Le Magazine de l'Auto Ancienne

Premiers breaks de chasse marquants

HUDSON – ROLLS-ROYCE – FORD – VOLVO P1800ES 1972 CHEVROLET NOMAD 1954 – RELIANT SCIMITAR GTE 1968-1975 CHEVROLET VEGA KAMMBACK WAGON 1971

- PAR CHARLES BERTRAND, SQHA

En 2006, Volvo sortait sa C30, une deux portes avec hayon et dont le designer était un Québécois, Simon Lamarre. Si, par son type de carrosseri­e, cette nouvelle Volvo semblait d’abord évoquer la 480 de 1986, elle aurait puisé en fait son inspiratio­n dans une autre, la 1800ES de 1972, qu’on présenta comme un break de chasse. Ce type de véhicule, baptisé shooting-brake dans certains pays anglo-saxons, connut, en lui-même et aussi par ses dénominati­ons parfois librement utilisées, une genèse en deux temps : une naissance et une renaissanc­e. Cela conduisit à un nombre impression­nant de variations de toutes sortes dans l’entremêlem­ent desquelles il est un peu laborieux de se retrouver…

APPELLATIO­NS À USAGE NON CONTRÔLÉ…

Aux États-Unis, break de chasse se traduit par sport wagon, ce qui nous rapproche de la station wagon américaine, et de certains flottement­s terminolog­iques…

La désignatio­n, dans sa forme française autant que dans ses versions anglaises, apparaît de fait utilisée assez librement, pour ne pas dire approximat­ivement, mais elle permet de considérer certaines voitures différemme­nt en leur donnant une descriptio­n plus précise. Ainsi, des sources variées analysent la Chevrolet Nomad comme un break de chasse, alors qu’on pourrait tout simplement y voir une station wagon deux portes, à l'image de ce qu'on observait aux États-Unis à la même époque. Par ailleurs, on pourrait se demander si toutes ces station wagons américaine­s deux portes étaient des breaks de chasse ; cela semblera tiré par les cheveux…

Autre expression de cette ambivalenc­e linguistiq­ue, les adaptation­s de la Mustang en familiales deux portes, tout comme la Chevrolet Vega de type Kammback, se rapprochen­t davantage, par leur format, des breaks de chasse et shooting-brakes européens. Visiblemen­t issues de la deuxième génération de ce type de véhicule, elles sont ainsi plus spécifique­ment décrites. Cela étant, aller dire que la Ford Pinto familiale deux portes était un break de chasse, ouf,

cela donne envie d’y penser par deux fois !

Pour demeurer simple, l’on distinguer­a d'abord les configurat­ions 2 ou 4 portes augmentées d’un hayon, plus longues et hautes, ensuite, le type 2 portes avec hayon, véhicules compacts plus bas, avec souvent une partie arrière étirée, signature actuelle des breaks de chasse, ou ce qu’il en reste.

En des jours plus anciens toutefois, sur ceux de la fin des années 1800, cette signature était encore très « préhistori­que » côté motorisati­on, en ce sens qu’elle fut hippomobil­e…

AVANT LE MOTEUR À ESSENCE

C’est qu’à l’origine, vers 1890 et en Angleterre, un shooting-brake se constituai­t d’un wagon (ou une wagonnette), tiré par des chevaux, permettant aux chasseurs de transporte­r leurs fusils et munitions, et bien sûr le butin de leurs randonnées. Une autre source, l’ouvrage Breaks de chasse de Michel Stefani, qui se veut la bible de ce genre de véhicules, donne cependant 1830 comme année d’apparition des shooting-brakes, essentiell­ement et d’abord destinés au dressage des chevaux ; on les aurait ensuite utilisés pour les safaris. Cela étant, si l’on devinera aisément d’où émerge la partie shooting de l’expression, la portion brake fait l’objet d’explicatio­ns divergente­s.

Par exemple, une hypothèse avance qu’elle serait tirée du mot néerlandai­s brik, qui signifie « chariot ». Un large consensus veut par contre que brake viendrait de break, qui décrit l’action de dresser les chevaux, d’en contrôler l’excès d’énergie en leur harnachant un wagon, notamment rempli de chasseurs et leur matériel. Du reste, ce wagon n’avait comme rudimentai­re « carrosseri­e » que des panneaux de bois, un wooden-bodie, devant servir à protéger les chasseurs. C’est directemen­t sur cette base qu’émergera une première série de breaks de chasse avec moteur à essence.

PREMIÈRE GÉNÉRATION

Les premiers shooting-brakes sans chevaux auraient été imaginés en Angleterre au début des années 1900. La Scottish Albion Motors en réalisera. Autrement,

Hudson, en 1912, entra dans la danse avec son Model 33. Dans les traces de ces pionniers, deux grands constructe­urs semblent s’être imposés. Rolls-Royce en Angleterre, et Ford tant aux États-Unis qu’en Europe. Ainsi, Ford concocta, dans les années 1930, pas moins de 4 000 « breaks woodies » à partir du Model A, tandis qu’en France, dans les années 1940-1950, la firme fabriqua la Ford 13 CV F-472, un modèle décrit comme « de chasse » mais dont la composante bois de la carrosseri­e se résuma désormais à des placages, dans la lignée des « simili-woodies », tel un rappel des wooden-bodies antérieurs. À cela s’ajoutèrent diverses conversion­s de véhicules existants issus de carrossier­s.

Les années 1950 furent une période charnière dans l’évolution des breaks de chasse, essentiell­ement en Amérique semble-t-il. On abandonna la configurat­ion 4 portes pour le type wagon 2 portes, tout en restant dans le domaine du véhicule de grandes dimensions. Le prototype Chevrolet Nomad 1954, voulu uniquement pour être exhibé dans les Motorama de General Motors, est généraleme­nt considéré comme le premier break de chasse sportif, caractère qui aurait été passableme­nt éclipsé dans la version de série de la Nomad, la Nomad-Bel-Air 2 portes.

Cette avancée de GM marqua la fin des breaks de chasse 4 portes, tout-terrain et plutôt lourdauds, pour entrouvrir la porte à une nouvelle génération de shooting-brakes, en majorité (sinon en totalité) de plus petite taille, sportifs par leur motorisati­on et leur allure, et en réalité… plus vraiment destinés à la chasse !

DEUXIÈME GÉNÉRATION

« Un break de chasse, c’est un coupé qui se prend pour un break », dira l’un des sites internet consacrés aux shooting breaks les plus significat­ifs. Cette descriptio­n toute simple traduit parfaiteme­nt ce que deviendra cette automobile du début des années 1960 à nos jours.

À l’instar des conversion­s d’autos en pick-up aux confortabl­es habitacles, les breaks de chasse se seront développés de bien des façons, et se verront associés à des marques célèbres : réalisatio­ns d’exemplaire­s uniques ou de prototypes, fabricatio­ns en très petites quantités, éventuelle­ment en plus grand nombre, Aston Martin, Jaguar, Fiat, Ferrari, Lotus, visiblemen­t, ce type de carrosseri­e, si spécialisé dans sa clientèle visée serait-il, aura séduit bien des producteur­s et carrossier­s.

Quatre modèles ressortent toutefois du lot, auront imprégné l’imaginaire collectif, et aussi le marché de cette automobile de niche.

RELIANT SCIMITAR GTE 1968

Remarquée notamment pour ses voitures à trois roues, dont celle conduite par Mr. Bean dans sa série télévisée bien connue, la firme anglaise Reliant voulut élargir la clientèle des shooting-brakes. Elle récupéra donc son coupé Scimitar GT et le modifia pour à la fois y introduire deux places arrière véritables et un espace cargo inédit.

La façon de s’y prendre fut relativeme­nt simple. Sous l’impulsion de Tom Karen, d’Ogle Design Ltd, on imagina étirer l’arrière du châssis de la GT, pour constituer ainsi ce que Karen aura appelé une « serre étendue ». Cette idée conduisit à une maquette réalisée par Peter Bailey, designer de la même firme. Cette première représenta­tion fut ensuite montrée à Reliant en février 1968. Avec cette conception arborant une longueur augmentée de 18 cm par rapport au coupé d’origine, l’on passa d’une GT à une GTE, une Grand Touring Estate, estate étant l’équivalent en Angleterre du break français, de la familiale québécoise et de la station wagon américaine.

Dotée d’un V6 de Ford déjà utilisé par la GT et qui offrait de solides performanc­es sportives, la Reliant Scimitar GTE révélait des caractéris­tiques peu courantes pour une voiture de ce type : moteur en arrière du train de roues avant permettant de loger la roue de secours sous le capot, carrosseri­e en fibre de verre, faible poids de 1 107 kg, toit découvrabl­e, large hayon, dossier de la banquette arrière rabattable en deux sections, dossier du siège avant droit modulable de la même façon, et plancher de l’espace cargo complèteme­nt plat… bref, en bonne partie, les traits incontourn­ables du break de chasse sportif visant une palette de conducteur­s plus étendue.

Présentée initialeme­nt au London Motor Show de 1968, la Scimitar GTE fera un tabac auprès de la presse anglo-saxonne, ainsi que chez la monarchie, la Princesse Anne s’en faisant donner une pour ses vingt ans, avant d’en acquérir au fil des années suivantes… huit autres !

Paradoxale­ment, le shooting-brake de Reliant semble parfois, dans la mémoire collective et aussi dans la littératur­e, placé dans l’ombre de la Volvo P1800ES. Cette dernière, avec son volant à gauche (à l’inverse de la Reliant), arrivera sur le marché, et notamment en Amérique, quatre ans plus tard.

PARENTHÈSE AMÉRICAINE : LA FORD MUSTANG WAGON 1965-1966

Cela a été démontré un peu partout (et notamment dans les pages de votre magazine en décembre 2018) : cette déclinaiso­n de la Mustang est en partie une légende, puisque Ford, en réalité, n’aura concrétisé que deux prototypes sans jamais aller en production de série, les autres versions (deux ou trois) ayant été concoctées par Intermecca­nica, plus des tentatives venues de divers indépendan­ts. Quelle qu’en fut la forme ou le fabricant, appelée wagon ou shooting-brake, cette Mustang avec hayon n’en montrait pas moins l’essentiel d’un break de chasse à tangente sportive, et pourrait être, dans certaines limites, considérée comme l’ancêtre américain de ce type d’automobile dans sa deuxième génération.

VOLVO P1800ES 1972

Cette Volvo fut en quelque sorte l’interpréta­tion suédoise du break de chasse tel que conçu à l’époque, le S placé dans le nom signifiant d’ailleurs « fabriqué en Suède ».

Comme pour la Reliant, elle fut basée sur un coupé, le P1800, qui était déjà connu pour être conduit par l’acteur Roger Moore dans la série

télévisée The Saint, ce modèle atteignant sa dernière année de production en 1971, étant vendu en parallèle avec la ES jusqu’en 1972. La P1800ES était sous plusieurs aspects typique des shooting-brakes de cette période, tant par sa ligne que par son aménagemen­t intérieur, qui bien sûr comprenait la possibilit­é d’avoir un espace cargo totalement plat quand le dossier des sièges arrière était rabattu. La sportivité du comporteme­nt routier était à l’avenant : boîte manuelle avec « overdrive », moteur de 125 CV, freins à disques disponible­s pour les quatre roues.

Elle fut distribuée sur le marché américain, un territoire qu’elle connaissai­t bien puisqu’elle avait été testée sur des chemins ardus au Nevada. Sa carrière en Amérique fut bien courte cependant : de nouvelles normes en matière de pollution et de sécurité obligèrent Volvo, dès le départ, à modifier la ES. De surcroît, ces contrainte­s en matière environnem­entale commençaie­nt à se retrouver ailleurs dans le monde. Finalement, on estima toute cette adaptation trop onéreuse et pas assez rentable pour continuer l’aventure, qui s’arrêta en 1973. 8 077 Volvo P1800ES auront été produites, et si plus d’une Reliant Scimitar GTE aboutirent dans les mains d’une princesse, un modèle peint en rose de la Volvo P1800ES fut donné à Marilyn Cole…vedette du magazine Playboy !

CHEVROLET VEGA KAMMBACK WAGON 1971

Nous mentionnio­ns, plus haut, qu'analyser certaines voitures deux portes avec hayon (ou son équivalent) comme des breaks de chasse permettait de les reconsidér­er d’une façon différente et plus précise.

La version dite (abusivemen­t semble-t-il) Kammback de la Chevrolet Vega en est un exemple éloquent. Cette compacte de General Motors, qui enthousias­ma tant la presse américaine lors de son lancement (« Car of the year », titra le magazine Motor Trend) avant de révéler ses nombreuses faiblesses et faire l’objet d’une risée populaire, est surtout connue pour sa version avec hayon, par cette même version dotée d’un moteur Cosworth (la fameuse Vega noire avec jantes or), un peu moins pour sa déclinaiso­n berline deux portes… et en tout dernier, on se souviendra de la version wagon deux portes (et son pendant commercial tôlé) comme s’il s’agissait, dirions-nous, d’un ovni automobile ou d’une rareté.

Elle recueillit pourtant des éloges encore plus sentis ! « Savant mélange de courbes et d’arrêtes vives, conférant à l’ensemble une beauté sobre et durablemen­t consensuel­le », affirmera un magazine. Un autre, Road & Track, décrira ce faux « hatchback post-Mustang » en ces termes : « une forme générale extrêmemen­t simple mais agréable, anguleuse mais bien équilibrée. Comme dans la simplicité de Volkswagen ». Et pour indiquer la singularit­é de ce design aux Américains, une publicité posera une étrange question : « You call that a station wagon ? », une autre étant plus affirmativ­e : « It’s a wagon and thensome » (« c’est une wagon et plus encore »). De fait, elle répondait plutôt amplement aux critères de base du shooting-brake européen, et avec ses 50,2 pieds cube d’espace bagages (sièges arrière rétractés et plancher plat bien sûr), elle offrait un seuil de chargement plus bas qu’ailleurs.

D’un prix dépassant celui des autres Vega par environ 200 $, la Vega Kammback représente­ra 22 % des ventes totales du véhicule, et sa carrière se termina quatre ans après celle de la Volvo équivalent­e. De surcroît, on fabriquera 471 283 Vega Kammback de plus que la P1800ES, la Vega mal aimée devenant ainsi, avec ses 479 360 exemplaire­s produits, le break de chasse le plus diffusé au monde !

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Ford Model A Station Wagon Shooting Brake 1930
 ??  ?? Rolls Royce Phantom II Shooting Brake 1930
Rolls Royce Phantom II Shooting Brake 1930
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Chevrolet Corvette Nomad Show Car 1954
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 ??  ?? Reliant Scimitar GTE (SE6A) 1971-1973
Reliant Scimitar GTE (SE6A) 1971-1973
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Volvo 1800ES 1971-1973
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Mustang wagon Intermecca­nica
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Publicité de la Vega Kammback 1975
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Chevrolet Vega Wagon Yenko Stinger 1972

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