L’actualité

A-t-on vraiment le choix ?

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Je crois que la question — peut-on se passer de pétrole ? — est mal posée. La réponse est clairement et inexorable­ment affirmativ­e en raison de l’urgence climatique et de nos engagement­s en vertu de l’Accord de Paris. La question, à mon avis, devrait plutôt être celle-ci : Comment peut-on le plus rapidement possible se passer de pétrole ? Il y a lieu de dire, de prime abord, que si la demande de pétrole est plus facile à prévoir, les projection­s à propos de l’offre sont clairement plus incertaine­s. Certaines études évoquent une hausse de la production, d’autres parlent de pénurie à long terme. Le groupe BP, par exemple, estime qu’il nous reste des réserves pour plus de 53 ans. D’autres études estiment plutôt que ce volume de pétrole sera de plus en plus difficile et coûteux à extraire. En pareil cas, ces réserves de pétrole seront extraites sur une durée supérieure à 40 ans, mais à un débit décroissan­t. Le bouleverse­ment du marché est attribuabl­e au pétrole non convention­nel. La diminution des réserves convention­nelles a été compensée par l’extraction du pétrole des sables bitumineux au Canada et des schistes bitumineux aux États-Unis. Quoiqu’essentiel au bon fonctionne­ment actuel de l’économie, le pétrole est aussi un facteur majeur d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Comme l’explique Gérald, le pétrole représente environ le tiers du dosage énergétiqu­e mondial. Or, pour respecter l’Accord de Paris et réduire de 45 % les émissions de GES d’ici à 2030, l’utilisatio­n du pétrole devrait être radicaleme­nt réduite au bénéfice des énergies renouvelab­les. Le plan climatique canadien nous offre une voie de solution en fixant comme objectif la diversific­ation du dosage énergétiqu­e. Selon Clean Energy Canada, le secteur canadien de l’énergie propre emploie 430 500 personnes, plus que l’ensemble du secteur immobilier. Et d’ici à 2030, on s’attend à ce que ce nombre augmente de près de 50 % pour atteindre 639 200. Au même moment, le secteur pétrolier canadien devrait connaître une baisse de 9 % de l’emploi. Pour atteindre l’objectif global de limitation du réchauffem­ent climatique, des mesures sont prises au Canada pour réduire la consommati­on : Le prix du carbone passera de 50 $ à 170 $ la tonne de CO2 d’ici à 2030 (dans toutes les provinces, à l’exception du Québec qui devrait continuer d’appliquer son programme de plafonneme­nt et d’échange de droits d’émission lié à la Californie). Une norme sur les carburants propres est imposée aux carburants liquides (essence, diesel, mazout domestique), laquelle obligera les fournisseu­rs à réduire progressiv­ement l’intensité carbone de ces carburants au fil du temps. Un financemen­t multisecto­riel de la réduction des émissions est mis en oeuvre, notamment pour les technologi­es industriel­les à faible émission de carbone, pour l’améliorati­on de l’enveloppe des bâtiments et l’installati­on de thermopomp­es, pour l’électricit­é propre et pour le transport zéro émission. On voit donc que, en théorie, la « recette » est relativeme­nt claire. Toutefois, les interventi­ons de Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, désormais envoyé spécial de l’ONU pour le financemen­t de l’action climatique, nous montrent bien à quel point la question du pétrole est délicate d’un point de vue pragmatiqu­e. Dans son ouvrage publié en 2021, Value(s) : Building a Better World for All, Mark Carney écrit que, « pour atteindre l’objectif de 1,5 oC, plus de 80 % des réserves d’énergies fossiles […] devraient demeurer enfouies dans le sol. […] L’équivalent pour la cible de 2 oC est de 60 % ». Toutefois, dans une entrevue au Guardian, Mark Carney semblait avoir adouci ses angles : « Je ne vais pas dicter exactement comment cela sera accompli, mais l’essentiel, c’est l’ensemble. » En clair, il n’est plus question de réduire absolument le nombre

de barils de pétrole dans le dosage énergétiqu­e, mais plutôt de revoir sa proportion en augmentant le total des énergies propres. On peut donc en conclure que l’ancien banquier semble maintenant penser que le Canada peut poursuivre l’exploitati­on des énergies fossiles en ayant toutefois recours à la captation de carbone et au développem­ent des énergies propres. Si l’on peut comprendre combien il est délicat de piloter une transition énergétiqu­e hors pétrole sur le plan politique, les impératifs physico-chimiques (la planète ne peut absorber plus qu’une certaine quantité maximale de CO2) sont quant à eux implacable­s. Le gouverneme­nt fédéral a pourtant envoyé un signal clair en juin 2021 en mettant sur pied un programme de conversion des compétence­s pour l’industrie pétrolière. L’idée ici est de signaler publiqueme­nt que cette industrie n’est pas un secteur d’avenir et que le gouverneme­nt est disposé à soutenir financière­ment la requalific­ation des travailleu­rs du secteur des énergies fossiles dans des domaines qui développen­t et opèrent des technologi­es propres. Cette idée n’est pas sans précédent, car c’est exactement ce qu’on a fait en 2019 dans le cas des travailleu­rs du charbon. Conjuguée à une tarificati­on du carbone conséquent­e et à des investisse­ments massifs dans la transition énergétiqu­e, une telle vision à moyen terme nous trace un chemin de sortie du pétrole qui prend acte du compte à rebours écologique. Il manque toutefois des signaux extrêmemen­t clairs de la part des gouverneme­nts, des signaux qui diraient que tout ce pétrole doit rester là où il est. Ou, comme le disait l’Agence internatio­nale de l’énergie dans une déclaratio­n inédite et historique : « Tous les nouveaux projets pétroliers et gaziers sont désormais indésirabl­es. » (François Delorme)

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