ROULER À L’HYDROGÈNE : MODÉRONS NOS TRANSPORTS !
On rêve depuis longtemps de véhicules à hydrogène qui ne recracheraient que de l’eau. Mais lesquels prendront vraiment la route ?
Autos : oubliez ça… ou presque
Toyota a été le premier constructeur à commercialiser une voiture à hydrogène, la Mirai, en 1994. D’autres ont suivi, mais bien peu d’experts croient encore au potentiel de cette filière, à cause du développement des voitures électriques dotées de batteries de plus en plus performantes et rapides à recharger. Celles-ci gaspillent moins d’énergie : produire de l’hydrogène par électrolyse, puis l’utiliser pour redonner de l’électricité au moyen d’une pile à combustible fait perdre environ 60 % de l’énergie récoltée. Fin 2020, il n’y avait à peu près que 30 000 voitures à hydrogène sur les routes du monde… contre 10 millions de voitures électriques !
Véhicules lourds : peut-être
Philippe Tanguy, de Polytechnique, est de ceux qui croient que l’hydrogène a du potentiel surtout dans des véhicules lourds ou utilisés intensivement, pour lesquels les batteries ne sont pas idéales à cause de leur poids et du temps de recharge. « Tout va dépendre des progrès à venir dans la technologie des batteries et des piles à combustible », dit l’ingénieur, prudent.
Des constructeurs de camions lourds, comme Daimler, Volvo ou Hyundai, ont mis au point des modèles à hydrogène, actuellement en phase de tests.
Taxis : c’est en route
Les démonstrations se multiplient. À Paris, la société HysetCo, dans laquelle a investi Air Liquide, exploite déjà une centaine de taxis à hydrogène et quatre stations de recharge (une vingtaine d’autres s’ajouteront d’ici 2024). Elle vient de racheter un autre parc de taxis, dont elle espère remplacer les 600 véhicules par des Toyota Mirai dans les prochaines années. Le gouvernement japonais, lui, a investi plus de 300 millions de dollars en 2019 afin de construire des stations-services à hydrogène pour toutes sortes de véhicules, et veut en installer environ 1 600 d’ici 2030.
Autobus : ça redémarre
Les premiers autobus à hydrogène ont été testés dans les années 1990, avant d’être éclipsés par des autobus électriques. Mais la baisse du coût des piles à combustible, la durée de recharge améliorée des batteries et la volonté des pays de remplacer plus vite les véhicules au diésel relancent des projets. En Chine, plus de
400 autobus à hydrogène sont en service.
Trains et traversiers : c’est sur les rails
L’hydrogène pourrait se tailler une place sur les rails, surtout là où les lignes ne sont pas électrifiées. Après deux ans de projet-pilote en Allemagne, Alstom a annoncé que 14 trains régionaux de passagers y entreraient en service en 2022, et la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) en a réservé 15 pour 2025.
Au Canada, le Canadien Pacifique vient de commander un premier lot de piles à combustible totalisant 1,2 mégawatt de puissance à l’entreprise Ballard, un leader du domaine installé à Vancouver, afin de tester la transformation d’une locomotive au diésel pour les trains de marchandises. Ballard est également impliquée dans un consortium qui, au Danemark, construit un traversier à hydrogène prévu pour transporter 1 800 passagers,
300 voitures et 120 camions à compter de 2027.
« Il y a aussi des applications de niche potentiellement très intéressantes, comme les engins de chantier ou les mastodontes miniers », estime Philippe Tanguy. L’hydrogène produit à Bécancour sert déjà, par exemple, à alimenter des chariots élévateurs. « Au moins 10 000 chariots à pile à combustible sont en service en Amérique du Nord. C’est une application plus économique que les engins à batterie », explique Bertrand Masselot, d’Air Liquide Canada.
Avions : peut-être après-demain
« Il faut trop de puissance pour le décollage, et le réservoir serait bien trop lourd », estime Bruno Detuncq, professeur retraité de Polytechnique et membre du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec, qui suit de près le dossier de l’hydrogène.
Difficilement électrifiable, à cause du poids des batteries, l’avion du futur volera peut-être grâce à des carburants liquides qui, eux, seront issus de l’hydrogène.
Biocarburants : c’est en marche
Deux grands projets de production d’« électrocarburants », annoncés en 2020, feront office de tests. En Norvège, un consortium va capter le CO2 de l’air pour le mélanger avec de l’eau, qui sera électrolysée avec de l’électricité d’origine éolienne, pour former un gaz synthétique contenant de l’hydrogène et du monoxyde de carbone. Celui-ci sera ensuite transformé en carburant pour avion qui, selon les promoteurs, divisera par deux les émissions de GES dues au transport aérien.
Tout au sud du Chili, le géant allemand Siemens compte plutôt produire l’hydrogène par électrolyse. Puis, à l’aide du CO2 capté dans l’air, il le transformera en méthanol. Cette sorte d’alcool sera à son tour transformée en carburant pour avion, grâce à un procédé fourni par ExxonMobil.
Mélanger de l’hydrogène produit par électrolyse avec du CO2 pour en faire du méthanol, c’est aussi ce que feront Greenfield Global et Enerkem à Varennes. Sauf qu’au lieu de prendre le carbone nécessaire dans l’air, les deux entreprises utiliseront celui présent dans nos déchets domestiques. « On va traiter 40 000 tonnes de matière organique par an dans notre biodigesteur, puis fabriquer du méthanol qu’on compte exporter en Europe. Il y a déjà une forte demande là-bas pour cet alcool, car il y est autorisé comme additif dans le diésel pour en diminuer les émissions de GES », explique Jean Roberge, un ancien d’Hydro-Québec qui pilote depuis 1997 les projets d’énergies renouvelables de Greenfield Global.
L’hydrogène peut être transformé en électricité par une pile à combustible. Mais quand on le met simplement en contact avec l’oxygène de l’air, cela entraîne une réaction qui dégage beaucoup d’énergie. Voilà pourquoi l’hydrogène pourrait aussi aider à décarboner la production d’énergie, en étant ajouté au gaz naturel ou à d’autres carburants fossiles dans les centrales thermiques ou les installations de chauffage.
Bon nombre d’entreprises ont commencé des tests pour injecter directement de 10 % à 20 % d’hydrogène dans les gazoducs. Le Japon, de son côté, veut massivement recourir à l’ammoniac, produit à partir de l’hydrogène et de l’azote, pour diminuer les GES de ses centrales thermiques. Reste à savoir comment traiter les oxydes d’azote qu’émettra le procédé. Même si ces gaz n’ont pas un impact considérable sur le climat, ils sont de grands responsables du smog, des pluies acides et de la destruction de la couche d’ozone.
L’hydrogène pourrait surtout aider à tirer bien plus d’énergie du soleil et du vent. Actuellement, les difficultés à stocker ces énergies intermittentes sont un des principaux freins qui empêchent de les exploiter davantage. On peut utiliser des batteries pour cela, mais leur faible capacité de stockage et leur usure rapide font qu’elles sont loin d’être idéales. Selon l’Agence internationale de l’énergie, installer des hydrolyseurs et des piles à combustible au pied des éoliennes et des panneaux solaires est une option plus prometteuse que les batteries.
Mais avant tout, installer seulement des hydrolyseurs dans les parcs d’éoliennes ou les centrales solaires permettrait de produire beaucoup d’hydrogène vert, pour l’envoyer ailleurs par pipeline ou par bateau afin de l’employer dans n’importe quelle application.