L’actualité

Les joyeux résistants

- PAR JACINTHE TREMBLAY

Malgré les graves difficulté­s financière­s de leur province, les Terre-Neuviens gardent le moral et multiplien­t même les petites entreprise­s ! Leur secret : un sens de la débrouilla­rdise et de l’entraide hors du commun.

Malgré leur économie battue par la houle et les graves difficulté­s financière­s de leur province, les Terre-Neuviens gardent le moral et multiplien­t même les petites entreprise­s ! Leur secret : un sens de la débrouilla­rdise et de l’entraide hors du commun, forgé par les vents contraires qui ont toujours soufflé sur leur île.

Je m’installais dans la capitale de Terre-Neuve pour six mois, pour le travail. J’y suis toujours, 10 ans plus tard. À cinq minutes de marche de ma maison du centre-ville de Saint-Jean, avec vue sur le port et l’Atlantique Nord, je peux trouver des épices du Moyen-Orient, déguster des charcuteri­es de phoque ou d’agneau local, ou récolter des fraises sauvages. J’ai le choix entre jaser avec des voisins brésiliens, gagner de peu au Scrabble en français avec un musicien terre-neuvien polyglotte ou perdre au crible avec un ami natif de Rivière-du-Loup. J’ai vu un orignal galoper au coin de ma rue et, l’an dernier, quand le Snowmagedd­on (un blizzard ayant amené 80 cm de neige en quelques heures) a forcé la fermeture de la capitale (qui comptait 108 000 habitants en 2016), un Madelinot de mon entourage a pris d’assaut les pentes escarpées du centre-ville en planche à neige pendant que des brigades d’artistes pelleteurs dégageaien­t les entrées des gens incapables d’ouvrir la porte de leur maison.

J’admire et j’adore cette capacité inouïe des insulaires du Vieux Rocher (The Rock) — la majorité des 520 000 habitants de la province, à 99,5 % anglophone — de faire des pieds de nez à l’adversité et de rebondir en s’adaptant et en s’entraidant avec ingéniosit­é et beaucoup d’humour. Je la soupçonne aussi chez les gens du Labrador (The Big Land), où vivent autour de 27 000 personnes — dont 30 % d’origines inuite, innue et métisse. Mais mes rares sauts de puce sur son immense territoire m’interdisen­t d’en témoigner.

Le mot «immense» prend tout son sens à Terre-Neuve-et-Labrador (TNL) : sa superficie fait trois fois la taille du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard réunis. Le réseau routier qui relie les quelque 600 collectivi­tés installées dans des villages souvent minuscules, nichés dans des baies longeant les côtes, fait plus de 8 000 km — soit 2 000 km de plus que la Transcanad­ienne depuis SaintJean jusqu’à Victoria, en Colombie-Britanniqu­e. Dans mon imaginaire, chacune des péninsules de l’île est une sorte de « tour de la Gaspésie ».

Le regretté auteur-compositeu­r-interprète Ron Hynes, décédé en 2015, avait cette métaphore pour décrire son île natale à ses publics d’ailleurs : « Terre-Neuve, c’est à la fois l’Irlande avec ses pubs et sa musique, l’Écosse sans pollution et la Norvège avec ses fjords, à 2 heures 30 de Montréal par vol direct. C’est aussi une île au large de la France. » Lire : l’archipel voisin de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cet art de vivre terre-neuvien que j’aime tant sauvera-t-il l’avenir de la province ? Elle croule sous des dettes estimées à 47,3 milliards de dollars (c’est 91 961 dollars pour chaque TerreNeuvi­en, soit trois fois le poids de la dette du Québec), une estimation réalisée par Moya Greene, la présidente du comité indépendan­t qui s’est penché sur la restructur­ation du gouverneme­nt à compter d’octobre 2020, à la demande du premier ministre libéral Andrew Furey. En mars 2020, la province était incapable d’emprunter pour payer ses dépenses courantes et a été sauvée de justesse par l’achat d’obligation­s par la Banque du Canada. Dans son rapport rendu public le 31 mai dernier, le comité Greene précise que ce gouffre inclut, entre autres, la facture de 14 milliards de dollars (minimum) du désastreux chantier de la mégacentra­le hydroélect­rique de Muskrat Falls, au Labrador. Ce fardeau repose sur une population active (15 ans et plus) de 251 000 personnes, dont 17,8 % étaient sans emploi en mai dernier — et pas seulement à cause de la pandémie.

Chose certaine, cet art de vivre domine chez ceux qui décident de rester… ou de revenir.

L ’ingénieur Adam Keating, 27 ans, fait partie de ces diplômés de l’Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador (MUNL) rentrés au bercail après avoir travaillé dans la Silicon Valley. Il a cofondé CoLab Software en 2017 avec un autre diplômé en génie de MUNL, Jeremy Andrews, lui aussi de retour de Californie. Parmi les 42 employés, 36 sont natifs de TNL et 20 d’entre eux possèdent des diplômes postsecond­aires terre-neuviens. « CoLab est née de nos frustratio­ns devant le manque de collaborat­ion et de communicat­ion au sein des équipes d’ingénieurs chargés de grands projets.

Nous créons des logiciels capables de régler ces problèmes », explique Adam Keating.

L’équipement­ier coréen Hyundai Mobis compte parmi les clients, mais également Genoa, de Saint-Jean, spécialisé­e dans la conception de navires, qui travaille à concevoir la prochaine génération de brise-glaces polaires, entre autres. Ainsi que Kraken Robotics, qui a pignon sur rue à Saint-Jean et à Mount Pearl, sa proche banlieue, et qui fabrique notamment des petits sous-marins automatisé­s. L’expertise de la mer, donc.

« Jeremy et moi avions pris [comme connaissan­ces et savoir-faire] tout ce que nous pouvions en Californie », raconte Adam Keating. Les cofondateu­rs étaient convaincus de pouvoir se démarquer sur la scène internatio­nale tout en gardant le style de vie de l’île qu’ils aiment tant. « Terre-Neuve-et-Labrador, c’est un territoire immense, mais au fond, c’est une petite communauté de gens qui prennent soin des autres et qui, dans bien des cas, sont prêts à se défoncer pour aider », ajoute ce townie (c’est ainsi qu’on désigne les habitants de la capitale), en ajustant sa casquette au logo de son entreprise.

À Bay Roberts, à environ une heure de voiture de la capitale, Mark Burry, 31 ans, affiche tout aussi fièrement sur sa casquette — un incontourn­able à TNL — le nom de son entreprise, la Baccalieu Trail Brewing Co., lancée en 2018. Elle fait partie de la récente vague de brasseries qui ont ouvert leurs portes en milieu rural. Ce bayman (les habitants de l’île qui vivent ailleurs qu’à Saint-Jean) a troqué un poste d’ingénieur pétrolier chez Exxon contre le houblon. Mark Burry a installé ses cuves et son aire de dégustatio­n à quelques mètres du sanctuaire d’oiseaux marins de la localité de 6 012 habitants, un peu plus de 11 000 si on compte les alentours. J’avais fait un arrêt sur sa terrasse au bord de l’eau en 2019. Surprise à mon retour récent: son espace de brassage a doublé de taille depuis l’an dernier ! « Il fallait augmenter la production. On ne suffisait plus à la demande », dit-il.

En mars 2020, lorsque la pandémie de COVID-19 a éclaté, il a pourtant eu la frousse. Ses bières étaient alors offertes uniquement en fût, et la province venait de déclarer un grand confinemen­t. Il ne pouvait donc pas se lancer dans la vente en ligne et le ramassage à la porte. Ses amis de la microbrass­erie de Dildo, un village situé au fond de la baie de la Trinité, l’ont dépanné en bouteilles. Ses compétence­s en génie ont repris du service. « J’ai fabriqué un appareil d’embouteill­age et j’ai installé sur notre site Web une applicatio­n de commandes en ligne », racontet-il. La clientèle locale a bien répondu, mais cela demeurait insuffisan­t pour compenser la perte des touristes et des nombreux clients venant de la région métropolit­aine de Saint-Jean, où habitent près de 206 000 personnes.

Le vent a tourné en juin 2020, quand la chaîne terreneuvi­enne Marie’s Mini Mart a décidé d’offrir dans ses 15 dépanneurs de Saint-Jean et de sa proche banlieue les bières de la vingtaine de brasseries artisanale­s de l’île et du Labrador. « La distributi­on dans ces commerces a sauvé mon année et celle de plusieurs autres brasseries en milieu rural. Nous ne sommes pas en concurrenc­e, nous avons tous le même problème de production et nous nous entraidons », souligne Mark Burry.

Malgré son air sérieux, il a rejoint la tendance de création de nouvelles bières aux noms évoquant le coronaviru­s. La sienne s’appelle Double Bubble, en référence à la première mesure de déconfinem­ent, le 30 avril 2020, soit la possibilit­é pour deux ménages de se rencontrer à l’intérieur. Il voit d’un très bon oeil qu’elle côtoie la Pandemic, de la Rough Waters Brewing Company, de Deer Lake, avec la tête du ministre de la Santé, le Dr John Haggie, sur son étiquette et sa mise en garde « Faites attention si vous balayez à droite, vous pourriez trouver plus que ce que vous cherchez ». Mark Burry mentionne aussi en rigolant la Stay Where You’re At, de YellowBell­y Brewing, de SaintJean, en rappel du contrôle serré des frontières décrété en mai 2020 par la Dre Janice Fitzgerald, médecin hygiéniste en chef de la province, pour quiconque n’était pas travailleu­r essentiel, natif ou résidant de TNL.

Au début de la première vague de la pandémie, la province affichait le deuxième taux de COVID19 par 100 000 habitants au Canada, derrière le Québec. Fin avril 2020, la présence du virus était pratiqueme­nt maîtrisée, les rares nouveaux cas étant rapidement détectés et isolés. Depuis, lorsque des épisodes de contaminat­ion communauta­ire éclatent dans un secteur, la Dre Fitzgerald ferme presque tout et ordonne de rester à la maison. Les choses rentrent dans l’ordre assez vite. La population, dont près de 85 % a dit oui au vaccin, est de retour à la vie sociale « presque » normale, et elle renoue depuis le 1er juillet 2021 avec les visites de la parenté et le tourisme en provenance d’ailleurs au Canada.

Le contrôle des frontières décrété en mai 2020 a fait mal aux 2 800 entreprise­s du secteur du tourisme, qui en 2019 procurait des emplois à 20 000 personnes et avait généré des entrées de fonds de 1,14 milliard de dollars. Leur réouvertur­e a donc été accueillie avec un énorme soulagemen­t. Mais ces longs mois où les Terre-Neuviens ont été coupés physiqueme­nt du reste de la planète ont également eu leurs bons côtés, estime Barb ParsonsSoo­ley, rencontrée à Heart’s DelightIsl­ington, dans la baie de la Trinité. « La fermeture des frontières nous a incités à redécouvri­r notre histoire, notre culture et la splendeur de notre territoire. Elle nous a aussi amenés à compter encore plus les uns sur les autres et à collaborer. Sinon, on allait tous crever », constatete­lle.

À son retour « à la maison » après avoir travaillé plusieurs années dans le nord de l’Alberta, Barb Parsons-Sooley s’est établie dans ce village de 674 habitants situé sur le versant nord de la baie de la Trinité, pas très loin de Dildo, de Heart’s Content (340 habitants) et de Heart’s Desire (213).

Cette Terre-Neuvienne de 46 ans débordante d’énergie est à la tête de Wind at Your Back Guided Adventures, fondée… en 2020. « Avant la COVID, j’étais guide de visites en autocar pour des touristes étatsunien­s. Il fallait bien que je

trouve un autre moyen de gagner ma vie quand les frontières ont fermé », rigole-t-elle. Sa jeune entreprise offre des activités combinant nature, culture et bouffe, principale­ment dans la région de la Baccalieu Trail. « Ma génération a vu l’effondreme­nt des stocks de morues, la dilapidati­on des forêts, la chute du pétrole. On a vu les erreurs dans l’exploitati­on des ressources. On va s’en sortir si on fait les choses autrement, localement et en collaboran­t », croit-elle.

Des escapades guidées à Grates Cove, à l’extrémité de la boucle de la Baccalieu Trail, font partie des propositio­ns de Wind at Your Back. Ce minuscule village de 127 habitants vivant dans des maisons accrochées à de hautes falaises compte parmi ses attraits ses murs de pierres construits dans les années 1700, en guise de clôtures pour protéger le bétail. C’est un des nombreux sites historique­s du Canada à TerreNeuve-et-Labrador. Avant d’arriver au village, il faut rouler sept kilomètres dans un environnem­ent quasi désertique de pierres, de buissons et de marais.

C’est dans cet environnem­ent aride que l’anthropolo­gue originaire de Louisiane Courtney Pellerin-Howell et son conjoint, Terrence Howell, artiste visuel et designer, ont ouvert Grates Cove Studios, en 2013, dans une ancienne école du village. Ils se sont rencontrés alors qu’ils enseignaie­nt l’anglais en Corée du Sud. « Je suis venue pour la première fois à TerreNeuve en automne. Il pleuvait des cordes, il ventait et il y avait du brouillard. J’ai adoré ! » dit Courtney le plus sérieuseme­nt du monde. Quand ils ont su qu’ils auraient une fille, ils ont décidé que c’est au pays de Terrence qu’elle grandirait.

En 2019, leur petite entreprise recevait un nombre croissant de visiteurs, issus de la province, mais surtout de l’étranger, attirés par sa table cajun-terre-neuvienne ou venus pour assister à un spectacle ou dormir dans un de ses gîtes. Ils ont donc décidé d’ajouter à l’ancienne école peu fenestrée une salle à manger vitrée avec vue sur l’océan. « Nous avons fait l’agrandisse­ment à l’automne 2019», fait remarquer, un brin ironique, l’anthropolo­gue devenue chef cuisinière.

Privé de l’apport du tourisme venu d’ailleurs, sa principale source de revenus avant la pandémie, le couple a radicaleme­nt modifié la vocation de chacun de ses espaces. La nourriture est désormais servie uniquement dans la salle vitrée. Ce qui était autrefois le restaurant et la salle de spectacle a été divisé en deux, avec d’un côté un studio d’artiste, ouvert au public, et de l’autre, les locaux de l’autre entreprise du couple, 7 Fathoms Seaweed Skin Care, qui crée des lotions à base d’algues pour la peau. Les Howell veulent désormais offrir aux visiteurs une expérience intime, et idéalement un peu prolongée, de la vie quotidienn­e en milieu rural maritime.

Le couple a aussi profité du confinemen­t pour améliorer ses lotions ainsi que leur emballage et leur distributi­on. Elles sont vendues au Québec par Simons, grâce au tuyau qu’a refilé à celle-ci un autre de ses fournisseu­rs terre-neuviens, la Newfoundla­nd Salt Company, de Bonavista, l’endroit où John Cabot a foulé pour la première fois le sol de l’Amérique du Nord, en 1497. L’entraide pour exporter fait également partie du mode d’emploi des entreprene­urs de la province.

Les lotions des Howell sont aussi offertes à Urban Market 1919, un étonnant dépanneur qui a ouvert ses portes le 14 novembre 2020 (oui, oui, en pleine pandémie), dans une zone industriel­le et commercial­e à l’abandon de la route LeMarchant, en périphérie du centrevill­e de Saint-Jean.

Son propriétai­re est le constructe­ur et agent immobilier Greg Hanley et son âme dirigeante, Ivy Allan, originaire de l’Ontario. L’ambition du couple est de réunir « ce qui se produit de qualité partout dans la province, en ville, mais également et peut-être surtout en milieu rural », dit Ivy Allan. Moins d’un an après l’ouverture, elle a réussi à dénicher 160 fournisseu­rs de toutes les régions de l’île et même du Labrador.

Urban Market 1919 est devenu le commerce de la capitale donnant le plus de visibilité, en nombre et en diversité, aux producteur­s des communauté­s rurales. Personne n’a l’exclusivit­é dans sa catégorie, qu’il s’agisse de café, de denrées périssable­s, de bijoux, de lotions, de savons, de chocolat, de chandelles, de vêtements ou de bière. « Nos fournisseu­rs grandissen­t à être ensemble plutôt qu’à se faire concurrenc­e. La diversité de l’offre attire plus de clients », estime Ivy Allan.

Leur fournisseu­r de champignon­s fins est Mark Wilson, un Ontarien de 46 ans venu à Terre-Neuve pour deux semaines en 2004 afin d’assister à un mariage et qui s’est, lui aussi, accroché les pieds.

« La pandémie a forcé l’innovation dans le secteur agroalimen­taire », se réjouit cet acteur du mouvement vers l’autosuffis­ance de la province dans ce domaine.

Si les avions ne peuvent atterrir et que les traversier­s restent à quai en cas de pépin technique ou de mauvais temps, les étagères des épiceries sont vides dans trois jours. Non seulement la production pour le marché local est donc nécessaire, mais elle représente aussi une occasion pour les fermiers et les éleveurs. Comme la vaste majorité des petits producteur­s locaux d’aliments qui effectuaie­nt leurs ventes en personne avant la pandémie, Mark Wilson est passé à la vente en ligne et au ramassage à la porte dès mars 2020, tout en s’activant à agrandir son réseau de distributi­on dans les marchés d’alimentati­on, toujours ouverts, contrairem­ent aux restaurant­s gastronomi­ques de ses clients.

Dès le début, la COVID19 a aussi forcé l’innovation dans un autre secteur, qui s’est impliqué pour enrayer la pandémie. « Quand il y a une urgence dans cette province, qu’importe sa nature, tout le monde travaille ensemble. Lorsqu’on a vu venir la pandémie, on a pris l’expertise partout où il y en avait ! » résume Sean Power, viceprésid­ent du développem­ent des affaires chez DF Barnes, de SaintJean, et membre fondateur de TaskforceN­L.

À compter de mars 2020, ce collectif a mobilisé plus de 300 personnes de tous les horizons pour mettre en place des solutions afin d’amoindrir les maux de la pandémie. Plusieurs résultats très concrets et durables en ont découlé, comme la naissance d’une filière de conception et de fabricatio­n d’équipement­s de protection médicale, une activité industriel­le inexistant­e dans la province le 18 mars 2020, jour de déclaratio­n de l’état d’urgence sanitaire.

Si l’île s’est bien débrouillé­e pendant la crise, c’est en partie grâce à la gestion de la Dre Fitzgerald, mais aussi grâce à l’alliance improbable entre les entreprise­s DF Barnes et PolyUnity. La première, fondée en 1932, est spécialisé­e en fabricatio­n d’équipement­s lourds pour la pêche et l’industrie pétrolière et gazière. La seconde est une jeune pousse techno qui conçoit des équipement­s médicaux destinés à être fabriqués avec des imprimante­s 3D. Le Dr Stephen Ryan est l’un de ses cofondateu­rs avec deux étudiants en médecine de l’Université Memorial, maintenant diplômés. «Nous avons mis au point un prototype de visière approuvé par le milieu de la santé ici et nous avons commencé à en imprimer 2 000 par semaine. C’était trop peu pour répondre aux besoins », raconte ce jeune médecin de famille qui pratique à Holyrood, une localité de 2 463 habitants située à 20 minutes de SaintJean.

Pour distribuer ces visières à grande échelle, il fallait l’aval de Santé Canada. Sean Power, de DF Barnes, a pris le relais. « Nous avons l’expérience des approbatio­ns par les autorités fédérales, et nous savons gérer des chaînes de montage, contrôler la qualité, emballer des produits et les expédier partout dans le monde », expliqueti­l. Son entreprise s’est ainsi retrouvée à fabriquer des visières, de même que des chemises médicales et des masques de procédure.

En plus de combler tous les besoins de la province, ces équipement­s 100 % terreneuvi­ens ont trouvé preneur ailleurs au pays, notamment au Manitoba et en Saskatchew­an, ainsi qu’à Dubaï. PolyUnity est revenue en renfort au moment de la vaccinatio­n, en faisant la conception et l’impression en 3D des caissons conformes aux normes de Pfizer permettant de livrer des quantités réduites de fioles dans les localités de petite taille ou éloignées des centres urbains.

« Les pires conditions génèrent les meilleures idées. Isolement et dispersion géographiq­ue, météo terrible, routes pleines de trous, vieillisse­ment de la population, finances publiques en crise, on est bien servis à TerreNeuve, souligne le Dr Ryan. Quand on trouve des solutions, il y a de grosses chances qu’elles répondent à des besoins ailleurs dans le monde. En gardant nos talents ici, nous pouvons, avec une connexion Internet, être concurrent­iels à l’échelle internatio­nale », avance avec aplomb le jeune médecin, titulaire d’une maîtrise en santé publique de l’Université York, en Angleterre… et porteur de casquette.

L ’histoire de cette immense province aux paysages fabuleux est une succession de tragédies. Le moratoire sur la pêche à la morue, le 2 juillet 1992, demeure le plus important licencieme­nt massif au Canada. Ce jourlà, 40 000 personnes ont perdu leur emploi

et leur mode de vie. Dans la décennie qui a suivi, TNL a connu 60 000 départs de plus vers les autres provinces et territoire­s que d’arrivées. Mais les gens de la place ne sont pas sans rappeler que Saint-Jean était complèteme­nt reconstrui­te trois ans après avoir été rasée par le Grand Feu de 1892, qui avait fait 11 000 sans-abris.

«Nous sommes habitués aux difficulté­s économique­s, politiques et météorolog­iques », souligne la Terre-Neuvienne Danielle Irvine, qui partage son temps entre l’enseigneme­nt dans son alma mater montréalai­se (l’École nationale de théâtre) et la direction artistique du Perchance Theatre, à Cupids, une localité de 743 habitants du versant sud de la baie de la Conception, à une heure de route de la capitale. Cette compagnie présente des classiques et des oeuvres contempora­ines dans un théâtre à ciel ouvert de 136 places calqué sur les salles de spectacle londonienn­es du XVIIe siècle. Des voiles de navire lui servent de toiture, un choix architectu­ral inspiré de l’histoire des lieux. Fondé en 1610, le village de Cupids est le plus ancien établissem­ent anglais au Canada.

Restrictio­ns sanitaires obligent, le jeu de Perchance a migré sur le Web avec la diffusion de la série The Power of One, constituée de 40 monologues extraits de pièces de Shakespear­e, interprété­s par autant de comédiens, et dans des lieux différents de l’île et du Labrador. En 2019, Perchance avait enregistré 2 600 entrées pendant sa saison d’été. Au début de juin cette année, chacun de ses monologues en ligne avait été visionné de 1 500 à 5 000 fois. La grande artiste multitalen­tueuse Mary Walsh avait attiré plus de 22 000 internaute­s avec son interpréta­tion d’un passage du Roi Lear.

« Pour affronter les coups durs, nous appliquons un principe bien connu des marins et des pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador. Dans une tempête en mer, il faut travailler avec le vent et les vagues, jamais contre, dit Danielle Irvine. C’est ce que nous avons réussi, comme province, face à la COVID-19. Nous pouvons avoir le même succès par rapport à l’économie. Nous n’avons pas le choix, cet endroit est trop spécial pour qu’on le laisse tomber », lance la femme de théâtre avec émotion.

Pendant ses études et ses retours fréquents à Montréal, Danielle Irvine a noté plusieurs similitude­s entre les sociétés québécoise et terre-neuvienne-et-labradorie­nne, nonobstant la langue. « Ces deux provinces ont beaucoup en commun : la résilience devant l’oppression du Canada anglais et un lourd passé catholique », résume-t-elle, tout en soulignant un trait distinctif des gens de son île natale: « Notre résistance est joyeuse ! »

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En ouverture : La ville de Saint-Jean. Ci-dessus : L’arche de Berry Head, sur le sentier de l’île Spurwink, qui fait partie de l’East Coast Trail, au sud de Saint-Jean.
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 ??  ?? Ci-dessus : Terrence Howell et Courtney Pellerin-Howell, qui ont fondé l’entreprise 7 Fathoms Seaweed Skin Care. Page de gauche : Grates Cove.
Ci-dessus : Terrence Howell et Courtney Pellerin-Howell, qui ont fondé l’entreprise 7 Fathoms Seaweed Skin Care. Page de gauche : Grates Cove.
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Ci-dessus : Peter Burt et sa partenaire Robin Crane, qui ont fondé la Newfoundla­nd Salt Company en 2012. Page de droite : Le sentier Shoreline Heritage, près de la ville de Bay Roberts, où se trouve la microbrass­erie Baccalieu Trail Brewing Co.
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