L’actualité

Les nouveaux maires

- par Guillaume Bourgault-Côté

On aurait dit une démonstrat­ion arrangée avec le fameux gars des vues. À 10 h le 13 septembre 2022, les maires et mairesses du caucus des grandes villes de l’Union des municipali­tés du Québec (UMQ) réclamaien­t au prochain gouverneme­nt des fonds pour mieux les aider à « répondre dès maintenant à l’urgence climatique ».

À 16 h, François Legault fermait la porte à cette demande d’un « pacte vert » chiffré à deux milliards par année. Mais vers 17 h, la nature s’immisçait dans le débat. La grande région de Montréal a vu s’abattre sur elle l’équivalent d’un mois de pluie (de 70 à 110 mm, selon les endroits) en moins de deux heures. Propulsés par des geysers d’eau, des couvercles d’égout sont allés valser entre ciel et terre. Des dizaines de sous-sols ont été inondés.

Ceci expliquant peut-être cela, François Legault laissait entendre quelques jours plus tard que son gouverneme­nt serait finalement ouvert à discuter avec les villes quand les fonds du Plan pour une économie verte seront épuisés.

Répondre à l’urgence climatique, c’est l’un des points qui rassemblen­t les maires Bruno Marchand (50 ans, de Québec), Stéphane Boyer (34 ans, de Laval), Catherine Fournier (30 ans, de Longueuil), Évelyne Beaudin (34 ans, de Sherbrooke) et Julie Bourdon (39 ans, de Granby).

En un an, ces recrues ont déjà laissé une empreinte distinctiv­e en projetant la politique municipale au-delà du déneigemen­t, du ramassage des ordures, des nids-de-poule à colmater ou de tout ce qui relève de la voirie. « On est entrés dans une ère où les villes sont réellement — pas juste sur papier — des gouverneme­nts de proximité, avec des orientatio­ns politiques claires », affirme Catherine Fournier.

Au coeur de leur vision, on trouve notamment les grands thèmes de l’adaptation aux changement­s climatique­s, de l’aménagemen­t du territoire, de la place de l’auto en ville, de la participat­ion citoyenne… La trame de fond : aménager des villes saines pour l’avenir.

Ailleurs au Québec, d’autres maires s’inscrivent eux aussi dans cette mouvance qui doit beaucoup à la vision urbanistiq­ue du parti Projet Montréal (celui de Valérie Plante) ou à celle développée par Maxime PedneaudJo­bin, à Gatineau, de 2013 à 2021. Mais la taille des villes que le quintette représente, la clarté des idées que ces hommes et femmes expriment, le dynamisme qu’ils insufflent en politique municipale les distinguen­t et en font les principale­s têtes d’affiche de la nouvelle génération d’élus.

Ils ont chacun rapidement imprimé leur marque — et parfois conjointem­ent, comme lorsque Catherine Fournier et Stéphane Boyer ont uni leurs forces pour organiser en août un sommet de l’habitation visant à trouver des solutions à la crise du logement. Au terme de cette rencontre, l’ensemble des villes participan­tes s’est formelleme­nt engagé à mettre en oeuvre différente­s mesures (ici, réfléchir à une taxe sur la spéculatio­n foncière ; là, élaborer une stratégie de développem­ent du logement social et abordable; ailleurs, créer une commission d’étude sur le logement).

À Sherbrooke, la mairesse Beaudin a entamé une réforme majeure de la gouvernanc­e de la Ville en instituant le Secrétaria­t à la participat­ion citoyenne, sur lequel elle fonde de grands espoirs. Même démarche à Longueuil, où l’Office de participat­ion publique a été créé dans le but d’« accroître la confiance à l’égard des institutio­ns démocratiq­ues municipale­s ».

Un nouveau Code de l’urbanisme a été adopté à Laval pour « encadrer plus intelligem­ment le développem­ent de la Ville et mieux protéger l’environnem­ent ». C’est ce qu’a fait très concrèteme­nt l’équipe de Julie Bourdon à Granby, en choisissan­t de protéger près de 75 % de la superficie d’un terrain de trois millions de pieds carrés comprenant plusieurs milieux humides. La précédente équipe municipale l’avait acquis dans le but d’en faire… une zone industriel­le.

Pour rappeler aux élus de la Ville de Québec les « attentes des génération­s à venir à l’égard des enjeux liés au développem­ent durable et à la crise climatique », Bruno Marchand a quant à lui fait ajouter une place symbolique à la table du comité exécutif. Une « chaise du temps » décorée par des enfants y trône, comme un rappel que les décisions d’aujourd’hui auront des conséquenc­es demain.

« Dans cette gang-là, tout le monde est préoccupé par la crise climatique. Tout le monde », affirme Bruno Marchand en parlant de ses collègues de Laval, Longueuil, Sherbrooke et Granby. «Mais ça va au-delà de nous, aussi. Le vent a tourné à ce sujet, parce que les municipali­tés vivent les défis et les effets. On est plusieurs à sentir qu’on doit accomplir une mission, réaliser quelque chose de plus grand que soi. Les 1 100 maires du Québec ne sont pas tous rendus à la même place, mais il y a un mouvement. »

Depuis son arrivée en poste, Bruno Marchand dit avoir observé un « profond changement dans la conscience citoyenne par rapport à cet enjeu. Il y a eu une nette progressio­n.» À preuve: quand la Ville de Québec a annoncé des restric

tions sur l’arrosage à domicile, « il n’y a pas eu de tollé, rappelle-t-il. Les gens comprennen­t qu’il y a des impacts à gaspiller l’eau. »

La multiplici­té des phénomènes météo extrêmes rend la discussion très concrète, ajoute Stéphane Boyer. « Chez nous, à Laval, il faut réparer les berges qui s’érodent, le sol qui s’écroule sous l’asphalte, adapter nos usines de filtration d’eau pour éviter d’être obligés de déverser des eaux usées dans nos rivières — les besoins sont là, maintenant. Ce n’est pas une vision futuriste, c’est la réalité d’aujourd’hui. »

L’épisode du 13 septembre n’était pas le premier choc de visions entre le gouverneme­nt Legault et ces élus. Au point que certains voient le groupe d’élus municipaux progressis­tes comme une sorte d’opposition officieuse. Toutefois, si « les maires jouaient à être l’opposition avec le gouverneme­nt, ça n’irait pas», estime Bruno Marchand, qui a pourtant eu des accrochage­s médiatisés avec les élus caquistes, notamment sur le dossier du tramway. « On n’est pas à la solde du gouverneme­nt, mais on n’est pas contre lui non plus. C’est une danse », dit-il.

« Ils ne peuvent pas être systématiq­uement l’opposition au gouverneme­nt, le monde municipal est trop dépendant de Québec », acquiesce l’ancien maire de Gatineau Maxime PedneaudJo­bin. Mais pour Catherine Fournier (qui évoque la nécessité de maintenir un «dialogue» ouvert avec l’État), il y a maintenant un « rapport de force plus important » des villes avec Québec. « On arrive à mettre des enjeux au coeur des discussion­s politiques, à faire front commun autour de ça. »

En mai, plusieurs ont ainsi vivement réagi à une déclaratio­n du ministre des Transports d’alors, François Bonnardel, qui se demandait : « Je suis qui, moi, pour dire à une jeune famille : “Vu que la mode est à la densificat­ion, tu vas aller vivre dans une tour de 12 étages” ? »

S’il se posait vraiment la question, le ministre n’a pas manqué de réponses. La densificat­ion n’est pas une « mode », ont rétorqué des élus qui avaient visiblemen­t déjà réfléchi en profondeur à cette problémati­que. Pour eux, le vaste sujet de l’aménagemen­t du territoire — qui touche l’étalement urbain, le logement, la mobilité durable… — ne peut se résumer à une note de bas de page des projets de développem­ent : elle est fondamenta­le pour l’avenir des villes et du Québec. « C’est un enjeu qui a pris beaucoup d’importance récemment, et qui a motivé bien des jeunes à se lancer en politique municipale », croit la mairesse Beaudin.

« Ça revient à se demander ce qu’on veut laisser pour les génération­s futures, poursuit Julie Bourdon. Comment développer nos villes, comment maintenir nos milieux naturels, comment penser le développem­ent économique… »

Il y a un peu de tout cela dans Des quartiers sans voitures, un essai publié cette année par Stéphane Boyer (Éditions Somme toute). Le maire de Laval y propose ainsi un « changement de culture » pour sortir graduellem­ent du tout-àl’auto et arriver à créer des « milieux de vie où les gens seraient plus en santé, les rues plus animées et la qualité de vie meilleure ». Un pas de géant dans nos villes où la voiture est une « norme culturelle », selon son expression.

En attendant cette transforma­tion, il y a sur la table des cinq maires et mairesses de grands défis. Julie Bourdon rappelle que les villes composent avec des enjeux sociaux de plus en plus présents (crise du logement, itinérance…). L’argent manque partout, pour tout, et les villes demeurent largement dépendante­s de l’impôt foncier (ou de fonds liés à des programmes hyper-normés, dénonce le quintette). La pénurie de main-d’oeuvre est criante — Catherine Fournier dit avoir affiché trois fois le même poste pour recevoir une seule candidatur­e.

Mais « tout ça nous force à trouver des idées en dehors de la boîte, affirme Stéphane Boyer. C’est une motivation à ne pas juste gérer le quotidien en demandant des chèques à Québec ou à Ottawa : il faut aller plus loin et sortir des sentiers battus. »

LA TAILLE DES VILLES QUE LE QUINTETTE REPRÉSENTE, LA CLARTÉ DES IDÉES QUE CES HOMMES ET FEMMES EXPRIMENT, LE DYNAMISME QU’ILS INSUFFLENT EN POLITIQUE MUNICIPALE LES DISTINGUEN­T ET EN FONT LES PRINCIPALE­S TÊTES D’AFFICHE DE LA NOUVELLE GÉNÉRATION D’ÉLUS.

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