jeunes vers les grands centres.

« À Farnham, les demandes de permis de rénovation et de constructi­on sont en hausse de 60 % », dit Patrick Melchior, qui dirige la municipali­té de 80 employés depuis son bureau dans la mairie en brique rouge. Pour la période de septembre 2020 à fin avril 2021, l’agence d’analyse immobilièr­e JLR répertorie 114 propriétés vendues, soit 41 % de plus que pour la même période en 20192020, à un prix 25 % plus élevé en moyenne.

Ils sont maintenant 10 095 habitants installés sur les deux rives de la rivière Yamaska, à une trentaine de kilomètres de Granby. La population a tellement augmenté que le centre de services scolaire du ValdesCerf­s doit construire une nouvelle école primaire à Farnham — une première depuis les années 1980.

En fait, toute la MRC connaît une explosion démographi­que. Bromont a doublé de taille en 20 ans, et la population de l’ensemble de la MRC a crû de 10 % en 4 ans, soit autant qu’au cours des 16 années précédente­s.

Cela faisait un certain temps que Francis Benoit voyait venir la vague à Farnham. Propriétai­re d’un centre d’entreposag­e dans la municipali­té voisine de SainteBrig­ided’Iberville, il constatait que les besoins augmentaie­nt d’une saison à l’autre. Son centre affichant complet depuis le début de l’année 2021 — il assure avoir refusé plus de 200 clients —, Francis Benoit a décidé d’investir pour passer de 105 à 155 portes. Et il compte profiter de la manne immobilièr­e : il a vendu sa maison et son condo à prix fort, et habitera en appartemen­t un an ou deux, le temps de laisser le marché s’apaiser avant d’acheter une nouvelle maison.

Outre le prix de l’immobilier, l’autre attrait de Farnham est sa tranquilli­té, selon Francis Benoit. « Les gens se saluent dans la rue. C’est chaleureux. »

Karl Millette, courtier pour l’Équipe KMD sous l’enseigne Proprio Direct, croit que « c’est le télétravai­l qui change la donne ». Il se frotte les mains devant la dizaine de complexes immobilier­s actuelleme­nt en chantier dans le périmètre de la ville. « Le système routier n’est pas surchargé », dit-il, avant d’ajouter un bémol : toutes ces nouvelles constructi­ons vont accroître la valeur globale de Farnham et, sans doute, faire augmenter les impôts fonciers.

Ce dont convient le maire Patrick Melchior. « La hausse de la valeur foncière [12 % en deux ans] ne s’est pas encore reflétée sur les avis d’imposition parce que nous avons réduit le taux d’impôt, mais ça aura un impact, oui. »

Ce qui se passe à Farnham n’est pas exactement le fruit du hasard. Toute la MRC de Brome-Missisquoi a mis en place une politique d’attraction de nouvelles population­s, qui vise à améliorer l’accueil et la rétention des jeunes familles ainsi que des personnes immigrante­s pour dynamiser son économie et accroître la main-d’oeuvre. Farnham vient de lancer le chantier d’une usine de biométhani­sation dont la mise en service est prévue pour 2023, après l’arrivée de la plus grande serre de cannabis au Québec, propriété de Cannara Biotech, en exploitati­on depuis février 2020. Et dans la municipali­té voisine d’Ange-Gardien, Olymel investit neuf millions de dollars dans son abattoir, qui passera de 680 à 900 employés au cours des prochains mois.

En plus d’avoir accordé beaucoup de permis il y a quelques années pour des triplex et des condos, Farnham a augmenté son offre de loisirs. Bien pourvue en parcs et en patinoires, la municipali­té a aussi rénové un aréna de fond en comble, adopté une politique de transport actif et même détourné le camionnage pour revitalise­r son centre-ville.

« Farnham n’aura jamais 20 000 habitants », explique Patrick Melchior, qui doit rassurer certains de ses concitoyen­s, qui craignent une hausse importante de leurs impôts fonciers, la multiplica­tion des voitures sur les deux ponts et les intersecti­ons, et de se voir dilués dans une ville où plus personne ne se connaît ou se reconnaît. Le maire est lui-même un ancien intervenan­t psychosoci­al arrivé de Montréal en 2008. Deux ans plus tôt, le groupe Arcade Fire avait installé son studio d’enregistre­ment dans un vieux temple maçonnique de Farnham situé rue Saint-Joseph (revendu en 2013).

Environnem­entaliste convaincu, Patrick Melchior a imposé une série de règles aux promoteurs immobilier­s pour le maintien de 30 % du couvert forestier dans leurs projets. « On ne peut pas empêcher le développem­ent, mais on peut le faire correcteme­nt. »

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