Le pari perdu de René Lévesque
Les Québécois ne le savent pas encore, mais le référendum sur la souveraineté-association promis par le Parti québécois lors de son élection en 1976 va nourrir les plans du premier ministre du Canada. Le 20 mai 1980, le chef du PQ, René Lévesque, perd son pari : les Québécois votent à 40 % Oui et à 59 % Non. Le discours prononcé quelques jours avant le vote par Pierre Elliott Trudeau au Centre Paul-Sauvé, à Montréal, prépare la suite…
Louise Beaudoin
Le référendum de 1980, tout part de là. M. Trudeau avait tenté précédemment de favoriser des négociations constitutionnelles, mais pendant le référendum de 1980, il a déclaré un soir que si les Québécois disaient Non, ce serait interprété comme une proposition de renouvellement du fédéralisme.
Claude Morin
Je cite : « Si c’est un Non, ce sera interprété comme un mandat de changer la Constitution et de renouveler le fédéralisme. Je prends l’engagement solennel qu’après un Non, nous allons mettre en marche le mécanisme de renouvellement de la Constitution et nous n’arrêterons pas avant que ce soit fait. Je m’adresse solennellement aux Canadiens des autres provinces. Nous mettons notre tête en jeu, nous du Québec, quand nous disons aux Québécois de voter Non ; […] nous n’accepterons pas qu’un Non soit interprété par vous comme une indication que tout va bien, que tout peut rester comme avant. »
Or, dans toutes les négociations qui ont suivi, il n’a jamais été question de cet engagement. C’est le plus grand mensonge politique dont on a été témoins au Canada au XXe siècle.
Louise Beaudoin
Trudeau, son coup de génie, c’est d’avoir joué sur les mots, dans l’ambiguïté de sa formule de renouvellement du fédéralisme. C’est génial, mais machiavélique : il s’est servi d’un concept que tout le monde au Québec interprétait comme menant à la reconnaissance de la société distincte du Québec dans le Canada et à plus de pouvoirs pour le Québec.
Graham Fraser
Pour M. Trudeau, un changement constitutionnel, ça permettait qu’on fasse ce qu’il avait toujours voulu depuis 30 ans : le rapatriement de la Constitution. Estce que c’était de la rhétorique politique ? Oui, il était politicien. Mais estce que c’était un mensonge? Non. Estce que c’était exprimé de manière à ce que tout le monde puisse voir ce qu’il voulait voir ? D’une certaine façon, c’est l’art de la politique.
Claude Morin
La révision constitutionnelle a débuté le lendemain du référendum. À 11 h, je reçois un appel. Jean Chrétien va faire une tournée des provinces, il part aujourd’hui, il voudrait me voir à Québec. Il commence par moi. Je lui réponds: «C’est gentil, mais moi, je n’ai pas encore parlé au premier ministre, on n’a pas fait le point, le référendum a eu lieu hier ! »
Martine Tremblay
Trudeau veut agir vite, il fait travailler les gens pendant tout l’été 1980. Il y a de multiples rencontres interprovinciales. Les conditions lui paraissent éminemment favorables. Le Québec est affaibli, René Lévesque vient de perdre son référendum, les provinces sont divisées sur la question constitutionnelle, il y a une fatigue après toute cette période intense et difficile du référendum.
Louise Beaudoin
Pour nous, la question qui s’est posée, c’est : estce qu’on participe ou non ?
Claude Morin
Des gens disaient : « On est un gouvernement souverainiste, on n’est quand même pas pour aller négocier la Constitution du Canada. » Lévesque et moi, on répondait : « Oui, mais si on n’y va pas et qu’ils la changent sans nous consulter, on ne pourra pas se défendre en disant qu’ils ne nous ont pas écoutés. »
En ouverture : Au premier plan, Pierre Elliott Trudeau, le ministre des Finances Allan MacEachen et René Lévesque, le 5 novembre 1981. Ci-dessus : Pierre Elliott Trudeau lors d’un rassemblement pour le camp du Non, le 14 mai 1980.
Graham Fraser René Lévesque était très impulsif. C’était un joueur de poker. Il avait fait un certain nombre d’erreurs stratégiques fondamentales dans son analyse de la situation, dont celle de tenir un référendum que lui savait qu’il allait perdre. Après avoir perdu, il n’avait pas le choix, il fallait qu’il respecte les règles du jeu.
Louise Beaudoin M. Lévesque est d’abord et avant tout un démocrate. Il se dit qu’il faut qu’on prenne acte de ce que les Québécois viennent de dire. On ne peut pas prétendre que ce n’est pas arrivé, puis bouder dans notre coin. Ils nous ont dit qu’ils donnaient, dans le fond, une dernière chance au renouvellement du fédéralisme. On va essayer de sauver les meubles. L’objectif du Québec est d’obtenir la reconnaissance, dans la Constitution canadienne, de la société distincte. De faire en sorte que nos pouvoirs dans nos compétences — en matière de langue, d’éducation — ne soient pas dilués.