L’actualité

Non négociable

- CLAUDINE ST-GERMAIN

Protéger le français au Canada est digne de Sisyphe. Ce qui semble acquis à un moment donné peut toujours être remis en question 10 ans plus tard, et tout est alors à recommence­r.

Prenons l’exemple des nomination­s symbolique­s des représenta­nts de la reine au pays. En 2019, le premier ministre Justin Trudeau a recommandé la nomination de Brenda Murphy, qui a passé sa carrière à défendre les droits des femmes, à titre de lieutenant­egouverneu­re du Nouveau-Brunswick. Brenda Murphy est unilingue anglophone et sa province, la seule bilingue du pays. La Société de l’Acadie du NouveauBru­nswick a déposé une plainte en cour et, en avril, une juge de cette province a statué que cette nomination était anticonsti­tutionnell­e. Au moment de mettre sous presse, le gouverneme­nt fédéral n’écartait pas l’idée de faire appel de ce jugement.

En 2021, c’est le poste de gouverneur général du Canada qui a été confié à quelqu’un ne parlant pas français, une première depuis la nomination de Ray Hnatyshyn en 1990. Évidemment, plusieurs facteurs ont joué dans la nomination de Mary Simon, qui était par ailleurs un geste significat­if envers les Autochtone­s. Mais force est de constater que dans la liste des critères pris en compte par le bureau du premier ministre pour évaluer les candidatur­es, celui de la « maîtrise du français » est passé de la catégorie des « essentiels » à un « atout ».

Il est peutêtre moins surprenant de voir que le phénomène existe aussi dans le monde des affaires, l’importance accordée au français y étant relativeme­nt récente. Mais il est quand même lassant de devoir s’insurger devant des conseils d’administra­tion sans francophon­es à Montréal (comme celui du Canadien National) et des dirigeants d’entreprise affirmant sans gêne qu’ils ne sentent pas le besoin d’apprendre le français en vivant au Québec (comme celui d’Air Canada). Les excuses et promesses de faire mieux suivent chaque fois. Reste que le fait que ces organisati­ons sensibles à l’opinion publique ne pensent pas d’emblée à la question du français est très révélateur.

On peut enchaîner avec les hésitation­s d’Ottawa depuis toujours d’imposer le critère du bilinguism­e parmi les compétence­s incontourn­ables pour les juges à la Cour suprême du Canada ; un programme d’Immigratio­n Canada qui donne un taux de refus anormaleme­nt élevé pour les demandes d’étudiants étrangers francophon­es ; des université­s françaises en Ontario et en Alberta qui échappent de justesse à la fermeture. Des exemples qui n’ont en commun que ceci : ils nous rappellent que l’importance de préserver le fait français n’est jamais acquise.

De puissants courants de fond jouent en défaveur du français au Canada. La démographi­e, d’abord. La population du Québec n’augmente pas au même rythme que celle du reste du pays, ce qui affaiblit lentement mais sûrement son rapport de force, notamment sur les questions linguistiq­ues. Le même phénomène se produit dans les communauté­s francophon­es hors Québec, qui vivent d’encore plus près la difficulté de préserver une langue en contexte minoritair­e. La principale solution à ce déclin, une hausse de l’immigratio­n, est complexe à orchestrer, demande un arrimage solide et constant entre le fédéral et le Québec, et est régulièrem­ent politisée à l’excès.

On peut également penser à l’inexorable avancée vers une planète de plus en plus branchée, mondialisé­e et, par le fait même, anglicisée. Longtemps ce phénomène fut perçu comme impossible à combattre. Mais les efforts récents de divers gouverneme­nts dans le monde ont montré qu’il était possible de réclamer aux géants numériques une meilleure protection des cultures locales, y compris les langues autres que l’anglais. Une bataille qui vient de s’amorcer et qui sera aussi longue que vitale pour toutes les sociétés vivant à l’ombre du monde anglosaxon.

À l’échelle canadienne, il faudra continuer, encore et toujours, à rappeler aux politicien­s, fonctionna­ires, chefs d’entreprise et commentate­urs de tout acabit que le français est tissé à même le pays et que son respect n’est pas négociable.

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