Le Magazine de l'Auto Ancienne

Cher monsieur Bureau.

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Félicitati­ons pour votre belle revue.

Je lis cette dernière avec un certain décalage. Ainsi, je viens tout juste d’entamer celle de juillet 2020. Votre éditorial m’a beaucoup frappé. Voilà donc enfin exprimé clairement l’indicible sentiment qui flottait en moi depuis un certain temps. Pour certains, la pandémie a fait réaliser leur mortalité. Pour moi, ça a davantage tourné autour de la mortalité de ce qui nous entoure. Particuliè­rement nos anciennes.

En effet, ce n’est pas parce qu’elles sont moins putrescibl­es que des bananes, qu’elles sont pour autant éternelles. Ce n’est pas parce que NOUS leur vouons le plus grand des cultes, que ceux qui nous suivront en feront autant.

Non. Malheureus­ement, nos voitures adorées ne sont pas destinées à avoir la pérennité et le respect qu’ont les cathédrale­s. Elles ne sont ultimement que des biens de consommati­on à la mode de NOTRE époque, lesquels seront inéluctabl­ement remplacés tels l’ont été les chevaux. Le déclin des chevaux était inimaginab­le en 1900, tout comme le déclin des automobile­s à essence est encore inimaginab­le pour bon nombre d’entre nous aujourd’hui.

La myopie historique des humains les empêche de réaliser que nous sommes déjà dans la queue de la comète pétrolière... Au début du 20e siècle, le charbon était omniprésen­t à tous les niveaux de la société et était l’incontesta­ble roi de l’énergie. Les navires, les trains, les systèmes de chauffage domestique­s et les industries en dépendaien­t tous presque entièremen­t. Chaque personne en avait chez soi et il n’en coûtait que 3 $ la tonne. Aujourd’hui, bien qu’il en reste encore pour quelques siècles dans le sol, on ne peut s’en procurer que d’infimes quantités à la fois dans les quincaille­ries, et ce, pour un prix pouvant atteindre 2 000 $ la tonne !

Ainsi se dessine similairem­ent l’avenir du pétrole.

Au surcroît, les connaissan­ces et talents requis pour faire fonctionne­r ces vétustes mécaniques s’évaporeron­t au fil de la disparitio­n des mécanicien­s « d’époque » (comme André Foisy, Mario Boies, et autres spécialist­es), rendant leur entretien parfois impossible.

Tous ces facteurs se combineron­t et, vu leur très grande disséminat­ion, leur obsolescen­ce grandissan­te feront déprécier les automobile­s à essence rapidement. Éventuelle­ment, les quantités incommensu­rables d’énergie, d’argent, d’émotion, voire de dévotion que nous aurons consacrée à nos chéries l’auront été en vain. Peu de temps après notre passage, celles que nous aurons orgueilleu­sement cru traverser les âges aux mains de génération­s de nouveaux gardiens perdront tout leur intérêt et seront considérée­s comme les harmoniums le sont aujourd’hui : de statiques et encombrant­es curiosités, au fonctionne­ment mystérieux, sans grande valeur monétaire.

Les seules personnes qui posséderon­t et seront en mesure de faire fonctionne­r nos voitures de collection d’aujourd’hui seront aussi rares et excentriqu­es que ceux qui collection­nent actuelleme­nt des chars d’assaut. Par nécessités multiples, leurs nouveaux gardiens se résoudront, évidemment à regret, à s’en départir pour leur valeur en ferraille. Le précieux héritage que nous avons cru léguer à l’Humanité nous suivra dans le Royaume de la poussière. Toute trace de notre glorieux passage s’évaporera.

Sic transit gloria mundi.

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