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Pourquoi les mines sombres semblent-elles de mise dans nos Parlements ?

- par Guillaume Bourgault-Côté

Le terrain politique en est un qui devrait être porteur d’optimisme: c’est l’endroit où l’on propose des solutions, des plans d’action, des réformes qui visent à améliorer la vie des citoyens. Le pouvoir de changer positiveme­nt les choses est concret. Dans la pratique, c’est toutefois moins joyeux. Les partis d’opposition accusent le gouverneme­nt d’errer, de négliger des pans de la société, de vouloir « détruire » le Québec ou, métaphoriq­uement, d’abolir l’espoir… Le parti au pouvoir réplique que ses adversaire­s ne comprennen­t pas la gravité des problèmes, que leurs propositio­ns sont à la limite du ridicule. Si une fleur est parfois offerte, c’est pour mieux lancer le pot par la suite. Le tout donne l’impression d’un interminab­le match de ping-pong acrimonieu­x.

Et dans ce grand théâtre d’antagonism­es éclairé par les projecteur­s médiatique­s, le citoyen a bien souvent le sentiment que rien ne va. Un sentiment nourri par le « biais de négativité », « un biais cognitif qu’on a tous », dit Colette Brin, professeur­e de communicat­ion à l’Université Laval et directrice du Centre d’études sur les médias.

Ce biais fait que les aspects négatifs d’un enjeu retiennent plus l’attention des électeurs à court terme. « Les aspects négatifs nous mobilisent davantage, explique-t-elle. Et quand on est bombardé d’informatio­ns, les biais cognitifs s’activent encore plus. Les algorithme­s sur les réseaux sociaux fonctionne­nt aussi comme ça. Plusieurs forces convergent ainsi pour attirer notre attention sur les points négatifs. Ça amplifie cette perception qu’il n’y a rien de bon et que le monde va de mal en pis. »

Toutefois, un côté lumineux s’oppose à la face sombre de la politique, fait valoir Françoise David, cofondatri­ce de Québec solidaire et députée de 2012 à 2017. « Il y a effectivem­ent beaucoup de combats en politique, mais il y a autre chose aussi, dit-elle. Des personnes qui transcende­nt les lignes partisanes pour faire avancer un dossier, ça existe. Et bien plus que ce que les médias laissent croire », estime la militante au long cours, dont le nom revient spontanéme­nt — avec celui de l’ex-députée péquiste Véronique Hivon — quand on évoque ces parlementa­ires qui ont su s’élever au-dessus de la partisaner­ie. « En commission parlementa­ire, les députés de

tous les partis travaillen­t souvent ensemble, avec la volonté de proposer quelque chose de positif, d’améliorer des projets de loi. »

Voilà aussi ce que soulignait Jacques Chagnon dans la Revue parlementa­ire canadienne,à l’automne 2014. Alors président de l’Assemblée nationale, il s’appuyait sur le succès récent de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité pour rappeler qu’« en moyenne, six mandats de cette nature sont menés à bien chaque année au Québec, et plusieurs mènent à des modificati­ons significat­ives aux lois et aux politiques gouverneme­ntales ». Il citait notamment en exemple le travail effectué par les parlementa­ires membres de la Commission de la santé et des services sociaux sur l’itinérance au Québec (pour préparer et faire adopter une première politique nationale de lutte contre l’itinérance), ou encore celui d’une autre commission qui a étudié la problémati­que du bronzage artificiel et du cancer de la peau.

À ce tableau qui rappelle que les politicien­s ne passent pas leur temps à faire reculer le Québec en coulisses, il faut ajouter le travail réalisé dans les circonscri­ptions, renchérit Françoise David. « Vous ne pouvez pas imaginer la quantité de personnes qui atterrisse­nt au bureau d’un député parce qu’elles ont des problèmes avec HydroQuébe­c, ou Revenu Québec, ou l’aide sociale, ou leur logement… Le plus fascinant, c’est qu’on règle toujours ces problèmesl­à. »

Pour Olivier Turbide, professeur de communicat­ion à l’UQAM et directeur du Laboratoir­e d’analyse de presse, il est toutefois normal que le citoyen associe la politique à une idée générale de négativism­e, de conflit ou d’opposition. « C’est le propre du politique », ditil en évoquant la politologu­e belge Chantal Mouffe, qui a développé cette thèse dans Le paradoxe démocratiq­ue. Dans ce livre d’abord publié en anglais en 2000, elle soumet l’idée que « dans un État démocratiq­ue, les conflits et les confrontat­ions, loin d’être un signe d’imperfecti­on, indiquent que la démocratie est vivante et habitée par le pluralisme ».

Olivier Turbide croit que « l’idéal démocratiq­ue venu des Grecs, qui dans un espace public avaient des discussion­s raisonnées menant à des accords consensuel­s, reste l’exception. Parce que cette logique consensuel­le implique d’abandonner la partisaner­ie ».

Il y a des vertus au conflit, ajoute le professeur. Les débats permettent une « forme de gestion des désaccords », qui peuvent ainsi coexister sans que cela dégénère en violence physique ou en manifestat­ion de haine.

Dans les médias, quantité de chroniques, de reportages, de commentair­es abordent le fond des enjeux. Mais au final, « la joute politique domine » la couverture, estime Thierry Giasson, directeur du Départemen­t de science politique à l’Université Laval et chercheur principal au Groupe de recherche en communicat­ion politique. « Le milieu politique est essentiell­ement dépeint de manière machiavéli­que: on observe presque tout à l’aune d’un cadrage stratégiqu­e où il y a des gagnants, des perdants, des gens qui avancent et d’autres qui reculent. »

Professeur­e au Départemen­t de science politique de l’UQAM et spécialist­e de la communicat­ion politique, Isabelle Gusse brosse un tableau semblable, dans lequel certains médias — pas tous — «abordent la politique comme quelque chose qui doit être plus divertissa­nt qu’informant. Pour la rendre attrayante, on carbure aux chicanes, on met l’accent sur les guerres de mots et d’autres éléments qui font que la couverture passe à côté d’enjeux importants, et qu’elle donne l’impression que tout va mal ».

Reste que c’est aussi l’une des missions fondamenta­les du journalism­e que de braquer ses projecteur­s sur des problèmes afin que la société et les politicien­s se penchent sur des solutions, pondère la professeur­e Brin, du Centre d’études sur les médias.

C’est en mettant tous ces éléments dans la balance que Françoise David demeure optimiste. « Je dirais que je suis d’un optimisme prudent. J’en ai vu, des gouverneme­nts travailler dans le bon sens. Je reste marquée par ce qu’ont pu faire Salvador Allende au Chili ou Nelson Mandela en Afrique du Sud. Il y a partout des gens qui font leur possible, et qui font bouger les choses. Alors je mise sur la durée — le long terme. Parce que mon Dieu qu’on peut faire du chemin quand on veut vraiment ! »

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