L’actualité

Climat de confiance

La 26e Conférence des parties sur les changement­s climatique­s tentera de remettre sur les rails les mesures devant permettre au monde de réduire ses rejets de gaz à effet de serre, après l’échec des discussion­s de 2019. À l’ombre du « code rouge » lancé p

- PAR LAURIE NOREAU

La 26e Conférence des parties sur les changement­s climatique­s tentera de remettre sur les rails les mesures devant permettre au monde de réduire ses rejets de gaz à effet de serre, après l’échec des discussion­s de 2019. À l’ombre du « code rouge » lancé par l’ONU, cette conférence doit être celle de la réconcilia­tion.

Le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’a pas habitué le grand public aux effets de toge, s’en tenant à une présentati­on sobre des faits liés à la science du climat. Mais en août, pour la publicatio­n de son premier rapport du sixième cycle d’évaluation du climat, les dirigeants de l’organisati­on ont laissé de côté la réserve pour déclencher l’alerte. « Code rouge pour l’humanité », a lancé le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à la conférence de presse.

Sans une réduction immédiate et substantie­lle des émissions de gaz à effet de serre, les conséquenc­es irréversib­les du réchauffem­ent climatique vont mener à une catastroph­e pour l’humanité, préviennen­t les 235 experts et auteurs dans ce texte rigoureux appuyé sur 14 000 études. Ce coup de semonce était un avantgoût de la 26e Conférence des parties (COP26) sur les changement­s climatique­s, qui se déroulera du 1er au 12 novembre prochains à Glasgow, en Écosse, et lors de laquelle 195 pays tenteront de s’entendre sur les stratégies pour maintenir le réchauffem­ent de la planète à 1,5 degré audessus de la moyenne préindustr­ielle. Géraud de Lassus SaintGeniè­s, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval et spécialist­e en droit des changement­s climatique­s, explique l’ampleur de la tâche qui attend les parties prenantes.

Sur quoi porteront les négociatio­ns à la COP26 ? L’Accord de Paris a été adopté en 2015. Il encourage les pays à faire part de leurs stratégies pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Cependant, il reste encore certains règlements d’applicatio­n à peaufiner. La question du marché du carbone dans l’Accord de Paris sera donc au coeur des négociatio­ns. À Madrid en 2019, les États n’étaient pas parvenus à s’entendre, alors les attentes sont grandes à ce sujet.

Le deuxième enjeu qui va être très important est celui de la finance climatique, c’estàdire le transfert de ressources financière­s de pays développés vers les pays en développem­ent, afin de leur permettre de s’adapter aux changement­s climatique­s.

Finalement, les organisate­urs britanniqu­es se sont donné un autre objectif : amener les États à rehausser leur niveau d’ambition. On s’attend à ce que les pays redoublent d’efforts pour maintenir la hausse de températur­e sous la barre des 2 °C d’élévation par rapport aux niveaux préindustr­iels. Pendant deux semaines, la COP braquera les projecteur­s sur les pays. Ils seront questionné­s sur ce qu’ils ont fait pour contrer les changement­s climatique­s. C’est un exercice de reddition de comptes.

La COP25 s’est conclue sur une impasse. Pourquoi les pays n’avaient-ils pas réussi à s’entendre ?

Les discussion­s ont achoppé sur la question du marché du carbone. Des États ont proposé des règles qui permettaie­nt d’avoir une double comptabili­té. Par exemple, si vous réduisez vos émissions de gaz à effet de serre au Brésil et que vous vendez vos crédits carbone à l’Europe, l’Union européenne pourra dire qu’elle a acheté votre réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Par contre, vous ne pourrez pas comptabili­ser ces émissions évitées, sinon elles seront comptées à deux endroits, alors qu’il s’agit de la même baisse. Il faut que la comptabili­té correspond­e à une réelle réduction d’émissions de gaz à effet de serre.

Certains observateu­rs avancent qu’il n’y aura pas d’entente avant plusieurs années. C’est une possibilit­é. Cependant, il pourrait y avoir autour de la table de nouveaux négociateu­rs qui n’ont jamais participé à une COP, notamment le président des ÉtatsUnis, Joe Biden. Nous allons voir comment la délégation américaine se comportera.

Les pays les plus riches, dont le Canada, s’étaient engagés à verser 100 milliards de dollars par an pour aider les nations les plus pauvres à s’adapter aux changement­s climatique­s.

Où en sommes-nous avec cet engagement ?

Dans l’Accord de Paris, il y avait effectivem­ent une entente qui disait que les pays riches devaient transférer progressiv­ement jusqu’à 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, et que cette cible allait être maintenue jusqu’en 2025. Or, il y a deux problèmes. Tout d’abord, ils n’ont pas réussi à atteindre l’objectif. En 2018 [NDLR : dernière année de données connues], un peu moins de 80 milliards de dollars ont été transférés. Ensuite, que fera-t-on après 2025 ? Est-ce trop tôt pour amorcer les discussion­s et fixer un nouvel objectif ? Il y a actuelleme­nt une querelle de chiffres pour établir la somme qui sera versée après 2025.

Il faut comprendre que c’est autour de la finance climatique que la confiance entre les pays du Nord et les pays du Sud se construit. Les négociatio­ns qui vont bien sont celles où on arrive à se mettre d’accord sur les questions financière­s. Les pays en développem­ent ne feront aucune concession s’ils n’obtiennent pas satisfacti­on en ce qui concerne le financemen­t.

Le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat a publié un rapport préoccupan­t en août dernier. Quelle influence ce rapport aura-t-il sur les discussion­s ?

Ce n’est pas un rapport révolution­naire, car beaucoup des éléments qu’il contient sont des précisions des données que l’on trouvait dans le rapport précédent. Ce n’en est pas moins extrêmemen­t inquiétant. On dépassera très probableme­nt les 2 °C d’élévation [par rapport aux niveaux préindustr­iels] d’ici 2050. Avec les engagement­s qui sont sur la table, on s’en va sans doute vers 2,7 °C ou 3 °C de plus vers la fin du siècle.

Chaque fois qu’un rapport du GIEC a été déposé, il a eu une influence importante sur les négociatio­ns.

Quel rôle joue le Canada à cette grande conférence ? Historique­ment, le Canada a toujours adopté une position plutôt prudente dans les négociatio­ns. C’est un acteur très crédible par rapport à la question du marché du carbone parce qu’il a une bonne expertise dans le domaine.

Le Canada a des positions très fortes au sujet de l’éliminatio­n du charbon, de la prise en compte et du respect des peuples autochtone­s dans la lutte contre les changement­s climatique­s, et de la participat­ion des femmes à cette lutte. Toutefois, il s’agit de questions qui sont en marge du problème principal du Canada, c’està-dire la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Le pays ne touche pas à l’essentiel du problème : son pétrole.

À quoi ressembler­ait une COP26 réussie ?

La COP26 sera la conférence de la réconcilia­tion. Il faut rebâtir la confiance entre les États et éviter de revivre ce qu’on a vécu en 2019. Ces négociatio­ns ont mis en lumière les profondes divisions entre les pays qui ne sont pas parvenus à s’entendre. Pour que les discussion­s avancent, il faut que tout le monde fasse confiance aux autres. Il doit y avoir une bonne entente entre les négociateu­rs. S’il y a davantage de points de blocage, ça voudra dire que le processus ne fonctionne pas bien.

Ce sera aussi une conférence de transition. Pendant longtemps, les COP ont porté sur la négociatio­n de textes. À l’avenir, elles devraient devenir des espaces d’échange de bonnes pratiques entre les États en étant plus axées sur du concret Dans les dernières années, on a vu des discussion­s sur l’agricultur­e, les océans ou l’adaptation aux catastroph­es naturelles. C’est ce qui devrait être au coeur des rencontres.

Il y a aussi cette idée qui flotte dans l’air : est-ce nécessaire d’organiser une Conférence des parties chaque année ? La pause de 2020 aura peut-être fait du bien aux États qui voudront instaurer une COP tous les deux ans.

LES NÉGOCIATIO­NS DE 2019 ONT MIS EN LUMIÈRE LES PROFONDES DIVISIONS ENTRE LES PAYS QUI N’ONT PAS RÉUSSI À S’ENTENDRE.

 ?? ?? Å Les stigmates d’un feu de forêt dévastateu­r en Turquie au mois d’août 2021.
Å Les stigmates d’un feu de forêt dévastateu­r en Turquie au mois d’août 2021.

Newspapers in French

Newspapers from Canada