Les six défis du Bloc québécois
À l’aube de probables élections générales fédérales, le Bloc québécois peut-il répéter l’exploit de sa renaissance-surprise d’il y a deux ans ?
À l’aube de probables élections générales fédérales, le Bloc québécois peut-il répéter l’exploit de sa renaissance-surprise d’il y a deux ans ? Six défis se dressent sur son chemin.
En politique comme dans le sport, répéter une performancesurprise n’est jamais facile. Les attentes augmentent, les critiques sont plus virulentes et vos adversaires vous attendent de pied ferme. Parlez-en au NPD, contraint de gérer la décroissance après la formidable vague orange de 2011 au Québec. Le Bloc québécois, que bien des observateurs (et des électeurs !) avaient enterré il y a 10 ans, a pourtant réussi à tripler son caucus en 2019, en route vers un retour en force à la Chambre des communes. À l’approche des élections fédérales, le parti souverainiste, dont le grand frère à l’Assemblée nationale éprouve des difficultés inédites, peut-il renouveler l’exploit ? Voici les défis qu’il aura à relever pour protéger ses acquis et tenter de faire des gains.
1 — Faire porter la campagne sur les valeurs québécoises
Le Bloc québécois n’est jamais aussi fort que lorsque le vent nationaliste souffle dans ses voiles. Ce fut le cas en 1993, après l’échec de l’accord du lac Meech ; en 2004, à la suite du scandale des commandites ; en 2019, après l’élection de François Legault et le débat sur la Loi sur la laïcité de l’État… En revanche, lorsque les enjeux économiques ou la volonté de changement des électeurs prennent le dessus, la tâche se complique pour la formation souverainiste, qui peine à trouver ses repères et une rhétorique convaincante (voir les campagnes de 1997, 2011 et 2015…).
Quelle sera la fameuse « question de l’urne » aux prochaines élections ? À quoi les citoyens penseront-ils en se rendant voter ? La réponse déterminera en grande partie le sort du Bloc québécois. Si la relance économique, la gestion de la pandémie ou le déficit budgétaire sont au coeur de la campagne, ce sera plus difficile pour les troupes d’Yves-François Blanchet. Si, au contraire, la culture, la langue ou l’inscription de la nation québécoise dans la Constitution deviennent des enjeux importants, les chances du Bloc vont grimper.
En 2019, Yves-François Blanchet avait profité de quelques coups de sang de François Legault contre Justin Trudeau, notamment en ce qui concerne la laïcité, pour se draper
dans le fleurdelisé. Cette fois, le premier ministre du Québec et celui du Canada semblent avoir fait la paix. À Québec, on ne cherche plus autant la bagarre. Le Bloc québécois pourra-t-il surfer pour une deuxième élection de suite sur le nationalisme remis au goût du jour par la CAQ ?
2 — Conserver les banlieues… et trouver la clé de Montréal
Lors du dernier scrutin, le Bloc québécois a remporté 52 % des circonscriptions de la province qui se sont décidées par une marge de 10 % d’écart ou moins. Une excellente performance, notamment dans plusieurs courses serrées dans la couronne de Montréal. Or, le Parti libéral de Justin Trudeau entend bien reprendre le terrain perdu autour de la métropole, dans des circonscriptions comme Longueuil– Saint-Hubert, La Prairie ou ThérèseDe Blainville. Il faudra que le Bloc conserve ses circonscriptions de banlieue s’il veut demeurer un incontournable à Ottawa.
En revanche, le parti est en panne sur l’île de Montréal depuis plusieurs élections, comme son grand frère le Parti québécois, d’ailleurs. Mis à part Mario Beaulieu dans La Pointe-del’Île, à l’extrême est, le Bloc n’a aucun député à Montréal, pourtant un terreau fertile à une certaine époque, quand des piliers du parti comme Gilles Duceppe ou Bernard Bigras s’y faisaient élire facilement. À ce titre, la course dans Hochelaga, circonscription remportée de justesse par la libérale Soraya Martinez Ferrada en 2019 par 328 voix, sera à suivre.
Dans la grande région de Québec, ce sont les conservateurs qui bataillent avec le Bloc. Il faudra alors être attentif au nouveau chef Erin O’Toole, qui parle un meilleur français que son prédécesseur Andrew Scheer et qui ne traîne pas la réputation d’être un conservateur moral.
3 — Tempérer les humeurs du chef
Yves-François Blanchet a profité d’une campagne peu couverte par les médias en 2019. Lorsque les journalistes se présentaient à deux ou trois pour le cuisiner pendant un point de presse, le chef s’impatientait rapidement. Cette fois, il sera davantage scruté. Et les adversaires du Bloc ne vont pas le ménager, contrairement à la précédente campagne. Pourra-t-il maîtriser son tempérament bouillant et peu porté sur l’humilité ?
Le refus d’Yves-François Blanchet de s’excuser auprès du nouveau ministre des Transports, Omar Alghabra, après avoir insinué sans fondement qu’il avait des accointances avec l’islam politique témoigne des risques de dérapage du chef. La ligne est souvent mince entre la pugnacité, l’une des qualités d’Yves-François Blanchet, et l’exagération.
4 — Démontrer l’utilité du parti
À chaque campagne électorale, c’est la ligne d’attaque favorite des libéraux et des conservateurs : « Le Bloc ne peut pas gouverner, il ne peut rien changer, alors votez pour avoir un représentant au gouvernement. » Des variations sur un même thème, accentuées par les propos du fondateur du parti, Lucien Bouchard, qui décrivait la mission du Bloc québécois comme « temporaire ».
Or, même si la démocratie ne se résume pas au pouvoir, les députés du Bloc devront de nouveau prouver leur utilité à Ottawa, ce qui est plus facile à faire en temps de gouvernement minoritaire. L’appui des bloquistes au projet de loi C-10 pour encadrer les géants du Web en matière de culture est un exemple que les élus souverainistes ne manqueront pas d’utiliser, tout comme leur bataille afin d’augmenter le supplément de revenu garanti pour les personnes âgées.
5 — Bien utiliser son trésor de guerre
Le Bloc québécois se lancera dans la bagarre électorale avec un trésor de guerre bien mieux garni que la dernière fois. La dette de la campagne de 2019 a été effacée, et le parti aura les moyens de diffuser des publicités à la télévision et à la radio, ce qui n’a pas été possible lors du précédent scrutin.
Il est à souhaiter que la santé financière du Bloc permette également aux organisateurs de prendre le temps de bien vérifier les antécédents des candidats. En 2019, Yves-François Blanchet a dû s’excuser pour les propos anti-islam de quatre de ses candidats tenus sur les réseaux sociaux dans les dernières années. Le Journal de Montréal avait facilement découvert le passé des candidats en remontant leurs publications sur Twitter et Facebook, ce que le parti avait visiblement omis d’examiner.
6 — Faire un bon débat des chefs
Bien des électeurs sont moyennement au courant de ce qui se passe sur la scène fédérale. Ils suivent la campagne comme un bruit de fond, notant au passage les rebondissements, sans plus. Pour nombre d’entre eux, le débat des chefs en français sera le seul moment consacré à l’exercice de s’informer. Yves-François Blanchet devra de nouveau être à la hauteur. Il avait épaté la galerie en 2019, sortant vainqueur de la joute à TVA et faisant match nul au débat de Radio-Canada. Il était toutefois inconnu. Les attentes seront plus élevées cette fois.
Qu’ils votent par conviction ou pour protester contre les autres partis fédéraux, beaucoup d’électeurs considèrent le Bloc québécois comme un parti refuge. Pour passer à la caisse et collecter les voix, le chef doit inspirer une certaine confiance, sans se montrer moralisateur ou hautain, alors qu’il maîtrise mieux la langue française que ses adversaires. Un dosage qui n’est pas facile à atteindre.
QU’ILS VOTENT PAR CONVICTION OU POUR PROTESTER CONTRE LES AUTRES PARTIS FÉDÉRAUX, BEAUCOUP D’ÉLECTEURS CONSIDÈRENT LE BLOC QUÉBÉCOIS COMME UN PARTI REFUGE.