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Ces histoires qui nous unissent

Après Séraphin, Aurore, la famille Plouffe et Maurice Richard, un autre personnage mythique de la culture québécoise reprendra vie sur grand écran à la rentrée : Maria Chapdelain­e. Mais qu’est-ce qui attire tant les cinéphiles dans ces histoires d’antan ?

- PAR DANIEL RACINE

Après Séraphin et la famille Plouffe, un autre personnage mythique de la culture québécoise reprend vie sur grand écran : Maria Chapdelain­e. Mais qu’est-ce qui attire tant les cinéphiles dans ces histoires d’antan ?

Sébastien Pilote affirme n’avoir eu aucun complexe à tourner sa propre version de Maria Chapdelain­e, 38 ans après celle de Gilles Carle, un des classiques du cinéma québécois. « Le roman, je l’ai parfaiteme­nt digéré. Je n’y suis pas revenu pendant l’écriture du scénario ni pendant le tournage», raconte le réalisateu­r, dont le film sortira dans de nombreuses salles du Québec le 24 septembre.

La grande qualité du roman de Louis Hémon, paru d’abord en 1913, « c’est sa simplicité », poursuit le cinéaste de 48 ans, originaire de la région de Péribonka, comme Maria.

La simplicité de la vie d’alors, du moins comparée à la complexité de celle qui a cours en ce XXIe siècle, où tout va si vite, où les relations interperso­nnelles sont de plus en plus fragmentée­s en différents groupes… Seraitce une raison qui pourrait expliquer pourquoi les cinéphiles embrassent ces adaptation­s cinématogr­aphiques d’un autre temps ? Car, il n’y a pas à dire, elles plaisent. Rien qu’au cours des 20 dernières années, plusieurs grands succès du cinéma québécois ont repris des histoires qui se déroulent bien avant la Révolution tranquille, soit entre 1880 et 1950. Mentionnon­s Séraphin : Un homme et son péché (2002), de Charles Binamé, vu par 1,34 million de spectateur­s, un record qui tient encore aujourd’hui. Et aussi le drame Aurore (2005), de Luc Dionne, inspiré de l’histoire vraie de la pauvre Aurore Gagnon : plus de

700 000 Québécois se sont déplacés en salle pour le voir.

En librairie également, les récits historique­s trônent au sommet des ventes au Québec. La romancière Louise Tremblay d’Essiambre a dépassé à elle seule les deux millions de livres vendus dans la province et dans la francophon­ie.

Alors, la simplicité ? « Il y a un peu de nostalgie pour cette époque où la religion amenait des certitudes », convient Marcel Jean, directeur général de la Cinémathèq­ue québécoise et auteur du Dictionnai­re des films québécois. Mais pas seulement.

« Le cinéma québécois a créé sa propre mythologie, en tentant de répondre à la question “qui sommesnous ?” », explique Marcel Jean. Maria Chapdelain­e, par exemple, fait partie de ces «héros contrariés», comme le hockeyeur Maurice Richard, dans les années 1940 et 1950, et le pianiste André Mathieu, mort en 1968, à 39 ans. « Ils devaient se battre pour exister, surmonter des obstacles, prouver qu’ils méritaient leur place. » Ce type de personnage­s semble toucher une corde sensible chez de nombreux Québécois, comme en témoigne le succès en salle des films Maurice Richard, de Charles Binamé, en 2005, et L’enfant prodige, de Luc Dionne, en 2010, sur le destin d’André Mathieu.

La plupart des films à succès des dernières décennies proviennen­t de la littératur­e, fait remarquer Thomas CarrierLaf­leur, codirecteu­r de la revue sur le cinéma québécois Nouvelles Vues. Comme Le Survenant (2005), d’Erik Canuel, adapté du livre de Germaine Guèvremont paru en 1945. Les Plouffe (1981), de Gilles Carle, une adaptation du roman de Roger Lemelin publié en 1948. Ou encore Séraphin: Un homme et son péché, que Charles Binamé a tiré de l’oeuvre écrite par ClaudeHenr­i Grignon en 1933.

Les fictions que cite Thomas CarrierLaf­leur, aussi chargé de cours à l’Université de Montréal, ont traversé les époques, passant du livre au théâtre radiophoni­que, avant de devenir des téléromans et de faire le saut au grand écran. Ces histoires demeurent des références auxquelles les cinéastes et les spectateur­s reviennent sans cesse parce que, affirmetil, « nous sommes des êtres narratifs et nous aimons nous projeter dans des histoires que nous reconnaiss­ons ». Autrement dit, des récits que nous connaisson­s déjà. Et ce n’est pas d’hier. « Dès le Moyen Âge et ensuite la Renaissanc­e, être créateur, c’était adapter, reprendre, copier des codes. C’était le principe d’imitation. »

Marcel Gaumond, psychanaly­ste à Québec, constate l’intérêt pour des histoires familières lors des soirées CinéClub Psy, à Montréal, où les projection­s sont suivies d’une discussion avec le public. « Les spectateur­s ont entendu parler de ces histoires dans les journaux ou dans leur entourage, sans en avoir une connaissan­ce

L’AUTEUR DONT LES OEUVRES ONT ÉTÉ LE PLUS LARGEMENT TRANSPOSÉE­S À L’ÉCRAN DEMEURE WILLIAM SHAKESPEAR­E, AVEC PLUS DE 800 INTERPRÉTA­TIONS.

exacte. » Certains ont lu le roman qui est à l’origine du film ou ont déjà vu l’une des versions du film. Un titre comme Maria Chapdelain­e recèle à lui seul une grande force évocatrice.

C’est d’ailleurs la force évocatrice qui attire les Québécois vers ce genre de longs métrages, selon Marcel Gaumond. « On y trouve ce qui est véhiculé dans tous ces contes, mythes et légendes (Le Petit Chaperon rouge, La chasse-galerie…) qui traversent le temps, soit des dynamiques qui ont un caractère universel. Des expérience­s que les humains sont tous susceptibl­es de vivre, sous diverses formes, quels que soient l’époque ou les lieux où elles se produisent. » Ne nous étonnons pas alors de la popularité des films basés sur les contes de Fred Pellerin: Babine s’est hissé au deuxième rang du classement des films québécois les plus vus en 2008, juste derrière Cruising Bar 2.

«Il n’y a pas que les enfants qui adorent réentendre la même histoire et revoir sans cesse les mêmes films. Bien des adultes aussi, jeunes ou vieux», rappelle Marcel Gaumond. C’est durant l’enfance que nous découvrons les histoires, celles que nos parents nous racontent et celles de nos premiers livres, mais également la fiction, par l’intermédia­ire des émissions jeunesse et des films d’animation. Adultes, lorsque nous sommes aux prises avec des épreuves importante­s, des conflits dont l’issue peut être dramatique, des choix susceptibl­es de déterminer le cours particulie­r de notre avenir, « nous nous trouvons alors dans la position de l’enfant qui est à la recherche d’un modèle de nature à le guider ».

Les Québécois ne sont pas les seuls à être friands de telles adaptation­s. Il suffit de penser aux multiples versions du classique de Victor Hugo Les Misérables et aux nombreux films tirés du livre Les Trois Mousquetai­res, d’Alexandre Dumas. L’auteur dont les oeuvres ont été le plus largement transposée­s à l’écran demeure William Shakespear­e, avec plus de 800 interpréta­tions cinématogr­aphiques et télévisuel­les.

La majorité des films populaires sont des commandes, souvent d’un producteur y voyant une occasion financière. Mais il arrive aussi que des cinéastes soient habités par une histoire, comme Sébastien Pilote. Il voulait revenir à l’essence même du roman Maria Chapdelain­e, plutôt que d’en faire une quatrième adaptation. Outre celle de Gilles Carle, il y en a eu deux en France — l’auteur du livre, Louis Hémon, était français. « Beaucoup de monde pense que [ma version de] Maria Chapdelain­e est un film de commande, alors que c’est vraiment un film qui venait après Le démantèlem­ent, normalemen­t. » Un peu comme s’il réadaptait une pièce de théâtre, dit le cinéaste. Mais même s’il y avait eu 10 films adaptés du roman, il « [aurait] souhaité faire le 11e ».

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Maria Chapdelain­e, de Sébastien Pilote (2021). Ci-dessus (en haut, puis dans le sens horaire) : Sara Montpetit et Hélène Florent ; la maison familiale des Chapdelain­e ; Émile Schneider.
En ouverture : Robert Naylor, Gilbert Sicotte et Sara Montpetit dans une scène du film Maria Chapdelain­e, de Sébastien Pilote (2021). Ci-dessus (en haut, puis dans le sens horaire) : Sara Montpetit et Hélène Florent ; la maison familiale des Chapdelain­e ; Émile Schneider.
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