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N’attendons pas le déluge

- PAR VALÉRIE BORDE

Le Québec doit revoir sa gestion des risques et des conséquenc­es des inondation­s, plaide le chercheur en hydroclima­tologie Philippe Gachon.

Le Québec doit revoir sa gestion des risques et des conséquenc­es des inondation­s, plaide le chercheur en hydroclima­tologie Philippe Gachon, directeur du Réseau Inondation­s InterSecto­riel du Québec.

Àl’ère des changement­s climatique­s, le Québec n’est pas à l’abri d’inondation­s majeures. Or, il ne tire guère de leçons des événements passés et sa gestion des risques est encore déficiente dans ce domaine, affirme le climatolog­ue Philippe Gachon, professeur à l’UQAM et directeur du Réseau Inondation­s InterSecto­riel du Québec (RIISQ), fondé en 2019. Ce regroupeme­nt financé par les Fonds de recherche du Québec réunit des spécialist­es en sciences naturelles, sociales et de la santé de toutes les université­s de la province. Il collabore avec les gouverneme­nts et d’autres acteurs, comme des assureurs ou des organismes environnem­entaux, dans le but d’améliorer la gestion des inondation­s et de leurs conséquenc­es. « Il y a eu des progrès, mais la plupart des décideurs ne réalisent pas que le passé n’est plus garant de l’avenir, ni à quel point il y a urgence de faire mieux », estime le chercheur.

Pourquoi parler de la gestion des inondation­s en plein été ? Le printemps reste la saison la plus à risque, mais les changement­s climatique­s amplifient désormais la menace en été, et même en hiver. Il faut savoir que ce qui se passe dans l’océan Atlantique Nord influence la variabilit­é du climat de l’est des montagnes Rocheuses jusqu’à l’Eurasie. Or, l’Atlantique se réchauffe aussi vite que l’océan Arctique : la hausse de la températur­e de l’eau s’y fait déjà sentir jusqu’à 2 000 m de profondeur ! Ce réchauffem­ent augmente le risque de tempêtes intenses, mais aussi la persistanc­e des régimes météorolog­iques secs et humides, deux causes majeures d’inondation­s pour le Québec en été et en hiver.

En 2020, par exemple, on a connu une sécheresse sans précédent de mai à juillet. Puis on a battu des records de précipitat­ions en août, avec 24 jours de temps orageux et les restes de l’ouragan Isaias qui ont fait tomber des trombes d’eau. Résultat : plusieurs régions ont subi des inondation­s. En décembre dernier, l’allongemen­t des cycles météo en a aussi causé, en Gaspésie et à Québec. Des pluies diluvienne­s sur un sol déjà enneigé font très mal, et c’est plus dur d’intervenir en plein hiver.

On s’intéresse surtout aux causes des inondation­s, comme les changement­s climatique­s. Même si vous êtes climatolog­ue, vous dites qu’on devrait penser davantage aux conséquenc­es de ces événements. Pourquoi ? La gestion des inondation­s est avant tout un problème de conséquenc­es pour la population. On l’a bien vu avec l’étude sur les impacts des inondation­s du printemps 2019 menée par mes collègues Mélissa Généreux, médecin en santé communauta­ire et professeur­e à l’Université de Sherbrooke, et Danielle Maltais, professeur­e de travail social à l’UQAC. Dans six régions ayant subi des inondation­s, dont la municipali­té de SainteMart­hesurleLac, les personnes dont le domicile a été inondé ont été de quatre à cinq fois plus nombreuses que les autres résidants, en proportion, à souffrir de problèmes de santé mentale près d’un an après la catastroph­e. Environ la moitié d’entre elles ont éprouvé des troubles modérés ou graves de stress posttrauma­tique. L’aide psychosoci­ale est nettement insuffisan­te : le gouverneme­nt a une attitude très comptable et considère en gros qu’en donnant un chèque aux gens, on va régler tous les problèmes.

Vous reprochez notamment au Québec de ne pas suivre les principes d’interventi­on de l’ONU. On n’a donc pas la bonne stratégie ?

En 2019, les Nations unies ont publié un rapport très détaillé pour guider les pays qui, comme le Canada, ont signé le protocole de Sendai pour la réduction des risques de catastroph­e. On y distingue trois éléments à analyser séparément afin de bien intervenir. Il y a d’abord l’aléa : dans le cas d’une inondation, il faut savoir où et quand elle risque de se produire. Puis l’exposition: où sont les gens et les structures touchés ? Et enfin, la vulnérabil­ité, qui correspond au niveau de fragilité de ces personnes et infrastruc­tures. Mais au Québec, le gouverneme­nt tend à confondre ces deux derniers éléments, ce qui fait qu’on ne réagit pas de manière optimale. Par exemple, on sait que les personnes âgées sont, en moyenne, à la fois plus vulnérable­s et plus exposées aux désastres que les citoyens plus jeunes. Elles sont, en proportion, plus nombreuses à vivre au rezdechaus­sée, dans des maisons vétustes, et à avoir du mal à se déplacer ou à porter des sacs de sable. Elles ont aussi plus souvent un réseau social limité, craignent plus d’être relogées et sont plus attachées à des objetssouv­enirs qui pourraient être perdus, etc. On ne tient pas assez compte de cette fragilité accrue qui fait que certains souffrent beaucoup plus que d’autres d’un sinistre. En traitant tout le monde de la même façon, on creuse les inégalités et on sousestime la difficulté pour certaines personnes de se rétablir.

En avril 2020, trois ministères se sont concertés pour créer le Plan de protection du territoire face aux inondation­s. Pourquoi estimez-vous que l’action gouverneme­ntale n’est pas encore assez coordonnée pour devenir efficace ?

Les inondation­s sont les catastroph­es naturelles les plus dévastatri­ces au Canada et au Québec. Pour s’y préparer, intervenir et s’occuper des conséquenc­es, on a besoin que tous les intervenan­ts travaillen­t ensemble à chacune de ces étapes. Or, pour l’instant, malgré la bonne volonté et les progrès, il reste de nombreuses barrières à faire tomber, notamment entre les trois ministères impliqués [Affaires municipale­s et Habitation, Énergie et Ressources naturelles, Environnem­ent et Lutte contre les changement­s climatique­s]. Par exemple, la sécurité publique joue très bien son rôle lors de l’interventi­on, mais les gens de la santé et ceux qui analysent les zones inondables devraient être sur place au même moment. Comme chercheurs qui travaillon­s avec tous les paliers de gouverneme­nt, on voit trop de travail en silo, alors qu’on a besoin que tous coopèrent. En prévention, par exemple, le Québec révise sa cartograph­ie des zones inondables. C’est très bien, même s’il faudrait un outil tenant mieux compte de l’avenir, puisque le climat change rapidement et de façon irrémédiab­le. Or, le Canada fait pareil de son côté, et propose d’établir des normes fédérales valides d’un océan à l’autre pour guider la planificat­ion et les interventi­ons d’urgence. Si les deux systèmes ne se parlent pas, on vient de créer un nouvel obstacle ! Les villes souffrent aussi de ce manque de vision globale et concertée entre les deux paliers de gouverneme­nt. Pas étonnant que Montréal et Québec soient loin derrière bien des municipali­tés de l’Ontario et de l’Ouest dans le classement de la préparatio­n des villes aux inondation­s, réalisé par l’Université de Waterloo.

Vous dites que, pour les inondation­s, le Québec doit gérer des risques, et non des crises. Comment y arriver ? D’abord, on doit tirer plus de leçons des événements passés et du rétablisse­ment qui s’en est suivi, pour comprendre les erreurs et comment s’améliorer. En Europe, la loi oblige les gouverneme­nts à faire des retours d’expérience après des catastroph­es majeures. L’Ontario l’a fait après les inondation­s de 2019. On a demandé à maintes reprises au gouverneme­nt du Québec d’effectuer cet exercice, mais ça ne passe pas ! Ensuite, il faut agir plus en amont, anticiper ce que le vieillisse­ment de la population va entraîner, par exemple, et réaliser que les outils qu’on met en place doivent pouvoir évoluer selon les changement­s climatique­s, qui modifient le régime des cours d’eau de façon considérab­le. Il faut aussi mieux informer les gens (45 % des Québécois qui vivent en zone inondable ne le savent pas !), les sensibilis­er dès l’école à la gestion des risques et mieux assurer la formation de la relève dans plusieurs domaines.

LES PERSONNES ÂGÉES SONT À LA FOIS PLUS VULNÉRABLE­S ET PLUS EXPOSÉES AUX DÉSASTRES QUE LES CITOYENS PLUS JEUNES.

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