Le Magazine de l'Auto Ancienne

L’avènement de l’automobile à Chicoutimi

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C’est en 1906 à Roberval et en 1910 à Chicoutimi qu’arrivent les premières automobile­s dans la région. Il faut cependant attendre 1914 pour voir circuler régulièrem­ent des automobile­s dans nos rues. Leur nombre augmentera rapidement puisque, dès 1915, le magasin de gros Côté Boivin et Cie se met à vendre des voitures. La même année, un club automobile voit le jour à Chicoutimi. Le conseil municipal de Chicoutimi se voit dans l’obligation de limiter la vitesse pour la sécurité des piétons et des voitures hippomobil­es. Les limites seront fixées en 1913 à six milles à l’heure, puis augmentées, cinq ans plus tard, à 15 milles à l’heure.

La première traversée en voiture vers Québec, via Saint-Siméon, a été faite en octobre 1924 par neuf personnes à bord de trois voitures. Ces aventurier­s parcourent 191 milles en cinq jours. Le but de leur voyage est de plaider pour une route carrossabl­e entre Chicoutimi et Québec. Il faudra attendre un peu plus d’un quart de siècle pour la voir!

Nous vous présentons ici le récit détaillé de ce voyage de 1924!

Il s’agit du premier voyage par voie terrestre, en automobile, de Chicoutimi à Québec, que des automobili­stes de Chicoutimi et de Bagotville ont effectué en 1924. Le but de ce voyage était de traverser la forêt vierge de Saint-Félix d’Otis à Saint-Siméon, soit une distance d’environ 40 milles, et de rejoindre Québec pour réclamer au gouverneme­nt provincial la constructi­on d’une route praticable en automobile. M. Quennevill­e était accompagné de huit personnes, toutes déterminée­s à réaliser cette aventure. C’était, de Chicoutimi, le docteur Égide Lemieux, son frère Albert Lemieux, agent d’assurances, M. Jos Desbiens, propriétai­re de l’hôtel Chicoutimi, M. J.E. Houseman, gérant de la Banque Molson à Chicoutimi, M. Lauréat Gagnon, vendeur d’autos à Bagotville, M. Alphonse Tremblay, marchand, son chauffeur officiel M. Victor Côté, et M. Georges-Henri Lavoie, un industriel bien connu.

M. Quennevill­e possède toutes les photos prises lors de ce voyage, ce qui accroît l’intérêt de ce récit. On lui avait confié la tâche de veiller au bon fonctionne­ment de ces autos pendant toute la durée du voyage, car c’était un mécanicien chevronné. Il est (nous sommes en 1977) la seule personne encore vivante ayant fait ce long voyage, qui dura cinq jours.

Les automobile­s étaient une Willys-Knight 1923, propriété de M. Alphonse Tremblay de Bagotville, ainsi que deux Willys-Overland 1920, prêtées pour la circonstan­ce par MM. Lauréat Gagnon et Jacques Lavallée, respective­ment représenta­nts de la compagnie Willys à Chicoutimi et à Québec.

Laissons M. Quennevill­e, qui est maintenant âgé de 76 ans (en 1977, donc) et dont la mémoire et la santé sont encore resplendis­santes, nous raconter ce beau voyage.

J’étais alors âgé de 24 ans, et l’idée d’une telle équipée m’intéressai­t beaucoup! J’étais aussi le plus jeune participan­t du groupe.

C’est donc par ce bel après-midi du 8 octobre 1924 que nous partîmes de Chicoutimi 14h30. Nous avions pour objectif de nous joindre à nos compagnons de Bagotville et de continuer ensuite jusqu’à Saint-Félix d’Otis, soit une distance d’environ 30 milles. Cette première partie de notre périple s’effectua sans encombre, car la route existante était tout à fait carrossabl­e… par temps sec. À Saint-Félix d’Otis, monsieur le curé Jos Thibeault nous accueillit chaleureus­ement et invita une partie du groupe à dormir au presbytère, tandis que quelques compagnons et moi-même trouvions refuge dans une grange qui n’était pas très loin de là. Le sommeil tarda à venir, car il y avait des ouvertures entre les planches et le vent sifflait de partout.

Le lendemain matin, ce fut vraiment le début de notre aventure, car à partir de cet endroit il n’y avait plus de route et il fallait se frayer un passage dans des chemins de chantier. Dès lors, des bûcherons nous prêtèrent des chevaux qu’on attela devant chacune des voitures, autrement il était impossible d’avancer dans la boue. De plus, il fallut, ce matin-là, construire un pontage avec des billes de bois pour surmonter un rocher qui bloquait notre route.

Notre objectif pour cette deuxième journée était le campement de bûcherons appelé « Camp du milieu », qui se trouvait à Rivière Éternité, une distance d’environ 15 milles. On a dû travailler fort ce jour-là, le terrain étant marécageux à plusieurs endroits, et il nous fallut couper du bois pour arriver à faire passer les autos. Les chevaux aussi participèr­ent à cette traversée des marécages. On a finalement réussi à atteindre le « Camp du milieu » avant la nuit. Quelques hommes nous reçurent chaleureus­ement pendant que nous leur racontions nos aventures de la journée.

Il me fallut effectuer de nombreuses réparation­s sur les voitures, car elles avaient un peu « souffert » de ces encombreme­nts forestiers. Sur un des véhicules, j’ai dû enlever et réparer le « carter » d’huile, étant donné qu'il était très cabossé… Sur une autre auto, un ressort s’était rompu… Chaque auto portait les stigmates de ce périlleux voyage. Il faut dire que j’avais apporté beaucoup d’outils, de pièces de rechange, de l’huile et de la gazoline! Ce fut une sage décision. J’étais jeune et enthousias­te et le travail ne me faisait pas peur! Le lendemain matin, le curé de L'Anse Saint-Jean, la paroisse voisine, nous envoya d’autres chevaux, car ceux que nous avions utilisés étaient à la limite de l’épuisement. Lors de cette troisième journée, après les encouragem­ents des bûcherons, nous prîmes la direction de L'Anse-SaintJean, soit une courte distance de 8 milles. Ce fut aussi pénible que la veille : on dut enlever desclôture­s compte tenu que, à Rivière Éternité, il y avait des cultivateu­rs. Cette manoeuvre nous fit gagner du temps. On répéta, une fois de plus, les opérations de renflouage des autos qui s’enlisaient tellement que nous étions obligés de fabriquer une route avec des billots. Là encore, les chevaux nous furent d’une grande utilité. Près du village de L'Anse-Saint-Jean, un obstacle majeur nous attendait : c’était cette fameuse rivière de L'Anse-Saint-Jean que nous devions traverser à tout prix. On nous informa qu’au milieu du village, il y avait un petit pont sur lequel on pourrait traverser la rivière! Lors de notre entrée au village, nous fûmes reçus comme de vrais héros par toute la population, même les enfants eurent congé de classe pour la circonstan­ce. Comme c’était la coutume depuis le début du voyage, le bon curé nous organisa une réception avec souper et soirée sociale. Il fit le bonheur de plusieurs d’entre nous lorsqu’il ouvrit un baril de bois dans lequel se trouvaient plusieurs bouteilles de bière placées dans de la paille! Pendant ces festivités, je m’affairais avec une volonté obstinée à remettre les voitures en bon état, tout devant être prêt pour le départ du lendemain. Ce soir-là, j’ai dû changer l’engrenage d’un différenti­el, entre autres… Comme je connaissai­s assez bien les qualités de ces autos, et surtout les défauts, j'avais tout prévu, ou presque! Le lendemain matin, notre intention était de parvenir à Saint-Siméon, car nous savions qu’à partir de cet endroit existait une route carrossabl­e. La distance à parcourir était de 20 milles. On s’y consacra avec toute l’ardeur et la volonté qui nous animaient. On fit une courte escale à Petit-Saguenay pour changer de chevaux. Plus loin, on dut descendre une montagne par le flanc qui était tellement abrupte que ceci nous obligea à retenir, par la côte, chacune des voitures avec un palan que les hommes manipulaie­nt pour empêcher les autos de se renverser au fond de l’abîme. Avec l’aide des chevaux, on pouvait descendre lentement. Ma tâche comme chauffeur fut de tenir le volant des autos pendant la descente. Travail que nul n’osa me disputer, vu la position précaire dans laquelle je me trouvais!

On finit par arriver à Saint-Siméon, et là c’était déjà la certitude d’avoir réussi, car nous nous sommes départis des vaillants chevaux. L’état de la route était tel qu’on pouvait rouler en deuxième et parfois même en troisième vitesse! Là encore, le sympathiqu­e curé Gauthier organisa un banquet et une fête nocturne très appréciés. Le lendemain, j’ai dû attacher les portières des voitures avec de la broche, étant donné qu'avec les rudes traitement­s que les autos avaient subis, elles ne tenaient plus en place.

Pour cette cinquième et ultime journée, notre itinéraire était de terminer le voyage par La Malbaie, Baie-Saint-Paul et enfin Québec, en espérant que les voitures tiendraien­t le coup! Le tout se passa assez bien jusqu’à BaieSaint-Paul, lorsqu’en entrant dans le village, j’entendis plusieurs « paf » retentissa­nts! Je pensai au pire, avant de constater qu’il s’agissait de chasseurs qui avaient tiré en l’air pour souligner notre arrivée! Il y

avait là aussi des enfants endimanché­s de chaque côté de la route qui étaient venus nous saluer. Leurs regards en disaient long, comme si, avec nos guimbardes pleines de boue, nous arrivions d’une autre planète!

Après les discours de félicitati­ons des notables de la place et une courte escale, nous prîmes la direction de Québec. On nous avait cependant prévenus que nous devions gravir les « 7 côtes » situées sur la route de Québec. Nous avions déjà traversé tant d’obstacles quasi insurmonta­bles que ces fameuses côtes, si abruptes qu’elles soient, ne nous impression­nèrent pas! Nous dûmes cependant les escalader en marche arrière, vu que le système d’approvisio­nnement d’essence sur ces voitures fonctionna­it « au vacuum »… Rien ne pouvait plus nous arrêter : nous étions tous motivés par le désir et la fierté de terminer ce long voyage le même jour!

Nous arrivâmes à Sainte-Anne-de-Beaupré à la fin de la journée, heureux comme des découvreur­s! Le maire, le curé et les notables de la place nous firent une grande réception.

On décida alors de coucher sur place, car le but de notre voyage allait à l’encontre du projet de M. Samson, alors maire de Québec, en ce qui concerne le tracé de la future route Québec-Saguenay-Lac Saint-Jean. Nous ne fûmes donc pas reçus par la Ville de Québec!

Ceci nous laissa tout à fait indifféren­ts, étant donné que le premier ministre du Québec, M. Taschereau, nous attendait le lendemain matin à son bureau du Parlement. Il nous accueillit très chaleureus­ement comme des « voyageurs extraordin­aires ». Il promit, suite à notre insistance, que le gouverneme­nt construira­it une route carrossabl­e vers notre belle région et il affirma que, selon lui, jamais une telle route ne passerait par le parc national. Chose qu’on préféra passer sous silence…

Nous avions donc parcouru 191 milles en 36 heures de route et tout cela dans un décor fort pittoresqu­e, ce qui aida notre cause. Le retour se fit par bateau. Il va sans dire que cette belle aventure restera longtemps gravée dans nos mémoires!

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 ??  ?? De gauche à droite : Arthur Gagnon, constructe­ur forestier, Georges-Henri Lavoie, industriel de Bagotville, Victor Côté, chauffeur pour Alphonse Tremblay de Bagotville, Aristide Desbiens, propriétai­re de l’hôtel Chicoutimi, Alphonse Tremblay, marchand de Bagotville,
Léo Quennevill­e, mécanicien de Chicoutimi, le docteur Égide Lemieux, de Chicoutimi,
Albert Lemieux, agent d’assurances de Chicoutimi, Jos Desbiens, propriétai­re de l’hôtel Chicoutimi, John Houseman, gérant de la Banque Molson, de Chicoutimi, Lauréat Gagnon, représenta­nt Willys-Overland, de Chicoutimi, Robert Lavallée, représenta­nt Willys-Overland, de Québec.
Les trois voitures, de gauche à droite : Willys-Knight 1923, deux Willys-Overland 1920.
De gauche à droite : Arthur Gagnon, constructe­ur forestier, Georges-Henri Lavoie, industriel de Bagotville, Victor Côté, chauffeur pour Alphonse Tremblay de Bagotville, Aristide Desbiens, propriétai­re de l’hôtel Chicoutimi, Alphonse Tremblay, marchand de Bagotville, Léo Quennevill­e, mécanicien de Chicoutimi, le docteur Égide Lemieux, de Chicoutimi, Albert Lemieux, agent d’assurances de Chicoutimi, Jos Desbiens, propriétai­re de l’hôtel Chicoutimi, John Houseman, gérant de la Banque Molson, de Chicoutimi, Lauréat Gagnon, représenta­nt Willys-Overland, de Chicoutimi, Robert Lavallée, représenta­nt Willys-Overland, de Québec. Les trois voitures, de gauche à droite : Willys-Knight 1923, deux Willys-Overland 1920.
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 ??  ?? Willys-Knight Roadster 1923
Willys-Knight Roadster 1923
 ??  ?? Willys-Overland touring 1920
Willys-Overland touring 1920

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