L’actualité

L’embellie nouveau country

Une nouvelle génération de musiciens country gagnent en popularité au Québec. Avec un son plus pop, plus rock, ils sortent de plus en plus du circuit traditionn­el des festivals.

- PAR PHILIPPE RENAUD

Le Québécois Matt Lang, tête d’affiche de la 53e édition du Festival western de Saint-Tite, affirme avoir récolté près de 20 millions d’écoutes de ses chansons en seulement trois ans sur les différente­s plateforme­s Web. L’auteur-compositeu­rinterprèt­e originaire de Maniwaki, qui a commencé sa carrière en français avec un album folk-rock, a opéré un fructueux virage, anglophone, mais surtout plus country et plus pop. Et ça cartonne. Paru sur YouTube en mai 2020, le clip de « Getcha » frôle les 370 000 visionneme­nts — en comparaiso­n, celui de « 100 mètres haies », de Louis-Jean Cormier, lauréat de quelques prix Félix, a été vu environ 243 000 fois.

Le jeune homme de 30 ans, présenté dans plusieurs médias du reste du pays comme la prochaine star du country canadien, mène la parade nouveau country au Québec. Il entraîne dans son sillage une nouvelle génération de musiciens tels que Brittany Kennell, Léa Jarry, Samme, Phil G. Smith, Jordan Lévesque ou encore Yoan. Il serait bien sûr injuste de comparer le succès de Matt Lang à celui du prolifique et immensémen­t populaire Willie Lamothe durant les années 1960. Mais cette nouvelle génération de talents country dont il est la figure de proue est animée d’un dynamisme pouvant redonner au country québécois l’élan que lui ont insufflé la famille Daraîche, Marcel et Renée Martel, Bobby Hachey, Georges Hamel et autres brillantes étoiles dans années 1970 et 1980.

Et en quoi ça consiste, le nouveau country ? Loin d’être une révolution musicale, le courant témoigne avant tout de l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs-compositeu­rsinterprè­tes. « Ça ratisse tellement large que plusieurs disent que c’est rendu de la pop», explique Joëlle Proulx, cofondatri­ce de l’Agence Ranch, une jeune boîte de gestion de carrière, de promotion et de production d’artistes country, qui travaille notamment avec Matt Lang et Léa Jarry. « Chacun a sa propre définition, mais pour nous [à l’Agence Ranch], c’est une version plus pop, plus rock, plus grand public de la musique country. »

Pour certains, le country a une connotatio­n péjorative, ajoute Joëlle

Proulx. «Il y en a qui trouvent ça quétaine et vieux jeu. Alors c’est stimulant de voir émerger de jeunes musiciens qui disent : “Moi, j’aime le country” et qui montrent qu’il y a différente­s façons d’en faire. »

Elle note une plus grande réceptivit­é de la part de l’industrie de la musique depuis deux ou trois ans. « À constater le nombre de festivals qui s’y intéressen­t, de médias qui couvrent cette scène et qui ne le faisaient pas avant, j’ai l’impression que des portes s’ouvrent. »

Comme leurs prédécesse­urs, les adeptes du nouveau country bâtissent leur popularité loin des circuits habituels, dans une centaine de festivals un peu partout au Québec et dans les Maritimes. Les radios traditionn­elles font encore très peu jouer leur musique, mais des signes laissent penser qu’ils pourraient élargir leur public. Rouge FM a ajouté récemment à sa programmat­ion la chanson « L’heure d’été », de Léa Jarry. À Québec, la station WKND propose le dimanche l’émission Zone new country. L’ADISQ envisage de ramener dans son gala télévisé du dimanche la présentati­on du Félix de l’album country de l’année, reléguée ces dernières années au gala hors d’ondes. Avant la pandémie, la région montréalai­se devait même accueillir son premier grand festival de musique country : LASSO, une production d’evenko, l’entreprise derrière Osheaga et ÎleSoniq. La première édition de l’événement, qui se déroulera sur l’île SainteHélè­ne, a été reportée à l’été 2022.

Pour Jason Dupuis, fondateur de PAJA Communicat­ions, « le new country est un branding plus qu’un genre musical». L’homme qui fait depuis 10 ans la promotion des artistes country au Québec témoigne du déferlemen­t de cette nouvelle vague : « La scène country est certaineme­nt en bonne santé aujourd’hui — autant du point de vue des artistes que de celui du public», qui achète encore beaucoup de disques, souligneti­l. « Beaucoup » étant ici relatif : les ventes d’albums ont rétréci comme peau de chagrin depuis l’apparition des différente­s plateforme­s Web. Le country (et le western) comptait tout de même en 2019 pour 10,5 % des ventes d’albums physiques au Québec (et 4,4 % des ventes d’albums numériques), selon l’Observatoi­re de la culture et des communicat­ions du Québec (OCCQ). En disques compacts et vinyles vendus, le country pèse presque aussi lourd que le rock (10,7 %) et le folk (10,8 %).

Sur le plan des ventes d’albums, le country est, toutes proportion­s gardées, plus populaire dans le marché québécois qu’aux ÉtatsUnis (quatrième genre musical favori au Québec, sixième au sud de la frontière). Mais les Québécois commencent à peine à attraper la fièvre new country, incarnée au sud par Kacey Musgraves (32 ans), Morgan Wallen (28 ans) ou Luke Combs (31 ans). Aux ÉtatsUnis, le country est l’un des deux seuls genres musicaux (avec la musique pour enfants) dont l’écoute a progressé sur les plateforme­s de diffusion continue pendant la pandémie, comme le rapportait en 2020 le magazine Bloomberg, citant les chiffres de Pollstar, Spotify, Nielsen Music/MRC, CrowdTangl­e et YouTube.

Originaire de BaieSaintP­aul, l’autricecom­positricei­nterprète Léa Jarry est parmi les rares au Québec à faire du nouveau country francophon­e. « J’ai grandi en écoutant de la pop, je ne connaissai­s rien du country jusqu’à l’adolescenc­e », dit celle qui se souvient du moment où, par hasard, elle est tombée sur un vidéoclip de Carrie Underwood, gagnante de l’émission American Idol en 2005. « Je devais avoir 15 ou 16 ans, j’étais debout devant la télé. Quelque chose est venu me chercher dans les arrangemen­ts, la pedal steel, je ne savais pas de quel style musical il s’agissait au juste ni qui était cette chanteuse, mais ça m’a touchée ! »

Sur son album L’heure d’été, paru en octobre dernier sous étiquette Rosemarie Records, ses influences pop rejoignent le folk et le country. «La pop s’est imprégnée dans mon cerveau créatif, elle colore mes chansons, qui sont fondamenta­lement de nature country par le choix des instrument­s et la façon de raconter mes histoires. Mais il y a quand même toujours cette espèce de nuage pop audessus de tout ça. »

Cette musique née dans les plaines du Texas et du Midwest américain a d’abord été celle des cowboys, des travailleu­rs des chemins de fer et des fermiers, avant d’atteindre les villes dans les années 1920, puis l’ensemble des ÉtatsUnis. C’était « la » musique populaire. Jusqu’à ce que le rock and roll lui ravisse le titre dans les années 1950.

Afin de séduire les jeunes mélomanes, le country s’est alors approprié des codes de la musique pop avec le «Nashville sound», créé par le guitariste et réalisateu­r Chet Atkins, entre autres, explique Melissa Maya Falkenberg, coautrice, avec Jacques Blondin et MarieHélèn­e LebeauTasc­hereau, du livre Québec western : Ville après ville (Les Malins). « Pensez à Patsy Cline [“Crazy”, 1962]: le son country est devenu plus propre, plus poli», ditelle, il s’est éloigné de la matière rugueuse et rurale du honkytonk pour incorporer, par exemple, des orchestrat­ions mélodieuse­s de guitare électrique et de violons. « Exactement ce que font aujourd’hui les représenta­nts du nouveau country », affirme l’autrice, aussi animatrice et chroniqueu­se.

Pour Matt Lang, la définition du courant actuel importe peu. « Un jour, je me suis simplement dit : “Je veux faire ce que j’aime, du country.” » Un des rêves de ce grand amateur de country américain, qui cite l’influence de Johnny Cash, Alan Jackson et Dwight Yoakam : jouer au Grand Ole Opry, mythique salle de concert au coeur de la capitale de ce genre musical, Nashville.

LE COUNTRY ÉTAIT « LA » MUSIQUE POPULAIRE DES ÉTATS-UNIS JUSQU’À CE QUE LE ROCK AND ROLL LUI RAVISSE LE TITRE DANS LES ANNÉES 1950.

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 ??  ?? En ouverture : Matt Lang. Ci-dessus : Léa Jarry lors du lancement virtuel de son premier album, L’heure d’été, le 26 octobre 2020, au stade de Saint-Tite.
En ouverture : Matt Lang. Ci-dessus : Léa Jarry lors du lancement virtuel de son premier album, L’heure d’été, le 26 octobre 2020, au stade de Saint-Tite.

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