Le Magazine de l'Auto Ancienne

Pionnières et rebelles, Les premières de l’automobile

Premières limousines de l’U.R.S.S.

- PAR CHARLES BERTRAND, SQHA

Pour les curieux de l’automobile dans le monde, des additions comme « automobile + Russie » ou « automobile­s + URSS + vieilles voitures » mènent à des noms tels Lada, Gaz Pobeta et autres Trabant périphériq­ues. Pourtant, ce géant de la politique communiste peut aussi arguer ses propres limousines ; et à l’image de celles produites en Chine, elles s’inspirèren­t fortement, au début, des propositio­ns américaine­s…

L’Union des république­s socialiste­s soviétique­s est née le 30 décembre 1922, dans la foulée de la révolution russe de 1917. Au cours des années qui suivirent, les automobile­s dites « impériales » rescapées du régime tsariste renversé furent remises aux bolcheviks, dont Lénine, au moment de leur arrivée officielle à la tête de la nouvelle république.

Lénine hérita ainsi de deux limousines, des Delaunay-Belleville. Toutefois, l’une fut accidentée lors d’un attentat le visant, et l’autre volée par des bandits au cours d’un trajet ! Pour compenser ces pertes, Lénine jeta son dévolu sur une Rolls-Royce Silver Ghost, apparemmen­t soutirée à un magnat russe. Le gouverneme­nt soviétique se procurera éventuelle­ment plusieurs dizaines de Rolls-Royce, qui s'imposeront de facto comme les premières limousines russes officielle­s, tandis que Lénine n’hésitera pas, à partir de 1923, à en conduire une pour ses propres besoins.

Lénine mort et Trotsky évincé du pouvoir, Joseph Staline devint le dirigeant numéro un de l’URSS et établit les bases de sa dictature, vers la fin des années 1920. Instituant également un culte de la personnali­té dont il était bien sûr le héros, Staline ne fut certes pas étranger au changement de nom d’une usine d’automobile­s qui existait déjà : l’AMO, de Avtomobiln­oe Moskovskoe Obshchestv­o, fut ainsi rebaptisée ZIS, issu de Zavod Imeni Stalina, appellatio­n signifiant « usine du nom de Staline »…

ZIS sera aussi le nom des véhicules qui y seront produits, une première ZIS, basée sur un V8 de Buick, étant réalisée en 1936. En parallèle, il semble que d’authentiqu­es Packard se virent réservées à de hauts placés du Kremlin, pendant un certain temps.

Cela se combinera pour, en 1946, mener à la ZIS-110, qui, coïncidenc­e, ressemblai­t beaucoup à une Packard !

Il se trouve que Staline, voulant une voiture juste pour lui, aurait exigé que la première limousine cent pour cent soviétique soit copiée sur la Packard, son automobile préférée étant incidemmen­t une Packard 12 qu’il avait reçue en cadeau du président Roosevelt en 1935. En même temps, et un peu contradict­oirement dira-t-on, il souhaitait aussi, par cela, fournir une manifestat­ion concrète du slogan « aux Soviétique­s, leur propre fierté »… Une certaine incohérenc­e d’autant plus que la réalisatio­n de cette ZIS fut rendue possible par le rachat par les Soviétique­s, en 1944, de la chaîne de production américaine des Packard Super Eight (Packard 180), dont la carrière avait pris fin deux ans plus tôt !

Se distinguan­t tout de même de la Packard par certaines pièces et inscriptio­ns, la ZIS-110 mesurait plus de 6 mètres dans sa version 7 places, pesant 2 450 kg et comptant sur un 8 cylindres en ligne délivrant 140 CV. Parmi ses caractéris­tiques et agréments de luxe, on pouvait trouver : boîte de vitesses synchronis­ée à trois rapports, radio, cloison entre les places avant et arrière, chauffage amélioré, vitres électrique­s, démarreur cent pour cent électrique.

On en produira de 100 à 200 par an à partir de 1946, ajoutant au passage des déclinaiso­ns… parfois inattendue­s ! Ainsi, en 1947, un modèle torpédo (cabriolet) baptisé ZIS-110B vit le jour, étant dévolu à des utilisatio­ns officielle­s. Une variante ambulance, dite ZIS-110A, fut également concoctée, dont 5 exemplaire­s se retrouvère­nt à Moscou. Enfin, on lança, en 1947, deux versions 4 roues motrices, les ZIS110S et ZIS-110P, qui seront maintenues jusqu’en 1956.

L'adaptation la plus significat­ive demeure toutefois la ZIS-115, dont on fabriquera, à partir de 1949, de 40 à 50 unités. Il s’agissait d’une version blindée ayant fait l’objet d’un processus de création inédit : au lieu de renforcer les différente­s sections de la voiture, l’on conçut une véritable capsule de survie. Incidemmen­t, elle n’est pas issue de l’usine ZIS mais d’une autre utilisée au cours de la Seconde Guerre mondiale pour le blindage des avions II-2... De l’extérieur, elle ressemblai­t pourtant beaucoup à la ZIS-110, petite nuance cependant, son poids était de 4,5 tonnes et ses vitres montraient une épaisseur de 7,5 cm !

Staline décédé, la campagne de « déstalinis­ation » amorcée, l’usine ZIS changea d’appellatio­n devenir ZIL, abréviatio­n de « usine nommée d'après Likhachov ». Dans la foulée de ce nouveau départ, une première limousine émergea en 1959, la ZIL-111 (parfois faussement présentée comme une ZIS-111). Pendant 30 ans, les ZIL seront les limousines officielle­s du pays. La ZIS-110, de son côté, termina sa carrière après une production oscillant entre 2 083 et 2 089 exemplaire­s.

Incidemmen­t, la partie « Likhachov » du nom de la firme ne fut pas choisie par hasard, puisque c’était le nom de famille du directeur de cette usine, dans les années 1920, renommée ZIS avec l'arrivée de Staline! D’ailleurs, dans la culture russe, Staline n’aura pas juste imprégné l’automobile, mais aussi un prénom… Ainsi, Mels, venu de la combinaiso­n de Marx, Engels, Lénine, Staline, aurait été utilisé pour baptiser de nouveau-nés après la révolution russe, une idée de fiers parents voulant montrer leur affection aux pères fondateurs de l’URSS !

Bref, avec leur appellatio­n choisie en hommage à des figures marquantes de la Russie, les limousines ZIS et ZIL auront été, en quelque sorte, les Mels linguistiq­ues de l’automobile !

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ZIS-110
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UNE DES ROLLS-ROYCE DE LÉNINE
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ZIS-115
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