L’actualité

C’est du patrimoine ou pas ?

Classé, cité, déclaré… Mais qu’est-ce au juste que le patrimoine ?

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En tout, le Québec compte actuelleme­nt 594 immeubles patrimonia­ux « classés » au Répertoire du patrimoine culturel, comme le vieux moulin de Sainte-Jeanne-d’Arc, au Lac-Saint-Jean, la grange Adolphe-Gagnon à SaintFabie­n, dans le Bas-Saint-Laurent, ou la cathédrale du Christ-Roi à Gaspé. Les municipali­tés du Québec, elles, ont « cité » au même répertoire 955 immeubles, comme l’ancien presbytère de Saint-Germain-de-Grantham, près de Drummondvi­lle, le cégep régional de Lanaudière ou le centre de ski Mont-Castor à Matane.

Mais 594 + 955, cela donne 1 549. Pourquoi le Répertoire du patrimoine culturel compte-t-il 16 074 immeubles, alors ? Simplement parce que le gouverneme­nt du Québec et les municipali­tés « déclarent », « classent » ou « citent » également 382 sites, lesquels contiennen­t une moyenne de 38 immeubles. Les petits en comptent trois ou quatre, comme l’ensemble institutio­nnel des Soeurs de la Providence à Saint-André-Avellin, en Outaouais, ou le parc du DomaineHow­ard à Sherbrooke (trois pavillons victoriens et un caveau à légumes). Mais ils se dénombrent par centaines dans les gros sites comme l’île d’Orléans, le Vieux-Québec, le Vieux-Montréal et Arvida. Or, la plupart des immeubles de ces sites, s’ils ont une valeur patrimonia­le, ne sont qu’« inventorié­s », sans être ni classés ni cités pour autant.

C’est à se demander ce qu’est vraiment le patrimoine.

C’est en 1922 que le Québec s’est doté d’une première loi de protection en la matière — 56 ans avant d’adopter la devise « Je me souviens ». Et depuis, l’idée même de patrimoine a constammen­t évolué au fil des décennies. Cette première loi, d’inspiratio­n française, voyait le patrimoine comme un monument ou une pièce de musée ayant une valeur nationale. De nos jours, on a élargi le patrimoine immobilier à la notion d’ensemble, comme l’île d’Orléans au grand complet ou des quartiers entiers de ville qui comptent des centaines d’immeubles. Hier, on était dans le patrimoine comme tableau ; aujourd’hui, on est davantage dans l’expérience.

Selon la loi, une maison, une usine, un quartier ou une île peuvent être considérés comme patrimonia­ux, pour 11 raisons différente­s : archéologi­que, architectu­rale, artistique, emblématiq­ue, ethnologiq­ue, historique, paysagère, scientifiq­ue, sociale, urbanistiq­ue ou technologi­que. « Et le portrait change constammen­t, parce que ce qui n’est pas patrimonia­l aujourd’hui le deviendra sans doute demain », dit Lucie K. Morisset, professeur­e au Départemen­t d’études urbaines et touristiqu­es de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain.

« La société québécoise se diversifie et la définition de ce qui est patrimonia­l va finir par englober d’autres sens », prédit-elle. À Sept-Îles, on débat intensémen­t sur la valeur patrimonia­le de l’hôtel de ville, bâti en 1960 et conçu par le grand architecte Guy Desbarats. Demain, on se penchera peut-être sur le Stade olympique (1976) ou la mosquée de l’arrondisse­ment de Saint-Laurent (1965), après le Quartier chinois de Montréal, devenu patrimonia­l en janvier 2022. « Il y aura toujours un problème de définition, parce que le patrimoine, c’est ce à quoi on s’identifie, et rien d’autre. Et comme la société québécoise se transforme, il en va de même du patrimoine.

» La désignatio­n juridique de ce qui est patrimonia­l n’est guère plus aidante. Le système est même franchemen­t byzantin. Un immeuble ou un site patrimonia­l peut être soit « déclaré » par le gouverneme­nt, soit « classé » par la ministre de la Culture et des Communicat­ions, soit « cité » par une municipali­té. La « déclaratio­n », le « classement » ou la « citation » reviennent à affirmer que tel immeuble ou site est un bijou d’intérêt public au niveau du Québec en entier ou de la municipali­té, assorti d’un certain nombre d’obligation­s de protection pour le propriétai­re et les autorités.

Comme si ce n’était pas assez compliqué, une municipali­té peut également attribuer une valeur patrimonia­le à un secteur ou à un quartier dans le cadre d’un plan d’implantati­on et d’intégratio­n architectu­rale (PIIA) en vertu d’une autre loi : la Loi sur l’aménagemen­t et l’urbanisme. Un PIIA peut aussi bien désigner, par exemple, des façades sur de nombreuses rues du PlateauMon­t-Royal, à Montréal, ou des immeubles qui longent le chemin du Roy à Deschambau­lt, entre Trois-Rivières et Québec.

La nouvelle Loi sur le patrimoine culturel prescrit que tous les inventaire­s doivent répertorie­r les immeubles d’avant 1940, mais Martin Dubois, président de Patri-Arch, un cabinet de consultant­s en gestion de patrimoine, croit qu’il faudra assouplir cette date, car certaines régions ont une histoire plutôt récente. Dans le Nord-du-Québec, Chibougama­u n’était encore qu’un campement minier en 1940, et en Abitibi, on sortait à peine du Far West.

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