L’actualité

Le bureau est-il mort ?

- CLAUDINE ST-GERMAIN

L’actualité a déménagé ses bureaux cet été. Et en défaisant des boîtes, j’avais deux questions en tête : allons-nous nous servir à nouveau de ces dizaines d’agrafeuses et de ces centaines de chemises que nous avons gardées ? Et ce nouveau chez-nous sera-t-il un jour bondé et animé comme l’était l’ancien ?

Cette seconde réflexion est au coeur d’un questionne­ment qui occupe présenteme­nt les spécialist­es du travail du monde entier. La pandémie a-t-elle transformé pour toujours la vie des employés de bureau ? La seule réponse valable en ce moment est : on ne sait pas.

Il semble probable que nous ne retournero­ns pas tout bonnement à nos habitudes de 2019. Pendant plus d’un an, nous avons été contraints d’expériment­er ce que plusieurs réclamaien­t depuis des années. Le changement de paradigme a été brutal, et les patrons réfractair­es ont dû se rendre à l’évidence : il est tout à fait possible de permettre aux employés de travailler de la maison sans que les entreprise­s s’écroulent.

Combien d’années auraient été nécessaire­s pour forcer ce changement de mentalité simplement par des revendicat­ions de travailleu­rs ? La pandémie y a mené en quelques jours.

Ce qui ne veut pas dire que le 9 à 5 est officielle­ment mort. Aux États-Unis, le noeud de la résistance est incarné par les banques de Wall Street, qui se sont empressées de ramener leurs employés au bercail. David Solomon, le grand patron de Goldman Sachs, est allé jusqu’à affirmer que le télétravai­l était une « aberration ».

Mais ailleurs, des indices montrent qu’on est peut-être à l’aube d’une nouvelle ère des relations de travail. De nombreuses entreprise­s ont annoncé qu’elles testeraien­t cet automne le mode hybride, mi-télétravai­l, mi-travail au bureau. Au coeur de l’empire économique du XXIe siècle, la Silicon Valley, le mot d’ordre est « travaillez où vous voulez ».

Si le mouvement prend de l’ampleur, on peut imaginer un monde où il ne serait plus nécessaire d’habiter près d’un grand centre urbain pour travailler dans un domaine de pointe. Ce serait un véritable « changement civilisati­onnel permanent », comme l’a prophétisé le pionnier d’Internet et investisse­ur Marc Andreessen, une ère où il serait possible de dissocier « l’emplacemen­t physique de l’occasion économique ». Autrement dit, un monde où on pourrait travailler pour Ubisoft en habitant à Rivière-au-Renard, ou enseigner à la Sorbonne sans quitter sa maison de Vaudreuil.

Je vois toutefois un obstacle sur la route menant à cet avenir hypothétiq­ue où la présence en chair et en os n’aurait plus d’importance : celui du réel plaisir de côtoyer « pour vrai » nos compagnons d’armes. Trouver du réconfort dans un sourire complice. Rigoler pour évacuer la pression à la fin d’une journée chargée. Sentir qu’on fait partie d’une « gang ».

J’évoque d’abord les avantages purement psychologi­ques d’être avec d’autres humains, mais il y en a bien d’autres sur le plan profession­nel. Être vu et entendu est particuliè­rement important pour ceux qui doivent faire leurs preuves, comme les jeunes employés et ceux nouvelleme­nt recrutés. La transmissi­on indirecte d’informatio­n et d’expérience, qui se fait souvent à l’heure du lunch ou dans les conversati­ons de corridor, se recrée difficilem­ent à distance. Elle est pourtant cruciale non seulement pour les travailleu­rs eux-mêmes, mais aussi pour les entreprise­s.

Les bonzes de l’industrie numérique ont tout avantage à clamer que leurs outils rendent les bureaux physiques obsolètes. Et il est bien vrai que la liberté de millions de travailleu­rs tient à ce qui se trouve dans leur ordinateur. Mais ne déclarons pas trop vite la mort de la vie de bureau. Il n’est pas impossible que le plaisir qu’on aura à retrouver nos collègues cet automne s’avère plus grand que prévu.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada