Le Magazine de l'Auto Ancienne

MA PREMIÈRE AUTO, UNE MERCURY '49

- Par Yvon Ferland

Dans l’ombre de James Dean

Nous sommes en juin 1970. Je viens d’avoir 21 ans, l’âge de la majorité à l’époque, l’âge que j’attendais pour conduire un «char». Mon père se demandait ce que faisait le vieux char de Monsieur L. devant le stationnem­ent de notre maison, à plus de 600 pieds de sa niche habituelle. Je lui ai répondu que je venais d’acheter la Mercury ’49 de Monsieur L. pour 60 $. Mon père n’y voyait qu’un « bazou » et un paquet de troubles pour un gars qui ne savait même pas conduire une auto et qui, forcément, n’avait pas de permis.

Sauf qu'il ne savait pas que c’était une Mercury américaine nouvelle, différente de la Monarch canadienne. Il ignorait aussi que la plate-forme de la Mercury ’49 avait été allongée à 118 pouces, que la cylindrée de son moteur V8 de Ford (démodé mais encore performant pour la vitesse) avait été portée à 4,2 litres, développan­t 110 chevaux, et que la suspension avant était entièremen­t nouvelle. D’ailleurs, je ne le savais pas non plus.

J’ignorais aussi qu’en 1949, les ventes totales de la Mercury étaient passées de 100 000 unités, dans les meilleures années, à plus de 300 000 et que les Mercury étaient maintenant associées aux Lincoln. Le duo « Ford-Mercury » du début des années ’40 avait fait place au nouveau couple « Mercury-Lincoln ». On ne pouvait plus traiter les Mercury de « grosses Ford » et, dès lors, on les associa aux « petites Lincoln » (Baby Lincoln). À vrai dire, à cette époque je ne m’intéressai­s pas vraiment à tous ces détails techniques. Je préférais plutôt l’aspect esthétique, le « design » de l’automobile, et la Mercury ’49 comblait amplement ce vide de connaissan­ces.

Même si j’avais toujours eu un faible pour l’automobile de M. L., je ne savais pas ce que la Mercury ’49 usagée représenta­it pour la jeunesse américaine des années ’50. Cette auto était devenue une auto culte pour ces jeunes, avec ses portes arrière « suicide », ses vitres de côté rabaissées, son air plaqué au sol en raison d’une suspension surbaissée, tout pour lui donner un air menaçant. Le summum de la renommée de la Mercury ’49 a été atteint en 1955, peu après la sortie du film « La fureur de vivre », dans lequel le célèbre acteur James Dean conduisait une Mercury ’49 « customisée ». À ce propos, la Mercury ’49 en question se trouve encore exposée au National Automobile Museum de Reno, au Nevada.

Pourtant, pour certains chroniqueu­rs automobile­s, le style de la Mercury ’49, qui datait du début des années ’40, était déjà dépassé. On a même traité cette voiture de « baignoire » (Bathtub Merc), de « ponton », ou de « ballon de foot à moitié dégonflé ». Au moins, la « baignoire » n’était pas renversée comme c’était le cas de la Packard ’48, à qui cette malheureus­e étiquette (Inverted Bathtub) avait été collée.

Moi, tout ce qui m’intéressai­t, c’était de me balader dans ma Mercury ’49. Toutefois, comme mon père me l’avait rappelé, je n’avais pas de permis et je ne savais pas conduire une auto. Il a donc fallu l’aide d’un ami, devenu plus tard mon beau-frère, pour apprendre à conduire « à la clutch », même « à double clutch ». Une fois, après quelques exercices dans la rue, il nous a conduits dans le stationnem­ent d’un centre commercial, a stationné l’auto dans une entrée descendant­e prévue pour la réception des marchandis­es, à 2 pieds de la porte. Je devais faire en sorte de remonter la pente à reculons, sans rien endommager. En m’appliquant, j’y suis parvenu; j’ai même refait l’exercice plusieurs fois sans trop de souci. Et puis, même si j’ai souvent fait glisser la « clutch », j’ai obtenu mon permis de conduire!

Mais laissons là ces détails, et concentron­s nous sur le plaisir que j’avais à conduire ma Mercury ’49. On allait souvent défiler sur la rue St-Jean à Québec, avec des amis qui aimaient simuler une attaque ou un enlèvement en ouvrant la porte arrière suicide, un peu à la manière des bandits de la prohibitio­n ou de la pègre des années 30-40. On s’est même rendu sans problème au festival de musique pop de Manseau de 1970, pâle réplique québécoise du célèbre Festival de Woodstock de 1969. La balade en Mercury ’49 a mis un baume sur l’échec qu’a connu ce festival.

Une autre fois, je me suis retrouvé enlisé sur une plage à St-Jean, à l'Île d’Orléans, où nous avions décidé de camper. Pour extirper la Mercury de sa fâcheuse position, il a fallu pousser cette masse de plus de 3 000 livres restée coincée dans le sable. Avec l'aide d'ami(e)s et plusieurs jeunes du coin, on a pourtant réussi, à bout de bras, à dégager le monstre avant que la marée montante ne transforme la « baignoire » en « sous-marin».

Quel plaisir et quelle fierté de se promener avec une auto âgée de 21 ans, et ce, même si elle n’était pas officielle­ment considérée comme «voiture ancienne». Ma Mercury ’49 bleu foncé était assurément la plus belle des voitures dans l’oeil du jeune que j’étais. Elle n’était ni « poquée », ni rouillée, et ses chromes étaient encore acceptable­s, bien que légèrement « piqués ». L’intérieur paraissait luxueux avec son immense volant, son riche tableau de bord et ses sièges enveloppan­ts et moelleux. Les ailes n’étaient pas profilées, mais les pneus à flanc blanc ajoutaient une allure racée à son air menaçant.

Évidemment, tout n’était pas parfait. Le gros V8 de Ford avait toujours soif. Aussi, pour le maintenir en vie et assurer sa performanc­e, je devais rajouter une pinte d’huile aux 100 milles (160 kilomètres). J’étais même devenu un bon client de Canadian Tire, où je trouvais de l’huile recyclée à la caisse. Bien sûr, cette mise à niveau ne se faisait qu’en privé, de peur de me faire dire que le moteur « pompait ». À cette époque, comme bien du monde, je n’étais pas trop conscient du fait qu’un moteur qui consommait autant d’huile était dommageabl­e pour l’environnem­ent…

Aussi, quand la Mercury se trouvait en pleine circulatio­n, je rencontrai­s parfois un problème de taille. Comme je devais mettre au neutre l’automobile et repartir en première, les vitesses avaient tendance à bloquer. N’ayant pas les moyens financiers de faire réparer le tout, j’avais développé une technique particuliè­re de dépannage : je prenais mon gant attitré à l’opération et sortais de l’auto, en faisant bien attention aux autos qui recommença­ient à circuler et à me klaxonner. J’ouvrais ensuite le capot et je brassais les vitesses, ce qui me permettait d’embrayer en première et de refaire avancer l’auto sans difficulté. Là, c’est vrai que ma Mercury avait l’air d’un « bazou », comme disait mon père. Mais, ces petits ennuis n’étaient rien à comparer au plaisir et à l’agrément de conduire une Mercury’49, qui avaient fait le bonheur de la jeunesse insouciant­e des années ’50.

Mon goût pour les voitures anciennes ne date pas d’hier. À peine âgé de 10 ou 11 ans, je m’assoyais souvent sur le trottoir le long de la rue St-Vallier, alors porte d’entrée de la Ville de Québec, pour regarder passer les autos tout en essayant de deviner les marques, les caractéris­tiques et l’année des autos. Occasionne­llement, à cette époque, on voyait encore des autos des années ’30 et ’40.

Après quelque temps, j’ai voulu améliorer mon sort. J’ai revendu la Mercury’49 au prix que je l’avais payée et j’ai acheté, pour 250 $, une Cadillac’47. Non seulement je venais de rehausser mon « standing » en passant d’un « Baby Lincoln » à un « Caddy », mais je me rapprochai­s de ce qu’était une « voiture ancienne de 25 ans ».

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Illustrati­on par Yvon Ferland
 ?? ?? Le couple mythique : James Dean et Nathalie Wood dans La fureur de vivre
Le couple mythique : James Dean et Nathalie Wood dans La fureur de vivre
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 ?? ?? Références de lectures : Collectibl­e Automobile­s, Avril 1987, pp. 8-22 // Les Américaine­s, Editions PML, 1993, pp. 58-61 // Great American Automobile­s Of The 50s, par Beekman, Publicatio­n Internatio­nal, 1989, pp. 194-197 // Cars Of The Fascinatin­g 40s, P.I.L., 2002, pp. 288-289 // Cars of the 40s, Editor of Consumer Guide, 1979, pp. 62-63 // Great Cars Of The Forties, Beekman House, Auto editors of Consumer Guide, pp. 51-53 // Ford - 100 ans au Canada, Éditions de la Collection par Ford Canada, pp. 68-69 // Autos, Encyclopéd­ie complète de 1885 à nos jours, Éditions de la Courtille, pp. 428-429 // Standard Catalog Of American Cars, 1946-75, édité par John Gunnell (section Mercury) // Mercury, Wikipedia
Références de lectures : Collectibl­e Automobile­s, Avril 1987, pp. 8-22 // Les Américaine­s, Editions PML, 1993, pp. 58-61 // Great American Automobile­s Of The 50s, par Beekman, Publicatio­n Internatio­nal, 1989, pp. 194-197 // Cars Of The Fascinatin­g 40s, P.I.L., 2002, pp. 288-289 // Cars of the 40s, Editor of Consumer Guide, 1979, pp. 62-63 // Great Cars Of The Forties, Beekman House, Auto editors of Consumer Guide, pp. 51-53 // Ford - 100 ans au Canada, Éditions de la Collection par Ford Canada, pp. 68-69 // Autos, Encyclopéd­ie complète de 1885 à nos jours, Éditions de la Courtille, pp. 428-429 // Standard Catalog Of American Cars, 1946-75, édité par John Gunnell (section Mercury) // Mercury, Wikipedia
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