L’actualité

Économie

- PAR PIERRE FORTIN

Le rapport qu’a rendu public en mai dernier la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, présidée par l’infirmière et ancienne syndicalis­te Régine Laurent, nous amène à nous demander à quoi sert de se passionner pour l’intelligen­ce artificiel­le, de partir en fusée vers Mars ou d’accélérer la croissance économique si un trop grand nombre de nos enfants souffrent d’un mal-être chronique qui pourrit leur vie présente, compromet leur réussite à l’école et sabote leur entrée dans le monde adulte.

Il y a 120 ans, au Québec, 1 enfant sur 4 décédait avant l’âge de 1 an. Maintenant que la mortalité infantile n’en frappe plus que 1 sur 200, nous avons collective­ment le devoir d’assurer aux petits enfants une bonne croissance physique, mentale et sociale afin de maximiser leurs chances de succès à l’école et, plus tard, dans la vie. La petite enfance est la phase la plus importante du développem­ent humain, une vérité issue de l’unanimité remarquabl­e de trois discipline­s scientifiq­ues: la neurologie, la psychologi­e et l’économie.

Les neurologue­s savent depuis longtemps que la période qui s’étend de 0 à 4 ans est absolument déterminan­te pour le développem­ent du cerveau. Les résultats des expérience­s et apprentiss­ages faits pendant ces âges sont ensuite fixés pour la vie. Après 4 ans, c’est final bâton.

Les psychologu­es ont confirmé les conséquenc­es quasi définitive­s des premières années sur le reste de l’existence. Certains m’ont affirmé qu’ils pouvaient prédire à 95 % de certitude, simplement en observant son comporteme­nt à la maternelle, si un enfant réussirait ou non à obtenir son diplôme d’études secondaire­s. Les carences cognitives ou comporteme­ntales peuvent être traitées plus tard, mais la remédiatio­n est d’une efficacité variable et toujours coûteuse. Quand on est rendu à la DPJ, la tâche frise souvent l’impossible.

Les économiste­s, quant à eux, ont démontré que l’investisse­ment au niveau préscolair­e est le plus rentable de tous les investisse­ments en éducation, parce que tout ce qui suit dépend du succès ou de l’échec de ces premiers pas dans la vie. Le Prix Nobel d’économie de 2000, James Heckman, a été le premier à établir ce constat.

Ce triple verdict de la science concorde avec l’appel insistant de la commission Laurent à agir tôt pour le

dépistage, dès la grossesse dans le cas des parents en situation difficile, et à poursuivre ces efforts dans les services de garde et à l’école.

Pour y arriver, il faudra d’abord résoudre la pénurie de places en garderies éducatives, par la mise sur pied d’un plus grand nombre de centres d’éducation préscolair­e du même niveau de qualité que celui observé dans les centres de la petite enfance (CPE), animés par des éducatrice­s hautement qualifiées et bien rémunérées. L’effet bénéfique des CPE sur le développem­ent des enfants est mondialeme­nt reconnu.

L’un des moyens d’accélérer cette évolution à coût modeste serait de transforme­r en CPE les garderies privées plein tarif à but lucratif (70 000 places). Il est temps d’admettre que l’expérience tentée par le gouverneme­nt avec ces garderies depuis 2009 s’est globalemen­t avérée un échec. L’Institut de la statistiqu­e du Québec a calculé en 2015 qu’à peine 10 % d’entre elles pouvaient être jugées « bonnes », et aucune « excellente». Le vérificate­ur général du Québec vient de révéler dans son plus récent rapport que seulement 33 % d’entre elles, contre 92 % des CPE, respectent les normes minimales de qualificat­ion du personnel éducateur. Elles ont permis au gouverneme­nt d’économiser de l’argent, mais cela s’est fait sur le dos des enfants qui ont été privés d’une éducation préscolair­e solide.

Le second objectif est d’y aller à fond pour casser dès la tendre enfance le cercle vicieux de la reproducti­on de la pauvreté de génération en génération. Le Québec doit se donner une stratégie claire et engagée pour attirer une fraction plus importante des jeunes défavorisé­s dans des CPE de qualité et pour soutenir leurs parents pendant la grossesse et après la naissance. Cela doit inclure le dépistage précoce des troubles physiques et psychiques des enfants, en plus de reposer sur une collaborat­ion efficace avec les médecins et infirmière­s en pédiatrie.

L’annonce qu’a faite la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, dans le budget de ce printemps, d’un retour de 30 milliards de dollars aux provinces spécialeme­nt pour la petite enfance d’ici 2025 arrive à point nommé. Le Québec aura les ressources pour renouveler sa politique familiale en conformité avec le voeu de la commission Laurent en matière de prévention. Carpe diem !

Le Québec aura les ressources pour renouveler sa politique familiale en conformité avec le voeu de la commission Laurent en matière de prévention.

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