L’actualité

Servir de pont

- CLAUDINE ST-GERMAIN

J’ai grandi dans un village de la Montérégie qui s’appelle Saint-Alexandre, un de ces villages comme il y en a tant au Québec. Plus de 2 500 habitants éparpillés sur un territoire à 98 % agricole. Une jolie église, des terrains de balle-molle et de soccer. Mais surtout, d’interminab­les rangs bordés de champs de maïs et de soya. Mon enfance a été rythmée par le bruit des tracteurs du voisin fauchant le foin derrière notre cour ; les longs trajets en autobus scolaire ; la piscine en été, le patinage sur les étangs gelés se formant dans les champs l’hiver.

Rien de cela ne paraît aux yeux de ceux qui me croisent aujourd’hui dans le métro. Je suis montréalai­se depuis 30 ans et urbaine jusqu’à la moelle. J’ai aimé ma ville dès le premier jour, et mon amour est toujours aussi fort. Je m’y sens bien, c’est chez moi.

En même temps, j’ai des racines plantées dans la bonne terre du Haut-Richelieu et de l’ADN de génération­s de cultivateu­rs dans chacune de mes cellules.

C’est le propre des métropoles d’attirer des gens de partout, d’ailleurs dans le monde comme des régions qui les entourent. On y étudie, on y entreprend sa carrière, on y fonde parfois sa famille. C’est souvent à cette étape qu’on décide de s’y ancrer pour de bon, de déménager en banlieue ou de retourner dans son coin natal.

Il y a à Montréal beaucoup de Saguenay, de Laurentide­s, de Bas-Saint-Laurent, de Mauricie. Beaucoup de Capitale-Nationale, aussi. À l’inverse, le grand 450 est bourré d’anciens Montréalai­s. Le mouvement est moins accentué vers les régions plus éloignées, mais il existe quand même. Tous ces liens, parfois ténus, parfois très forts, sont les véritables ponts qui relient l’île au reste du Québec.

En voulant expliquer le fossé qui se creuse entre les habitants de la métropole et les autres Québécois, la journalist­e Marie-Hélène Proulx s’est rapidement retrouvée à explorer des questions graves, essentiell­es… et épineuses. Comme l’insécurité linguistiq­ue des Québécois, qui sentent à juste titre qu’il ne faut jamais tenir pour acquis le fait français en Amérique. Notre statut de minorité linguistiq­ue à l’échelle du continent est une réalité plus abstraite quand on habite un coin où tout le monde parle français (avec le même accent), mais il prend tout son sens à Montréal, où la cohabitati­on avec la plus grande communauté anglophone du Québec, des milliers d’étudiants étrangers et des nouveaux arrivants plus ou moins avancés dans leur processus de francisati­on fait que oui, on entend beaucoup d’anglais dans les rues du centre-ville.

Et puis, il y a les bouleverse­ments sociaux qui accompagne­nt inévitable­ment l’augmentati­on de l’immigratio­n au pays (et que nous sommes d’ailleurs loin d’être les seuls à vivre sur la planète). Des enjeux complexes, délicats et potentiell­ement explosifs, parce qu’ils touchent à qui nous sommes et qui nous voulons être, individuel­lement et collective­ment. Forcément, Montréal la diversifié­e et le reste du Québec plus homogène, vivant des réalités distinctes, ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde là-dessus.

L’époque étant à la polarisati­on plutôt qu’à la recherche de consensus, le risque est réel que les fissures qu’on aperçoit présenteme­nt se transforme­nt en gouffre. Il est là, le défi à relever si on veut éviter que la province et sa métropole ne deviennent deux planètes différente­s.

Si les échanges d’insultes qui ont caractéris­é l’ouverture de la session parlementa­ire à l’Assemblée nationale, entre le premier ministre et le chef de Québec solidaire, sont un présage de l’année qui nous mènera à l’élection provincial­e de 2022, on n’est pas sortis de l’auberge. À nous, Québécois ayant des racines, de la parenté, des amitiés ou des souvenirs de part et d’autre du fleuve ou de la rivière des Prairies, de travailler activement à resserrer les liens entre nous. Parce qu’on a toujours eu, et on aura toujours, besoin les uns des autres.

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