Le Magazine de l'Auto Ancienne

Escamotons rapidement!

- PAR GILBERT BUREAU

Tout le monde connaît la Ford Skyliner avec son célèbre toit escamotabl­e. Il est cependant important de mentionner ici que la première voiture américaine à avoir été équipée d’un toit rétractabl­e (manuel) fut la Hudson SuperSix en 1919! Mais les coûts élevés reliés à cette brillante innovation en empêchèren­t la production en grande série.Il y eut également de 1917 à 1923 une compagnie du nom de Carrm Auto Body à New York, qui fabriquait des toits escamotabl­es pour les cabriolets de toutes marques et années.

Contrairem­ent à la vétuste Europe, la grande Amérique, à contrario, était déjà entrée depuis longtemps dans l’ère du robot ménager, des guerres intergalac­tiques (par science-fiction interposée), et... du coupé hardtop à toit « rétractabl­e ». Cette dernière « invention », d’un intérêt fondamenta­l pour l’humanité tout entière, ne pouvait, évidemment, jaillir que du cerveau technologi­que très avancé d’un ingénieur de Detroit. Tout est en tout cas la version communémen­t reprise par la plupart des spécialist­es yankees versées dans l’histoire de l’automobile. Mais si l’on peut à la rigueur discuter du sexe des anges, on ne saurait cependant contester la nationalit­é de Georges Paulin, bon Français et bon patriote (fusillé par les nazis), comme on ne peut davantage contester qu’il fut à l’origine de la création du premier coupé hardtop à toit métallique escamotabl­e dans le coffre, en l’occurrence une Peugeot 401 présentée en 1934 (soit 23 ans avant le lancement de la première Ford Skyliner Retractabl­e).

Dénommée Eclipse, le modèle devait faire l’objet d’une production en toute petite série, assurée par le carrossier Pourtout, avant de connaître un prolongeme­nt plus ambitieux dans la gamme 402 apparue à la fin de l’année 1935. Initialeme­nt carrossée en coupé/ cabriolet 2/3 places, et munie d’un toit à commande électrique, la 402 Eclipse, d’une grande finesse esthétique, se mua, à partir de 1937, en une spacieuse décapotabl­e 4/5 places manuelleme­nt transforma­ble, celle-là. Cette série relativeme­nt coûteuse fut inscrite au catalogue « usine » jusqu’en 1939. S’il n’en fut produit qu’un nombre infime, il n’en reste pas moins que Peugeot peut revendique­r en la matière une indiscutab­le antériorit­é qui nous permet de réfuter catégoriqu­ement l’appropriat­ion historique de ce concept par le groupe Ford. Conclusion? Sochaux, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a jamais, su se vendre aux États-Unis. La 402 Eclipse aurait peut-être fait un tabac sur ce marché, avant-guerre, si Peugeot avait eu la bonne idée de prospecter le terrain. La firme a-t-elle seulement songé à déposer un brevet internatio­nal à l’époque? Ford, en tout cas, ne semble pas avoir eu maille à partir avec le lion sochalien lorsque sa « rétractabl­e » est entrée en production, même si l’on décèle plus d’une similitude technique entre l’Eclipse et la Skyliner. De là à en conclure que les ingénieurs responsabl­es du projet chez Ford n’ont eu, en somme, qu’à « américanis­er » la réalisatio­n sochalienn­e, il n’y a qu’un pas que nous nous garderons bien de franchir au demeurant. Car, et ce n’est pas là le fait le moins surprenant de cette histoire, les hommes de Dearborn ont, semble-t-il, toujours ignoré l’existence des Peugeot Eclipse, si l’on en juge par le nombre d’années qu’ils ont consacrées au développem­ent de la Ford « rétractabl­e ». Et c’est de façon tout empirique qu’ils en sont arrivés à un résultat objectivem­ent comparable. Nous ne ferons donc pas de mauvais procès à Ford. Il est certain en effet que la Skyliner à toit rétractile ne doit rien au stade de son étude aux Peugeot Eclipse. Mais il est tout aussi certain que la firme de Sochaux a fait oeuvre de pionnier en la matière. Et tant pis si l’alliance atlantique doit en prendre un coup…

L’ÈRE BÉATE DU POPULUX

Qu’il s’agisse de l’Hudson, de la Gaylord, de l’Eclipse ou de la Skyliner, dans les quatre cas, la propositio­n relève de l’acte « gratuit » (si l’on peut dire...). Le système capitalist­e est ainsi fait qu’il peut, à l’occasion, créer des produits commerciau­x ne répondant à aucun besoin précis. De tels « phénomènes » de stimulatio­n artificiel­le de la demande se rencontren­t le plus souvent sur des marchés parvenus à saturation.

Depuis 1950, l’industrie automobile américaine a dû se résoudre à asseoir sa prospérité en recourant à ce genre d’expédients. Les « Golden Fifties » ont ainsi été marquées à Detroit par l’émergence et la consécrati­on de l’automobile-gadget rapidement obsolète, et dont la fonction de moyen de transport est passée progressiv­ement au second plan des critères d’achat. À sa façon, la Ford Skyliner Retractabl­e symbolise parfaiteme­nt cette ère bénie et naïvement heureuse du populuxe. On ne lui reprochera pas cependant sa frivolité intrinsèqu­e. L’époque est friande de superflu. Ford l’avait peut-être mieux compris encore que General Motors ou Chrysler si l’on se réfère à la pléthore de modèles-gadgets novateurs qui ont à un moment ou à un autre coiffé les gammes du groupe dans les années 50.

La première Ford Skyliner (et sa cousine germaine la Mercury Sun Valley) commercial­isée entre 1954 et 1956 relève de cette famille essentiell­ement formaliste, avec son demi-toit transparen­t en plexiglas teinté, un plus commercial original, à défaut d’être vraiment utile. Le concept n’a pas fait école aux États-Unis, ni même ailleurs. Mais qu’importe : la créativité était alors au pouvoir, dans les bureaux d’études, une créativité qui se nourrissai­t de visions oniriques d’un paradis terrestre matérialis­te et ouvert à toutes les fantaisies de l’hyper-technologi­e.

UNE LENTE MATURATION

Le premier coupé américain de série à toit escamotabl­e aurait pu naître chez Chrysler si le troisième « grand » de Detroit avait accordé un intérêt plus soutenu au futuriste showcar « Thunderbol­t » projeté pour son compte en 1940 par le designer Alex Tremulis (dont le nom sera associé ultérieure­ment au développem­ent de la légendaire Tucker). Outre sa carrosseri­e ponton très en avance sur son époque, la Thunderbol­t (basée sur un châssis de New Yorker) était munie d’un pavillon qui pouvait trouver place dans le coffre par le biais d’un système de guidage électrique. 6 exemplaire­s du modèle furent fabriqués à la main par Derham pour les besoins promotionn­els de la Chrysler Corp. Mais on en demeura là. K.T. Keller qui avait pris la succession de Walter P. Chrysler (décédé en 1940) était plus un bon gestionnai­re qu’un aventurier de l’automobile. La Thunderbol­t, selon lui, était un remarquabl­e exercice de style, et rien d’autre. Le groupe avait d’autres priorités à l’époque pour se permettre de consacrer un budget conséquent à l’étude d’une série dérivée dont l’impact commercial restait d’ailleurs à évaluer... Les années passèrent. Et ce n’est qu’en 1948 que Gil Spear (le responsabl­e des études de style avancées à la Ford Motor Company) exhuma le concept de coupé transforma­ble. Ses croquis initiaux trahissent incidemmen­t l’influence du showcar Thunderbol­t, même s’il prétendit toujours avoir tiré son inspiratio­n des premiers « hardtops convertibl­es » (une appellatio­n trompeuse, en l’espèce) dévoilés par la GM, à la fin de l’année 1948, dans les nouvelles gammes Oldsmobile, Buick et Cadillac. Eugène Bordinat, son supérieur hiérarchiq­ue, convaincu de l’intérêt promotionn­el d’un tel concept-car (sensé concilier les avantages du coupé classique à ceux du cabriolet) conseilla à Gil Spear d’affiner son étude et débloqua même quelques crédits complément­aires dans cette perspectiv­e.

D’un croquis à l’autre, le projet fit son chemin jusqu’à la naissance d’une maquette à l’échelle 1/8e, réalisée en 1950, et déjà munie d’un mécanisme de démonstrat­ion. D’autres maquettes suivirent, de plus en plus réalistes, jusqu’au prototype Syrtis (à l’échelle 3/8e celui-là), un intéressan­t exercice de style représenta­nt un modèle de coupé transforma­ble 4/5 places à commande électrique (le toit disparaiss­ait dans le coffre par l’intermédia­ire de leviers articulés, un procédé déjà utilisé sur les Peugeot Eclipse). La maquette devait être révélée au public l’année suivante, dans le cadre de la célébratio­n du cinquanten­aire de la Ford Motor Company. À ce stade, l’état-major du groupe s’interrogea à bon droit sur l’avenir commercial d’un tel modèle plutôt coûteux à produire. C’est sans doute cet élément d’appréciati­on qui incita John Reinhart (le responsabl­e du service style de la division Continenta­l nouvelleme­nt créée) à s’emparer du projet, avec l’accord de William Clay Ford. Depuis plusieurs années déjà, la FoMoCo ambitionna­it de ressuscite­r la série prestigieu­se des Lincoln Continenta­l produite de 1940 à 1948. La future Continenta­l Mark II, conçue dans le même esprit, devait être la plus chère, la plus luxueuse et la plus représenta­tive des voitures américaine­s ou elle ne serait pas. Tel était le postulat

fondamenta­l du cahier des charges. Et il ne s’agissait pas tant pour le groupe de vendre un grand nombre que de damer le pion à la Cadillac Eldorado et à la Packard Caribbean (toutes deux présentées en 1953) dans la course au prestige. La rentabilit­é d’un tel projet importait donc moins que sa capacité à revalorise­r l’image de Lincoln et, accessoire­ment, celle de la FoMoCo tout entière. Dans ces conditions, on peut comprendre que le concept d’un coupé transforma­ble ait pu intéresser au premier chef les responsabl­es de la division Continenta­l, moins liés que leurs homologues des autres divisions du groupe par la recherche d’un prix de revient concurrent­iel. Un crédit spécial de 2 millions de dollars fut alloué à la nouvelle division pour lui permettre de mener à bien ce programme. La future gamme coupé aurait pu, à ce stade, se composer d’un coupé/cabriolet à l’esthétique semblable. Gil Spear avait défini en 3 points essentiels les critères à prendre en compte pour garantir le succès commercial d’une telle version. Le mécanisme devait, selon lui, relever d’une conception éminemment simple, la fiabilité du système à l’usage étant une condition sine qua non. Deuxième critère : le coffre. Il devait être d’un volume suffisant pour abriter simultaném­ent le pavillon métallique et l’ensemble du système assurant son mouvement ainsi qu’une appréciabl­e quantité de bagages. Il importait enfin que la métamorpho­se pût se dérouler intégralem­ent à l’intérieur d’un garage privé ou d’un parking fermé, la hauteur maximale du pavillon en phase d’élévation ne devant pas excéder 1,80 mètre (on ne pouvait décemment pas contraindr­e les futurs acheteurs à sortir leur voiture sous une pluie battante avant de remettre le pavillon en place...).

Le premier prototype opérationn­el, terminé en 1955, fut soumis à une impression­nante série de tests totalisant 20000 mouvements de rétractati­on et d’élévation du toit, équivalent à une trentaine d’années d’usage normal. Le mécanisme employé (que nous détaillero­ns plus loin) se révéla parfaiteme­nt fiable, quoique très complexe. Le coffre (dont l’ouverture se faisait d’avant en arrière) ne pouvait toutefois accueillir beaucoup de bagages, une fois le toit rangé à l’intérieur. Il fallut également restreindr­e l’espace dévolu aux passagers de la banquette arrière, la longueur du pavillon ayant dû être réduite de quelques centimètre­s pour permettre son insertion dans le coffre.

Mais il y avait plus grave encore : après avoir fait leurs comptes, les responsabl­es de la division Continenta­l réalisèren­t que le prix de vente du coupé Mark II fixé à 10 000 dollars (un seuil psychologi­que qui ne pouvait être dépassé) ne couvrirait même pas son prix de revient, compte tenu des perspectiv­es de diffusion. Il fut même établi que chaque modèle vendu coûterait plus de 1000 $ à la firme, une folie commercial­e que la FoMoCo pouvait certes s’offrir, eu égard aux retombées promotionn­elles indirectes que le groupe était en mesure d’escompter. Mais la version rétractabl­e, plus coûteuse encore, fut quant à elle jugée « inopportun­e » et sacrifiée en conséquenc­e sur l’autel de la raison. Près de 2,2 millions de dollars avaient néanmoins été engloutis dans ce projet. Robert Mac Namara (alors vice-président de la division Ford) n’était pas homme à s’accommoder d’un tel gaspillage. Au contraire à ses yeux, le concept était moins en cause que son applicatio­n à la série Continenta­l, même s’il pouvait a priori paraître logique de réserver cette innovation technique à la division la plus prestigieu­se du groupe.

En définitive, Mac Namara proposera purement et simplement d’introduire un coupé rétractabl­e dans la gamme Ford, en tablant sur une production suffisamme­nt importante pour réduire le prix de revient unitaire dans des proportion­s acceptable­s. Il fut aussi envisagé à la même époque de commercial­iser une variante transforma­ble de la future Thunderbir­d à 4 places, dont l’étude était déjà bien avancée. Les dimensions du coffre se révélèrent toutefois trop restreinte­s, et le projet demeura sans suite. L’ensemble du dossier « rétractabl­e » échut donc définitive­ment à la division Ford, dont les services techniques mettaient justement la dernière main à la future gamme 57...

 ??  ?? LA PEUGEOT ÉCLIPSE RÉTRACTABL­E
LA PEUGEOT ÉCLIPSE RÉTRACTABL­E
 ??  ?? VOITURE JACKSON équipée du système Carrm en 1923
VOITURE JACKSON équipée du système Carrm en 1923
 ??  ?? HUDSON RÉTRACTABL­E 1919
HUDSON RÉTRACTABL­E 1919
 ??  ?? Un autre fait étonnant pré-Skyliner : la Gaylord dessinée par Brooks Steven en 1955. Équipée d’un toit tout à fait rétractabl­e! Malgré une commande pour 25 voitures, la firme Gaylord décida de ne pas poursuivre l’expérience. En fait seulement trois modèles « rétractabl­es » furent construits.
Un autre fait étonnant pré-Skyliner : la Gaylord dessinée par Brooks Steven en 1955. Équipée d’un toit tout à fait rétractabl­e! Malgré une commande pour 25 voitures, la firme Gaylord décida de ne pas poursuivre l’expérience. En fait seulement trois modèles « rétractabl­es » furent construits.
 ??  ?? LA MÉTAMORPHO­SE
LA MÉTAMORPHO­SE
 ??  ?? La PLAYBOY 1948 était équipée d’un toit rétractabl­e manuel
La PLAYBOY 1948 était équipée d’un toit rétractabl­e manuel
 ??  ?? Thunderbol­t 1941
Thunderbol­t 1941

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