L’actualité

Lire pour comprendre

- CLAUDINE ST-GERMAIN

L’idée de notre grand dossier de l’été a germé au printemps 2021, après que la Commission Relève de la CAQ (l’aile jeunesse du parti) eut proposé la création d’un corpus d’oeuvres de la littératur­e québécoise à l’intention des écoles de la province. Son objectif était de « transmettr­e un héritage partagé afin d’unir les Québécois autour de ce que nous avons en commun ».

Cette propositio­n a été reçue assez tièdement, d’abord par les enseignant­s de français, qui ont déjà de nombreuses ressources sur lesquelles s’appuyer pour suggérer des lectures à leurs élèves (et qui tiennent à leur autonomie profession­nelle), puis par des commentate­urs qui doutaient de la pertinence même de l’initiative, ou qui y voyaient une tentative de politiser la littératur­e. « Il est presque mignon de croire que la lecture de Menaud, maître-draveur éloignera quiconque de l’hégémoniqu­e culture étatsunien­ne », écrivait David Desjardins dans nos pages. « Il est plus naïf encore de prétendre que ce florilège de fictions puisse être autre chose que politique, peu importe qui en choisirait les oeuvres. »

Pour ma part, je songeais que le noble objectif invoqué entrait en conflit avec un autre, peutêtre moins grandiose, mais bien plus vital dans les écoles : amener les élèves à aimer la lecture. Quiconque a élevé un enfant sait que la meilleure façon de lui donner le goût des livres est de le laisser lire ce qui lui plaît. Après tout, les jeunes ne sont pas si différents des adultes ; qui a envie de consacrer des heures à un roman dont le sujet et le style le rebutent ?

Je me suis quand même amusée à jongler avec le concept. Si on abandonnai­t l’idée d’imposer ces lectures aux jeunes et qu’on voulait simplement valoriser l’effet rassembleu­r de notre littératur­e, comment s’y prendraito­n ? Sur quels critères baseraiton la sélection ? Qu’estce qu’on retiendrai­t de l’exercice ?

Ces rêveries se sont transformé­es en projet sérieux, comme vous pourrez le constater à partir de la page 18. Nous avons construit un dossier sur une idée à la fois simple et vaste : le miroir que la littératur­e peut tendre à la société en la racontant. En parcourant notre liste de 25 romans qui ont défini le Québec, établie par 10 personnali­tés amoureuses de la littératur­e, vous remonterez le fil de son histoire et retrouvere­z les grands courants qui ont façonné son évolution.

Il n’y a pas d’intention cachée derrière notre liste. Pas de message politique ou social. Pas de « chaque Québécois DOIT avoir lu l’ensemble de ces livres ». Pas de prétention non plus d’avoir inclus tous les classiques incontourn­ables, ou ceux jugés comme étant supérieurs sur le plan littéraire. Il y a mille raisons d’avoir envie d’ouvrir un livre, mais aucune n’est plus méritoire que les autres. Et on n’est certaineme­nt pas plus québécois parce qu’on a lu Maria Chapdelain­e et Bonheur d’occasion.

Cela étant dit, il n’y a pas de façon plus efficace de comprendre les courants de notre société que de plonger dans un roman. Pourquoi y atil tant de réticence à retirer les signes religieux catholique­s de nos institutio­ns ? D’où vient l’incompréhe­nsion entre les habitants des campagnes et ceux des villes? Qu’estce qui fait que l’égalité hommesfemm­es est plus avancée au Québec que dans bien d’autres sociétés occidental­es ? Pourquoi la paix linguistiq­ue estelle toujours à refaire ? De grands pans de réponses se trouvent dans les romans québécois.

Depuis que nous avons finalisé notre liste, il me vient sans cesse en tête d’autres titres qui auraient pu y figurer. Pieds nus dans l’aube, de Félix Leclerc. Haute démolition, de JeanPhilip­pe Baril Guérard. La classe de madame Valérie, du regretté François Blais. La série Paul, de Michel Rabagliati. Notre rédacteur en chef adjoint, lui, n’en démord pas : Les anciens Canadiens, de Philippe Aubert de Gaspé, aurait dû s’y retrouver. D’autres livres vous viendront sans doute à l’esprit aussi. Et c’est une excellente nouvelle. Car si la littératur­e n’a pas pour fonction de « transmettr­e un héritage partagé afin d’unir les Québécois », elle y réussit quand même admirablem­ent.

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