Politique
Collé à la barre des 30 % dans les intentions de vote depuis l’arrivée à sa tête d’Erin O’Toole il y a un an, le Parti conservateur du Canada est-il voué à un renouvellement de bail sur les banquettes de l’opposition ?
Se pourrait-il que le principal véhicule fédéral de la droite canadienne se dirige directement non pas vers le pouvoir à Ottawa, mais plutôt vers un nouveau schisme, du genre de celui qui a fait, pendant une décennie, le bonheur électoral de Jean Chrétien ?
À première vue, le portrait n’a rien d’encourageant.
Le parti sécessionniste albertain et le Parti populaire de Maxime Bernier menacent de gruger du terrain aux conservateurs au prochain scrutin.
À l’échelle pancanadienne, leur poids respectif est négligeable. Mais on disait la même chose du Parti réformiste à ses débuts. Dans des circonscriptions où la lutte est serrée, il pourrait suffire d’une mouche du coche pour faire déraper le carrosse du PCC.
En même temps, de plus en plus de Red Tories, ces conservateurs qui s’identifient au courant progressiste du parti, trouvent difficile de cohabiter avec l’aile trumpiste de la formation. Au Canada, les admirateurs de l’ancien président américain et des valeurs qu’il véhiculait adhèrent, presque exclusivement, au Parti conservateur.
En Alberta, au Manitoba et en Ontario, la pandémie a transformé les hommes forts du mouvement conservateur en géants aux pieds d’argile. Si des élections avaient eu lieu cet été dans ces trois provinces, Jason Kenney, Brian Pallister et même Doug Ford auraient eu fort à faire pour ne pas passer à la trappe. Ils sont devenus autant de boulets que devra traîner leur chef fédéral au cours d’une future campagne électorale.
De tous les chefs fédéraux, y compris Justin Trudeau, le leader conservateur est celui qui suscite le moins l’engouement de l’électorat. Au sein même du Parti conservateur, Erin O’Toole fait moins consensus que son prédécesseur Andrew Scheer, qui était lui-même loin de faire l’unanimité.
Le statut de mal-aimé d’Erin O’Toole ne tient pas uniquement aux déboires de ses alliés, mais l’impopularité ambiante des gouvernements conservateurs dans ces provinces n’y est pas complètement étrangère.
***
À première vue, rien de tout cela n’augure des lendemains ensoleillés pour les troupes conservatrices.
Et pourtant.
S’il y a une leçon que les rédacteurs de nécrologies politiques ont apprise à leurs dépens au fil du temps, c’est que les vieux partis ont la vie dure au Canada.
L’arrivée au pouvoir de Stephen Harper, chef improbable issu de l’aile réformiste du mouvement conservateur, dans la foulée de la réunification du parti, avait fait la preuve en 2006 qu’en politique, il ne faut jamais dire jamais.
L’ascension de Justin Trudeau, de la troisième à la première place en 2015, l’a encore rappelé.
Dans un cas comme dans l’autre, ces formations et leurs leaders respectifs étaient donnés perdants en début de campagne.
Aux dernières élections fédérales, le Nouveau Parti démocratique de Jagmeet Singh a réussi de peine et de misère à sauver quelques meubles, surtout à l’extérieur du Québec. À la même époque, le règne néodémocrate en Alberta a pris fin après un seul mandat.
Moins de deux ans plus tard, voilà que les astres s’alignent différemment. Les néodémocrates sont en bonne posture dans les intentions de vote provinciales partout à l’ouest du Québec, exception faite de la Saskatchewan.
Les ailes provinciales et fédérale du NPD ne sont pas des vases communicants. N’empêche, la performance du parti de Jagmeet Singh dans les sondages pancanadiens lui permet d’espérer réaliser des gains au prochain scrutin. Il est à noter qu’il jouit d’une cote d’approbation supérieure à celle de ses rivaux.
De plus, la bisbille au sein du Parti vert n’a rien pour déplaire au NPD, surtout en ColombieBritannique, où les uns ont tendance à piétiner les platebandes des autres.
Tout cela a de quoi faire aussi l’affaire du Parti conservateur. Parce qu’un point de plus pour les néodémocrates égale généralement un point de moins pour les libéraux de Justin Trudeau. Et plus les électeurs qui se situent à la gauche du PCC sont divisés, meilleures sont les chances de ce dernier de l’emporter.
Car même si le courant conservateur au Canada n’est pas dominant, il est vigoureux. Le succès de François Legault confirme que, même au Québec, l’idée d’un électorat allergique d’emblée aux valeurs de droite ne tient pas la route.
Le succès de François Legault confirme que, même au Québec, l’idée d’un électorat allergique d’emblée aux valeurs de droite ne tient pas la route.
La forte présence des conservateurs dans les officines du pouvoir provincial au Canada n’est pas non plus le résultat d’un accident de parcours.
***
Pour certains conservateurs, l’enlisement du parti dans les intentions de vote tient surtout au leadership d’Erin O’Toole. Il y a une large part d’aveuglement volontaire dans ce raisonnement.
Quand Justin Trudeau a été élu en remplacement de Stephen Harper, c’est en partie parce qu’aux yeux d’un électorat en quête de changement, il avait les qualités des défauts de son rival conservateur.
En 2015, une pluralité d’électeurs étaient las du style rabat-joie de Stephen Harper et de son penchant prononcé pour la politique de la terre brûlée.
À l’époque, l’ancien leader du NPD Thomas Mulcair a souffert de la perception selon laquelle l’élire premier ministre se résumerait à échanger un chef agressif contre un autre.
Six ans plus tard, le côté givré de Justin Trudeau séduit nettement moins. L’époque où le style du premier ministre en mettait plein la vue est plus ou moins révolue. La sobriété a repris ses droits.
Sous cet angle, le profil d’Erin O’Toole, un chef qu’on ne pourrait pas accuser de pécher par excès de flamboyance, pourrait finir par être dans l’air du temps.
Comme l’avait fait remarquer l’ancien premier ministre de l’Ontario William Davis alors que l’opposition — au début des années 1980 — lui reprochait de manquer de panache, il est parfois payant d’être terne. C’est d’autant plus vrai quand on s’adresse à un électorat fatigué des effets de toge sans lendemain.
***
À tout prendre, le vrai frein à une remontée du PCC dans les intentions de vote tient bien davantage à l’illusion dont se bercent une majorité de ses membres et plusieurs de ses députés qu’il est possible de faire campagne au Canada en 2021 comme si on était encore en 2011.
L’idée selon laquelle les conservateurs peuvent espérer jouer gagnant — comme ils l’avaient fait sous Stephen Harper — en continuant à traiter la question des changements climatiques comme un sujet secondaire est profondément enracinée au sein de la formation.
M. O’Toole a pu le constater quand une majorité de délégués au plus
Le vrai frein à une remontée du PCC dans les intentions de vote tient à l’illusion dont se bercent une majorité de ses membres qu’il est possible de faire campagne au Canada en 2021 comme si on était encore en 2011.
récent congrès d’orientation du parti, le printemps dernier, ont refusé de convenir du sérieux de la question du climat. Sur ce sujet, les conservateurs sont les artisans de leurs propres déboires. Ils se heurtent à un mur qu’ils ont eux-mêmes construit.
À force de prêcher contre la tarification du carbone en la présentant comme une abomination, à force de mettre en opposition prospérité économique et lutte contre les changements climatiques, les ténors conservateurs fédéraux se sont peinturés dans un coin.
D’ailleurs, si Erin O’Toole récolte des scores aussi médiocres, c’est notamment parce qu’il a de la peinture sur ses chaussures. Ses efforts pour infléchir son parti sur la tarification du carbone lui ont coûté l’approbation des nombreux militants conservateurs qui en sont venus à traiter la rhétorique caricaturale de leur formation comme parole d’évangile.
À cela, il faut encore ajouter l’influence démesurée de la droite religieuse dans les rangs non seulement du Parti conservateur au sens large, mais également de son caucus parlementaire.
Le mot « démesuré » s’impose, parce que la forte présence des conservateurs sociaux parmi les députés du parti est à l’inverse du peu d’adhésion que suscitent leurs convictions sur l’avortement, les droits des personnes LGBTQ ou encore l’aide médicale à mourir parmi l’électorat.
Sur ces sujets, Erin O’Toole rame à contre-courant de sa formation. En cela, ses prises de position s’alignent davantage sur celles de son caucus du Québec que sur celles de la majorité de ses députés.
Car au sein du PCC, le Québec — malgré sa faible représentation — fait figure de contrepoids. La présence de députés québécois solides est sans doute la meilleure police d’assurance du parti contre une dérive généralisée vers le conservatisme social et un retour en règle à ses racines réformistes.
Mais ce ne sont pas les faits d’armes de leurs collègues sur des sujets comme la culture, l’avortement ou les droits de la communauté LGBTQ qui vont aider les Alain Rayes, Gérard Deltell et autres à se faire réélire au prochain scrutin. Surtout que le Québec est plus que jamais dans la ligne de mire non seulement du Bloc québécois, mais également du Parti libéral.
De Joe Clark à Stephen Harper en passant par Brian Mulroney et Jean Charest, le Parti conservateur fédéral s’est taillé la réputation d’être davantage ouvert aux revendications constitutionnelles et identitaires du Québec que ses rivaux libéraux. Erin O’Toole s’inscrit dans cette filiation.
Sauf que la souplesse de Justin Trudeau sur ce front le démarque de ses prédécesseurs… et l’aide à couper l’herbe sous le pied des conservateurs au Québec.
***
Au Canada, l’alternance au pouvoir est dans l’ordre des choses.
Aucun gouvernement — fédéral ou provincial — n’échappe à l’usure du temps et à la corrosion qui en résulte.
Ceci expliquant cela, la durée de vie au pouvoir d’un parti au Canada dépasse rarement 10 ans.
Si le passé est garant de l’avenir, le Parti conservateur va se réinstaller au volant à Ottawa un jour ou l’autre. En espérant que, d’ici là, la formation aura cessé de confondre pare-brise et rétroviseur.