On attend le plan
L’expression « cri du coeur » aura rarement pris autant de sens que pendant cette entrevue diffusée le 20 janvier dernier. Au micro de Patrick Lagacé, la pâtissière Stéphanie Hariot expliquait pourquoi elle avait décidé de rouvrir sa salle à manger à Jonquière malgré l’interdiction en vigueur. « Je suis tannée d’entendre le même cr… de discours depuis deux ans ! C’est pas à moi de sauver le système de santé, c’est à eux de nous sortir de ce marasmelà ! »
Elle allait continuer à se conformer scrupuleusement aux autres règles sanitaires : contrôle du passeport vaccinal, distance entre les tables et tutti quanti. Mais l’interdiction de servir un café sur place à « des grandmères triplement vaccinées » ne passait plus. Elle ne voyait plus de logique dans les mesures. Elle avait peur que son petit commerce ne meure. Elle était à bout.
Stéphanie Hariot exprimait un sentiment de plus en plus répandu parmi les Québécois. Pas étonnant que, trois jours plus tard, elle se soit retrouvée à l’émission Tout le monde en parle.
On est encore loin de la révolte ouverte. Les sondages montrent que les Québécois continuent largement de respecter les consignes sanitaires. Mais des fissures commencent à apparaître dans le quasiconsensus des première et deuxième vagues, et pas seulement à cause de la valsehésitation du gouvernement en décembre, ni des critiques qui ont mené à la démission du directeur de santé publique.
Avec le très contagieux variant Omicron, la donne a changé. Le nerf de la guerre n’est plus dans le dépistage et le traçage systématiques, mais dans la limitation des dégâts. C’estàdire s’assurer que le réseau de la santé est capable de traiter le surplus de patients que la COVID amène. Et c’est là qu’on tombe sur un méchant os.
Si d’autres provinces ou États peuvent se permettre de lever les mesures de confinement plus rapidement que le Québec, c’est parce que leur système de santé est plus robuste que le nôtre. Les problèmes qui affligent notre réseau depuis des décennies, qui sont constamment dénoncés par le personnel de la santé, qui ont été documentés dans moult rapports et qui étaient déjà une douloureuse réalité pour les malades en attente de soins, touchent maintenant chacun des Québécois.
Se battre ensemble contre un nouveau virus inquiétant était une chose. Être confiné chez soi parce que notre système de santé prend l’eau depuis des années en est une autre.
Évidemment, tant que la tempête menace de faire chavirer le bateau, on n’a pas d’autre choix que de continuer à protéger ceux qui rament dans les hôpitaux pour le garder à flot. Si la frustration venait à se changer en jem’enfoutisme, les conséquences seraient dévastatrices pour les victimes collatérales de la pandémie, celles qui, en attente de soins parfois urgents, pourraient en mourir.
Mais quand le beau temps reviendra, il faudra se rappeler tous ces gens atteints de maladies graves qui ont vu leur opération être reportée. Ces personnes âgées confinées dans leur chambre durant de longues semaines. Ce personnel soignant poussé à l’épuisement.
Il faudra transformer cette indignation en revendication à l’égard de nos dirigeants, qui devront faire sacrément mieux que leurs prédécesseurs. Ils ne pourront pas se contenter de discours vagues du type « la santé est notre priorité ». La protectrice du citoyen et la commissaire à la santé ont déposé de volumineux rapports bourrés de recommandations. La coroner Géhane Kamel promet le sien dans les prochains mois. Les constats sont là, les pistes de solutions aussi.
Au moment où j’écris ces lignes, on attend encore les détails du plan de « refondation » du système de santé annoncé par François Legault. Rarement un premier ministre atil dû composer aussi intensément avec les failles du réseau ; son plan doit s’attaquer de façon concrète aux racines du problème. On ne peut en attendre moins.