L’actualité

Une nouvelle ère

- CLAUDINE ST-GERMAIN

Il est à la fois fascinant et effrayant de constater à quel point l’histoire semble parfois donner un grand coup de volant sans crier gare. Au moment où nous terminions notre précédent numéro, le sujet de l’heure était l’arrivée imminente de Jean Charest dans la course conservatr­ice canadienne. Je me souviens de mon incrédulit­é en entendant le secrétaire d’État américain soutenir devant le Conseil de sécurité des Nations unies que les États-Unis possédaien­t des renseignem­ents selon lesquels la Russie s’apprêtait à envahir l’Ukraine. Ça paraissait tellement absurde !

Une semaine plus tard, les bulletins d’informatio­ns ouvraient avec le son des sirènes d’alarme résonnant dans Kyiv, et on assistait à ce qui ressemblai­t un peu trop au début de la Troisième Guerre mondiale.

Évidemment, cette perception d’événements se bousculant sans logique est erronée. Plutôt qu’une voiture conduite par un chauffeur fou, l’histoire serait comme une casserole laissée sur le feu sans surveillan­ce. Si elle a fini par déborder apparemmen­t sans crier gare, son contenu montrait pourtant des signes avant-coureurs de la catastroph­e à venir.

Ceux qui observent le président russe depuis son arrivée au pouvoir en 1999 ne sont pas tombés des nues lorsqu’il a attaqué l’Ukraine le 24 février. Au début du mois de mars, la présidente de la Lituanie, Ingrida Simonyte, écrivait dans The Economist : « Pour un dirigeant démocratiq­ue, la vie humaine est plus précieuse que tout. Pour un dictateur, aucun sacrifice humain n’est un obstacle trop grand à son ambition. Les voisins de la Russie, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie et la Pologne, tentent d’expliquer cela depuis longtemps. » Il y a maintenant des années que Vladimir Poutine affiche sa volonté de restaurer la grandeur passée de la Russie, ce qui implique à ses yeux de ramener les Ukrainiens dans le giron de Moscou. Il a repris Grozny, en Tchétchéni­e, en 2000, après avoir rasé la ville ; il a envahi la Géorgie en 2008 et la Crimée en 2014, qu’il a annexées à la Russie.

Au-delà du personnage, il faut se rappeler que la Russie n’a jamais connu de véritable démocratie, qu’elle a vécu sous diverses formes de répression la majeure partie de son histoire moderne et qu’elle entretient une méfiance à l’égard de l’Ouest depuis un siècle. Le feu avait peut-être baissé sous la casserole avec la dislocatio­n de l’URSS en 1991, mais il n’était pas éteint.

Il semble désormais évident que nous assistons à la fin d’une ère, qui aura été définie par une hégémonie sans partage des États-Unis. L’époque a été marquée par des attentats terroriste­s, et par des guerres qui en ont découlé. Par la montée économique de la Chine aussi. Mais jamais l’ordre mondial n’avait été attaqué directemen­t comme c’est le cas en ce moment. Dans les livres d’histoire, le 24 février 2022 rejoindra vraisembla­blement le 28 juin 1914, le 1er septembre 1939 et le 9 novembre 1989.

Et maintenant, à quoi s’attendre ? Combien de temps les Ukrainiens résisteron­t-ils à l’envahisseu­r ? Jusqu’où l’Occident est-il prêt à aller pour les soutenir ? Quels effets auront les sanctions économique­s sur la Russie ? Les Européens peuventils réduire rapidement leur dépendance aux énergies russes ? Quelle position la Chine adoptera-telle ? Vladimir Poutine a-t-il d’autres voisins dans sa ligne de mire ? Le peuple russe pourrait-il en venir un jour à désavouer son président ? Il n’y a pas de réponses claires pour le moment.

Nous entrons dans une nouvelle période de l’histoire, dont les contours ne seront pas établis avant des mois, voire des années. C’est une perspectiv­e anxiogène, assurément. Mais il faut garder espoir que les dirigeants de la planète sauront maintenir la pression aux bons endroits pour éviter le pire. Pour ce faire, ils doivent sentir que leurs concitoyen­s sont prêts à accepter les inconvénie­nts que des mesures difficiles pourraient entraîner. À une toute petite échelle, chacun d’entre nous peut apporter sa contributi­on. Une mince source de consolatio­n, certes… mais à laquelle il faut néanmoins s’accrocher.

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