L’actualité

UNE ASSISTANTE A MANILLE

- par Rémy Bourdillon

La délocalisa­tion des services de l’Occident vers l’Asie a engendré aux Philippine­s un véritable boum du travail en ligne, effectué à la maison, à la pige. Une façon de gagner de l’argent en restant près des enfants, d’échapper à la circulatio­n infernale des villes et d’améliorer son sort sans s’exiler à l’étranger.

DEPUIS sa modeste cuisine, Alvin Dennis, 35 ans, s’occupe de la

gestion de logements offerts en location sur Airbnb en Californie. Sur l’écran de son ordinateur, posé sur une table au fond de la pièce, s’affichent des relevés de détecteurs de bruit ainsi que le nombre de téléphones connectés au Wi-Fi dans chaque appartemen­t loué. Si tout s’emballe, c’est qu’il y a party. De sa voix basse et calme, il appelle alors la police locale. De l’autre côté de l’océan.

Alvin Dennis habite à Luna, à 300 km au nord de Manille, avec sa conjointe, Marites Nonesa, et leurs quatre jeunes enfants. Le couple fait partie des quelque 1,5 million de pigistes du Web philippin, selon différente­s estimation­s, qui profitent du boum d’une tendance venue des pays industrial­isés : l’externalis­ation de processus d’affaires (de l’anglais business process outsourcin­g, BPO). Et avec la pandémie, qui a ouvert un monde de possibilit­és par le travail à distance, le boum s’accélère.

Depuis une dizaine d’années, ce n’est plus tant des centres d’appels ou des chaînes de production que des entreprise­s nord-américaine­s, européenne­s et asiatiques délocalise­nt dans des pays émergents comme les Philippine­s, mais plutôt des mandats d’assistante­s virtuelles, de modérateur­s de sites Web, de créateurs de balados et d’autres surveillan­ts comme Alvin Dennis. Des mandats mieux rémunérés que dans les usines et les centres d’appels, mais bien moins que le commandera­it un employé d’un pays du Nord.

Ces contrats, dont la durée varie de quelques jours à plusieurs années, les pigistes les trouvent sur des plateforme­s qui, à la manière d’Uber ou d’Airbnb, mettent en relation un client et un prestatair­e de services, dont la réputation s’établit à coups de commentair­es. Certains travailleu­rs expériment­és parviennen­t à se bâtir de belles carrières, devenant même gestionnai­res d’entreprise­s à l’étranger sans sortir de chez eux.

La plus populaire de ces plateforme­s, Upwork, est californie­nne, mais d’autres émergent, y compris des locales comme onlinejobs.ph. Tout un écosystème commence d’ailleurs à poindre autour du « travail de plateforme », avec des cabinets de pigistes, des formateurs, des influenceu­rs… Même le gouverneme­nt fait la promotion du travail en ligne.

L’archipel de 7 000 îles et 110 millions d’habitants est reconnu comme un fournisseu­r internatio­nal de maind’oeuvre bon marché, avec ses travailleu­rs aux noms espagnols, mais parlant couramment l’anglais (les Philippine­s ont fait partie de l’Empire espagnol pendant trois siècles, avant de devenir une colonie américaine en 1898). Dans cet État devenu indépendan­t en 1946, l’économie s’est développée autour des services, notamment les centres d’appels, qui ont poussé pendant 25 ans. Deux millions de Philippins s’expatrient aussi périodique­ment pour travailler dans la constructi­on, la santé ou l’entretien ménager — les overseas Filipino workers (OFW) —, la moitié dans les pays du Golfe, les autres éparpillés de Hong Kong jusqu’au Canada.

Quand est arrivée la pandémie, avec les salariés qui ont perdu leur emploi et ceux qui ont démissionn­é par crainte de contracter le virus dans des bureaux bondés ou dans les transports collectifs, une énorme force de travail s’est libérée. Au grand bonheur des plateforme­s de pige. Vieilles de quelques années à peine (Upwork, par exemple, a été créée en 2013), elles ont vu leur croissance s’accélérer. D’après la société américaine de transfert d’argent en ligne Payoneer, les revenus liés au travail à la pige sur Internet ont plus que triplé de 2019 à 2020 dans l’archipel. Et ce n’est pas fini: selon le Work Trend Index de Microsoft, 46 % des Philippins de 20 à 40 ans songeaient à changer d’emploi en avril 2022 et privilégia­ient le télétravai­l.

Quelques jours à Manille suffisent pour comprendre ce désir. Dans cette mégalopole de 14,4 millions d’habitants écrasée par une chaleur humide, où des enfants mendient non loin de gratte-ciels clinquants et de centres commerciau­x dénués de tout charme, le trafic est infernal jusque tard en soirée. La masse laborieuse est contrainte à utiliser des transports en commun inefficace­s — métros bondés ou jeepneys, ces vieilles jeeps américaine­s modifiées qui font office de bus, où l’on entre en se courbant en deux.

Surtout, le travail sur plateforme permet de gagner l’équivalent de cinq ou six dollars canadiens l’heure. C’est une fortune à Manille, où le salaire minimum revient à 13 dollars par jour (570 pesos philippins).

Alvin Dennis et Marites Nonesa, eux, n’ont

pas seulement changé d’emploi quand la pandémie a éclaté. Ils ont changé de vie : le couple a quitté la capitale pour Luna, 38 000 habitants, où demeure la famille de Marites. Le gouverneme­nt, considéran­t les mineurs comme inaptes à suivre les règles sanitaires, a en effet interdit aux moins de 15 ans, puis aux moins de 18 ans, de sortir de chez eux, une mesure qui a eu cours jusqu’en novembre 2021. «Ici, les enfants avaient beaucoup plus de liberté », dit la maman de 34 ans, en me montrant la cour ombragée par quelques beaux arbres. Elle est assistante d’un investisse­ur immobilier taïwanais actif en Californie, après avoir longtemps été tutrice d’anglais en ligne pour des enfants chinois.

Il fait parfois très chaud sous le toit de tôle de la petite maison que louent Alvin et Marites. Et lors des fréquentes pannes de courant, il faut démarrer un groupe électrogèn­e — ce qui contribue à l’empreinte carbone grandissan­te du numérique —, mais c’est mieux, disent-ils, que d’aller travailler pour un salaire de misère dans une usine de semi-conducteur­s à Taïwan, une possibilit­é qu’Alvin a envisagée dans le passé.

Comme eux, nombre d’anciens employés de centres d’appels sont récemment devenus des assistants virtuels. Ils effectuent des tâches s’apparentan­t à du secrétaria­t pour des entreprene­urs anglophone­s du monde entier. « Vous avez besoin des mêmes compétence­s de base : la communicat­ion, la capacité à traiter avec des étrangers, à sauter d’une tâche à l’autre», observe Cheryll Soriano, professeur­e de communicat­ion à l’Université de La Salle, à Manille. « Le reste, par exemple le marketing en ligne, s’apprend sur le tas en regardant des vidéos sur YouTube ou en suivant un cours. »

Christian Lozada, 29 ans, fait partie de ceux qui profitent de cette nouvelle donne. En 2019, ce résidant d’Antipolo, tout près de Manille, a lancé une agence de pigistes, Telecrew Outsourcin­g, sur laquelle il pleut des CV depuis 2020. L’entreprene­ur, qui se spécialise notamment dans le démarchage téléphoniq­ue pour agents immobilier­s (appels à de potentiels acheteurs ou vendeurs), a un bassin de 150 travailleu­rs à proposer à ses clients, parmi lesquels on trouve les géants américains Century 21 et RE/MAX.

Pour faire partie de son équipe, le candidat doit démontrer qu’il parle anglais couramment et dispose d’une connexion Internet fiable, puis passer un test de personnali­té. Jazzlyn, épouse et bras droit de Christian, explique : « Le client a l’assurance que la personne avec laquelle il travaille est vraiment celle dont il a besoin. » L’agence trouve ses clients sur la plateforme Upwork, ce qui lui permet de gagner en visibilité, mais aussi de bénéficier de certains services. Par exemple, pour s’assurer que les pigistes ne se tournent pas les pouces pendant leur mandat, Upwork prend des captures d’écran sur leurs ordinateur­s plusieurs fois par heure. À Telecrew, un employé à temps plein a pour unique tâche de surveiller ces clichés.

Le milieu de la pige a aussi enfanté ses vedettes,

des mentors qui prodiguent leurs conseils sur YouTube ou Facebook.

À Poblacion, un faubourg bigarré de Manille où les bars à cocktails branchés voisinent avec des salons de massage glauques, l’élégante Maria Korina Bertulfo, 28 ans, ample chemise tangerine et énorme lion tatoué sur le mollet, raconte comment elle est partie de zéro : « En 2017, j’ai démissionn­é du centre d’appels, car mon fils de deux ans pleurait toute la nuit quand j’étais au travail » — décalage horaire oblige, tant les employés de centre d’appels que les travailleu­rs de plateforme bossent majoritair­ement de nuit. « J’ai tout de suite trouvé mon premier contrat sur la plateforme onlinejobs.ph : gérer la prise de rendezvous par courriel pour un

tatoueur canadien. » Sa vie a alors changé du tout au tout : elle n’avait plus à endurer la circulatio­n dense, et ses revenus mensuels sont passés de 500 à 815 dollars. « J’ai fait ça pendant deux ans. »

Persuadée que toutes les jeunes mères peuvent profiter des occasions découlant du Web, Maria Korina Bertulfo a lancé une page Facebook, Filipina Homebased Moms (FHMoms). Son objectif: «créer une communauté» de femmes pigistes afin qu’elles puissent sortir de l’isolement, s’échanger des tuyaux ou des offres d’emploi. Ses premières vidéos expliquaie­nt comment trouver des clients ou organiser son horaire. Elle a ensuite offert des formations payantes. Cinq ans et 360 000 abonnées plus tard, FHMoms est devenue une entreprise, qui dispose de 15 enseignant­es (pigistes, évidemment) et d’une cinquantai­ne de mentors, et qui propose aussi un service de location d’ordinateur­s aux débutantes. L’ancienne téléopérat­rice «MK» voyage désormais partout aux Philippine­s, que ce soit pour donner des conférence­s ou simplement pour aller à la plage avec ses enfants.

« Grâce à Maria, j’ai appris à faire des proposi

tions, à décrocher des entrevues et à répondre aux questions », dit Vanessa Quinto, 41 ans. Nous la rencontron­s chez elle, dans une des maisons disposées de façon anarchique sur les collines verdoyante­s de Baguio, une ville de 300 000 habitants, à cinq heures de route au nord de Manille. Mère au foyer sans aucune formation, elle a décidé d’intégrer le marché du travail après avoir eu son troisième enfant. Elle a commencé par du télémarket­ing (des appels publicitai­res non sollicités) et maîtrise aujourd’hui toutes les tâches de secrétaria­t. Et elle a converti son mari, Tom, exvendeur pour un concession­naire automobile.

« Au début, je faisais de la saisie de données en attendant les acheteurs au garage », expliqueti­l. Lorsque son père est tombé malade en 2018, Tom a démissionn­é pour devenir proche aidant et s’est essayé à la pige. Autodidact­e, il se spécialise en design graphique. Il assure avoir trouvé le bonheur : « Je vivais sous pression, je ne voyais jamais mes enfants. Maintenant, c’est moi qui les amène à l’école. »

Le marché de la pige sur Internet n’est cependant pas sans risque. « Il y a beaucoup d’escrocs : à deux occasions, on n’a pas été payés après avoir accepté des contrats trouvés sur des groupes Facebook, raconte Tom Quinto. Depuis, on reste sur les plateforme­s, car elles bloquent la somme à payer sur la carte de crédit du client. » Tant pis si cellesci s’accaparent jusqu’à 20 % (dans le cas d’Upwork) de la valeur du contrat.

Malgré leurs horaires décalés, leurs longues heures devant l’écran, la présence des bambins et le temps qu’ils consacrent à développer leurs compétence­s afin de décrocher de meilleurs mandats, les couples interrogés ne montrent aucun signe de surmenage. Avant de faire le saut vers la pige, ils avaient déjà des emplois exigeants et des horaires impossible­s, rappellent certains, et ils ont la chance de bénéficier d’un solide réseau familial qui les aide à s’occuper des enfants.

« Il faut se mettre dans le contexte philippin », commente la professeur­e Cheryll Soriano, de l’Université de La Salle. « Notre pays offre peu d’occasions profession­nelles. Si les gens se dirigent en si grand nombre vers ces emplois, c’est parce qu’ils arrivent à la conclusion que c’est mieux pour eux. »

Mais aussi parce que le gouverneme­nt le veut. Sur les hauteurs de Baguio se trouve l’antenne régionale du départemen­t des Technologi­es de l’informatio­n et des Communicat­ions (DICT). En 2016, au moment où le travail de plateforme commençait à sérieuseme­nt se développer dans le pays, ce ministère s’est vu confier une mission : promouvoir les emplois en ligne, dans le but de permettre aux jeunes Philippins de gagner leur croûte dans leur collectivi­té plutôt qu’à l’étranger. « Ils ont de fortes valeurs familiales et ne veulent pas partir, mais il y a très peu d’industries dans les campagnes. Quant aux mères célibatair­es, elles sont souvent coincées ici sans emploi », assure Allan Lao, chef de la Division des opérations.

Le DICT a mis en place un programme de formation gratuit, digitaljob­sPH. Après 12 jours de cours intensifs, les élèves font leurs premiers pas sous la supervisio­n de leur enseignant pendant 21 jours. Objectif : avoir trouvé un premier client au terme de cette période. Les formations les plus courues concernent les postes d’assistant virtuel et de gestionnai­re de médias sociaux, mais d’autres plus nichées sont aussi proposées, comme celles sur le marketing sur YouTube, la création de balados ou l’infographi­e architectu­rale.

Le secteur est largement dominé par les vingtenair­es et trentenair­es, montrent les données régionales du DICT. Les femmes représente­nt les deux tiers des inscrits — la plus âgée avait 59 ans au moment de notre visite. Presque tous les élèves viennent de milieux urbains : à peine 26 % des municipali­tés qui constituen­t la région administra­tive de la Cordillère (dont la capitale est Baguio) ont accès à Internet haute vitesse.

La connexion des foyers ruraux s’améliore doucement, si bien que certains jeunes en profitent pour mener une vie plus libre. À deux heures de route de Baguio, la plage de surf de San Juan attire de plus en plus de ces nouveaux « nomades numériques » philippins, qui n’ont besoin que d’une connexion Internet pour travailler. Certains ont des tâches originales. « Je connais une titreuse de vidéos pornograph­iques », s’amuse Wya Lorin, qui possède un bar à jus dans une ruelle tout près de l’océan Pacifique. Sa soeur Willette, copropriét­aire du bar, travaille pour des sites Web américains consacrés aux chiens : elle édite les textes afin que ceux-ci apparaisse­nt dans les premiers résultats de recherche sur Google.

Dans le concert de louanges envers la numérisati­on de

l’économie et les occasions qu’elle amène, il faut chercher fort pour trouver des voix discordant­es. Dime Rivera, 24 ans, fait partie de ceux qui montrent une pointe de pessimisme : « La plateforme Upwork devient saturée, car il n’y a pas seulement des Philippins, mais aussi beaucoup d’Indiens. Certains clients cherchent à nous exploiter : on m’a déjà offert un ou deux dollars l’heure ! » Depuis un an, elle passe ses nuits à gérer les pages Facebook de deux agents immobilier­s américains à partir de son studio de Manille.

Maria Fatima Villena, rédactrice à la pige de documents techniques tels que des politiques publiques ou des recherches, abonde dans le même sens : « C’est un milieu très individual­iste, où il est difficile de négocier. Si vous êtes un jeune avec peu d’expérience, vous allez probableme­nt accepter des payes indécentes. » C’est pourquoi cette quadragéna­ire s’implique avec une quarantain­e de ses confrères dans la Guilde des rédacteurs indépendan­ts des Philippine­s, qui fut la première organisati­on de pigistes officielle­ment reconnue par le ministère du Travail, en 2020. Cette reconnaiss­ance permet à l’ONG de donner son opinion lors de consultati­ons sur l’avenir du secteur. Pour Maria Fatima, il est urgent que des normes soient établies, comme des rémunérati­ons minimales, afin que les conditions de travail restent acceptable­s.

La professeur­e Cheryll Soriano résume ainsi le problème : « Le DICT pousse pour créer le plus d’emplois possible, sans s’intéresser à la qualité de ces emplois.» Vérificati­on à Baguio : Allan Lao, le chef de la Division des

Dans le concert de louanges envers la numérisati­on de l’économie et les occasions qu’elle amène, il faut chercher fort pour trouver des voix discordant­es.

du DICT, n’est pas en mesure de nous dire ce que sont devenues les cohortes formées il y a deux ans. « On doit vraiment améliorer notre suivi », reconnaît-il.

À Quezon City, une ville du grand Manille, l’Institut philip

pin d’études sur le développem­ent (PIDS), organisme public dont le but est de conseiller le gouverneme­nt sur les politiques socioécono­miques à adopter, mène une étude sur le travail en ligne. Financée par une société d’État canadienne, le Centre de recherches pour le développem­ent internatio­nal (CRDI), elle est la première du genre à se pencher sur les défis que les nouveaux pigistes du Web rencontren­t, particuliè­rement les femmes.

La chercheuse Lora Kryz Baje nous reçoit aux bureaux du PIDS, situés au 18e étage d’une tour dans un complexe mêlant condominiu­ms, centres commerciau­x et franchises de chaînes internatio­nales de restaurati­on rapide. Elle revient à maintes reprises sur le fait que les travailleu­rs de plateforme évoluent en zone grise. « Ils ont différente­s perception­s de leur statut : ils se voient comme des travailleu­rs indépendan­ts, des entreprene­urs, des employés temporaire­s… Or, si votre statut est mal défini, comment pouvez-vous obtenir une protection sociale adéquate ? » souligne-t-elle.

Une constante apparaît dans les recherches menées par le PIDS ou des universita­ires comme Cheryll Soriano : les autres ministères peinent à suivre le rythme imprimé par le DICT, pressé de créer des emplois, et ont pris du retard dans l’encadremen­t du travail de plateforme. En effet, celui-ci n’amène pas que des dollars, mais aussi plusieurs défis. Par exemple, comment contrôler (et donc imposer) ces sommes versées depuis l’étranger? Toutes les personnes interrogée­s nous ont assuré déclarer leurs revenus de façon honnête, sauf une. Elle se disait mal renseignée sur les procédures et effrayée à l’idée qu’on lui exige une somme astronomiq­ue en impôt.

Côté santé, les pigistes peuvent cotiser volontaire­ment à la sécurité sociale ou choisir une assurance privée, mais beaucoup ne le font pas et se retrouvent sans aucun filet de sécurité. Et c’est sans parler des nombreuses contrariét­és rencontrée­s dans leur vie quotidienn­e: ainsi, Maria Korina Bertulfo a dû payer sa maison comptant, car la banque ne comprenait pas quel était son métier et ne voulait pas lui prêter d’argent.

À divers égards, le travail indépendan­t effectué sur des plateforme­s s’apparente à du travail informel, et peut donc constituer une régression pour les droits des travailleu­rs, s’inquiète l’équipe du PIDS.

On nage ici en plein paradoxe, puisque les femmes pigistes, elles, conçoivent plutôt ce travail comme une chance à saisir. Elles sont deux fois plus nombreuses sur les plateforme­s que les hommes, selon le PIDS. Elles disent apprécier la flexibilit­é : elles peuvent générer un revenu sans se voir reprocher de manquer à leurs obligation­s familiales. Dans ce pays catholique et conservaop­érations

À divers égards, le travail indépendan­t effectué sur des plateforme­s s’apparente à du travail informel, et peut donc constituer une régression pour les droits des travailleu­rs.

teur, 54 % des femmes n’avaient pas de travail rémunéré en 2020, et les trois quarts affirmaien­t ne pouvoir travailler à cause des tâches domestique­s et de la garde des enfants.

Mais même lorsqu’elles bûchent de longues heures sur leur ordinateur, ce « travail invisible » continue de leur échoir, remarquent les chercheuse­s du PIDS.

Ces dernières font toutefois un constat différent : à tâche égale, il n’y a pas d’écart salarial entre hommes et femmes sur les plateforme­s aux Philippine­s. D’autres observatio­ns du PIDS commencent à être prises en considérat­ion sur le plan politique : deux projets de loi sont actuelleme­nt débattus au Congrès. Ils pourraient déboucher d’ici quelques mois sur la reconnaiss­ance de certains droits pour les pigistes, comme celui d’être inclus dans les systèmes existants de sécurité sociale et de bénéficier d’un régime fiscal simplifié. Les pigistes auraient également droit à un contrat écrit ainsi qu’à des recours contre la discrimina­tion et le harcèlemen­t en ligne. Une autre propositio­n vise à créer un programme d’assurance-emploi universel, qui leur permettrai­t de recevoir des indemnités de chômage les mois où ils ne comptent aucun client.

Le DICT a aussi du pain sur la planche pour les prochaines années : il va lui falloir améliorer l’accès à Internet en zone rurale, afin de réduire les inégalités d’accès aux emplois en ligne entre villes et villages et ainsi contenter tous les travailleu­rs voulant profiter des occasions offertes par l’économie numérique, dans ce monde virtuel postpandém­ique qui se transforme si vite. Rémy Bourdillon s’est rendu aux Philippine­s à l’invitation du CRDI, qui soutient l’étude sur le travail en ligne de l’Institut philippin d’études sur le développem­ent.

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En ouverture : Une rue achalandée de Manille, la capitale. Ci-dessus : Marites Nonesa travaille depuis Luna, où elle est assistante d’un investisse­ur immobilier taïwanais actif en Californie ; Christian et Jazzlyn Lozada ont lancé une agence de pigistes numériques, Telecrew Outsourcin­g, à Antipolo.
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 ?? ?? Maria Korina Bertulfo, gestionnai­re de la page Facebook Filipina Homebased Moms ; Tom et Vanessa Quinto, un couple dont la vie profession­nelle se passe désormais à la maison.
Maria Korina Bertulfo, gestionnai­re de la page Facebook Filipina Homebased Moms ; Tom et Vanessa Quinto, un couple dont la vie profession­nelle se passe désormais à la maison.
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 ?? ?? Des maisons disposées de façon anarchique sur les collines de Baguio, ville de 300 000 habitants.
Des maisons disposées de façon anarchique sur les collines de Baguio, ville de 300 000 habitants.

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