C’EST BIEN MEILLEUR EN GROUPE
Pour se parer contre l’appétit de spéculateurs et d’entrepreneurs, des consommateurs désireux d’être propriétaires de leur chez-soi se sont regroupés sous une initiative inédite à Sherbrooke.
Une maison neuve pour 160 000 dollars, ça vous dirait ? En prime : un boisé de six hectares, une piscine, ainsi qu’un centre communautaire équipé d’une cuisine et d’un atelier de bricolage. C’est le rêve que réalisera Véronique Royer, 32 ans, lorsque sa fille et elle emménageront, l’an prochain espère-t-elle, dans leur nouvelle propriété du Petit Quartier, dans l’arrondissement de Fleurimont, à Sherbrooke. Le concept est unique en son genre au Canada : la maison fait partie d’une coopérative qui réunira non pas des locataires, mais des propriétaires.
«Le Petit Quartier, c’est 73 petites maisons de deux étages. Nous les avons conçues pour qu’elles excèdent les normes du code du bâtiment, avec des planchers chauffants, entre autres. Et tous les fils du quartier sont enfouis », dit Richard Painchaud, consultant en marketing maintenant retraité, qui a consacré bénévolement plus de 5 000 heures à la mise sur pied d’un milieu de vie qui allie la propriété et la vie communautaire typique des coopératives.
Trois options sont proposées aux acheteurs : outre Le Petit Quartier, la coop Des Prés, dans la ville voisine de
Waterville, prévoit quatre bâtiments de quatre grands logements de six et sept pièces. À Sherbrooke, l’ensemble domiciliaire Havre des Pins, dans le secteur nord, sera constitué d’immeubles de 24 condos classiques, mais en propriété coopérative.
« On reçoit des appels de gens de partout qui veulent nous imiter ou s’informer », se réjouit Guillaume Brien, directeur général de la Fédération des coopératives d’habitation de l’Estrie (FCHE), qui fait maintenant la tournée des régions pour expliquer le concept aux autres fédérations membres de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation. « La coopérative de propriétaires, c’est la solution au problème du retard des Québécois en matière d’accession à la propriété. » La proportion de ménages propriétaires au Québec (61 %) est la plus faible parmi les provinces canadiennes (moyenne de 68 %).
La FCHE a cherché pendant 30 ans à créer des coopératives de propriétaires. L’enjeu était de pouvoir offrir un chezsoi de qualité à un coût de 25 % à 30 % inférieur à celui du marché privé, tout en rassurant les prêteurs et en se dotant d’un mécanisme qui maintiendrait un contrôle des prix. « Les coopératives, ce ne sont pas des HLM », dit Guillaume Brien.
C’est à Burlington, au Vermont, que la FCHE est tombée sur un concept de « fiducie foncière communautaire », dont s’inspirent désormais les trois coopératives de propriétaires de l’Estrie. Une fondation a été créée, dans laquelle ont investi le gouvernement du Québec et le Fondaction de la CSN. La fondation achète le terrain et finance la construction des maisons, qui sont vendues par la coopérative. Quand un propriétaire revend sa maison, l’acheteur est choisi par le comité de sélection. Le prix, lui, est déterminé en fonction de l’augmentation moyenne mesurée par la chambre immobilière. Le propriétaire empoche 40 % de la plusvalue, 10 % reviennent à la coopérative et le reste rembourse la fondation.
Le choix des acheteurs repose sur des critères financiers et sur les valeurs qu’ils prônent. Car une coopérative de proprios, c’est aussi une initiative communautaire fondée sur le partage — des équipements, des tâches d’entretien et de réparation ainsi que des décisions (finances, promotion, organisation). « Chaque îlot de maisons a son propre espace de rangement avec un atelier de bricolage commun. On ne vient pas dans Le Petit Quartier pour avoir chacun sa tondeuse, sa scie circulaire ou son appareil à raclette », dit Richard Painchaud.
C’est à la suite d’une année sabbatique passée dans une habitation exiguë il y a 11 ans, ce qui l’avait amené à revoir son mode de vie, que ce dernier a commencé à élaborer un projet de minimaisons communautaires. Il ne pourra, hélas, emménager dans Le Petit Quartier pour des raisons de santé, qui le forcent à chercher un logis adapté. « Mais je continue à travailler au lotissement, car j’y crois beaucoup. »
Essentiellement, c’est comme si on avait couché la tour de condos et détaché chaque logement, explique Richard Painchaud, qui a ramé fort pour surmonter les obstacles réglementaires et légaux. « Le coopérant achète le droit exclusif sur l’intérieur de sa maison et sur son jardin, mais la coquille de la maison, le boisé, la piscine et le centre communautaire appartiennent à la coopérative, dont il est membre par ailleurs. Chaque membre doit payer des frais mensuels et contribuer bénévolement à la coopérative. »
Depuis qu’une bande d’étudiants en médecine et en sciences sociales ont lancé les premières coopératives de locataires à Sherbrooke au début des années 1970, le mouvement coopératif estrien a toujours été vigoureux. Avec plus de 1 800 appartements, l’Estrie compte désormais 3 % de logements de ce type, soit le double de la moyenne québécoise. Les coops estriennes de locataires — 50 actuellement — ont été les premières à se structurer en fédération pour se doter de services communs centraux et professionnels concernant l’entretien, la gestion, les assurances et la mise sur pied de nouveaux complexes résidentiels.
Après avoir considéré les deux autres coopératives de propriétaires, Véronique Royer a préféré Le Petit Quartier. «Ce que j’ai aimé, ditelle, c’est d’avoir ma maison, sans quelqu’un qui marche sur ma tête, tout en étant dans un cadre communautaire. » La travailleuse autonome, adepte de la simplicité volontaire, explique que son choix de la propriété coopérative découle de ses réflexions écologiques et de son attrait pour un mode de vie fondé sur le partage.
Véronique Royer admet avoir eu quelques hésitations devant l’obligation de se plier aux critères d’un comité pour vendre. « Mais l’engouement pour ce genre de concept me donne bon espoir qu’il y aura des acheteurs déjà sélectionnés et préapprouvés. »